La voiture tourne de manière abrupte, si bien que même à moitié endormie, Rehan se sent tourner et virer sur son siège. Elle peut sentir l’odeur si particulière de la poudre après un tir, le goût désagréable du sang dans sa bouche tandis que le monde continue de tourner inlassablement. Keep yourself up tente-t-elle de s’ordonner, essayant vainement de se rappeler des dernières minutes. L’échappée de la tour Arasaka, la puce dans sa tête, Jackie, Jackie et les rivières pourpres s’écoulant sur le siège arrière de Delamain, Jackie dont la vie s’échappe au fur et à mesure de ses yeux pourtant si vivants, Jackie…. Jackie mort. Puis Deshawn. La balle. Le réveil parmi les cadavres dans les décharges au bord de la ville, là où finissent les inconnus et les oubliés, dans la poubelle où finissent tous les corps à Night City, les humains plus mécaniques que les machines elles-mêmes. La voiture filant, le conducteur tirant à travers la vitre. Elle peut à peine voir les cibles lorsqu’il lui a demandé de protéger la caisse pour lui. Et ensuite… Ensuite plus rien.

Chaque partie de son être est douloureuse, semblant blessée, comme si toutes les gouttes de sang essayaient de s’en échapper. Et dans sa tête, une même voix qui répète en boucle quatre mots, implantés dans des souvenirs qui ne lui appartiennent pas, de mots qu’elle n’a pas prononcé, d’une force en son sein qu’elle ignorait. Une bombe, dans Arasaka.

Rehan s’est réveillée plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle atterrisse dans la clinique de Vik. Et à chaque fois, elle n’eut de cesse de héler le même prénom. Ikaar. Comme si l’appeler pouvait la ramener à la réalité, comme si tenter de l’atteindre pouvait la libérer de l’esprit qui prenait le pas sur le sien. Viktor fit tout ce qui était en son pouvoir, mais il n’était pas magicien : malheureusement, il ne pouvait l’aider à panser les plaies les plus profondes qui auraient tué n’importe qui d’autre. Mais elle n’est apparemment plus n’importe qui : l’homme d’Arasaka vient régulièrement à ses côtés, mais le sommeil de Rehan semble sans fin.

Plusieurs fois, Vik tente de se connecter à elle afin de savoir si l’instabilité de son logiciel pouvait être réparée. Il était le meilleur charcudoc de la ville. Il ne pouvait pas échouer, pas pour son amie, ni pour Ikaar qui réduirait la ville en cendres si sa femme venait à faire un trait plat.

Quand ledit mari fracasse la porte d’entrée du centre opératoire, Viktor se détourne du corps nu de Rehan et tente de parler posément pour aider le barman à se calmer, sachant pertinemment que cela ne serait d’aucune utilité. « Ikaar, you can't stay here. I'm trying to reboot her. » Viktor aurait pu être plus délicat avec Ikaar mais savait que l’homme n’accepterait ni pitié ni secrets concernant l’état de son épouse.

Viktor laisse son ami aller auprès de sa patiente. Il n’était pas effrayé par l’armoire à glace qu’il représentait mais il pouvait comprendre la douleur de voir son épouse dans cet état. Rehan était une personne froide mais une fois que ses barrières étaient abaissées, elle était comme une drogue dont on ne pouvait plus jamais se passer.  Elle courrait partout dans la ville, cherchant des contrats, essayant de se faire un nom dans une citée tentaculaire où toute personne n’étant pas corpo était la moitié d’un mercenaire. Et maintenant… Maintenant elle était inconsciente dans cette clinique. Fuck. Il avait eut un mauvais pressentiment concernant le contrat, c’est la raison pour laquelle il avait opéré toutes ces modifications sans lui demander son dû, mais cela n’avait visiblement pas été suffisant.

Tuer le responsable de ces blessures aurait dû être la vengeance d’Ikaar, mais le type d’Arasaka lui avait arraché cette possibilité. Et quoi, maintenant ? Prier ? Viktor priait pour que Rehan revienne parmi eux, et il fit de nouveau tout ce qu’il pouvait lorsque le trio se décide enfin à quitter le bloc opératoire. «I'll call you once I'm done with her. » Il ne dit pas qu’il ferait de son mieux. Ikaar le sait déjà.

Le cœur de Misty était lourd, plus lourd qu’il ne l’avait jamais été. Elle sait exactement la peine que ressentirait Ikaar s’il venait à en perdre Rehan. Malheureusement, c’était le destin de bien des runners, la plupart d’entre eux mourraient dans des décharges sans une âme pour se souvenir de leur nom. Mais Jackie et Rehan ne faisaient pas partie de ces gens-là.

Après quelques minutes qui paraissent durer une éternité, elle dit dans un seul soupir : « Jackie's in the back. » Et sans plus de suspense, presque pour s’en persuader elle-même, elle ajoute : « We're cleaning him to send him back to his family for the funeral. » Elle oublié sa peine pour une seconde, consciente que la nouvelle briserait le cœur de son ami, lui qui avait été sauvé des Badlands mar Jackie. Ami pour eux, amant pour elle. La réalité de son absence la déchire : elle est de ceux qu’on pense qu’elle n’arrive qu’aux autres. « I'm so sorry, Ikaar. I know he was you friend too... »

 « I hope you did not suffer too much when she got hurt. » Elle sait que le couple était connecté l’un à l’autre d’une certaine manière. Misty penche la tête, sachant pertinemment qu’ils étaient une famille et que la perte de Jackie les rapprocherait plus qu’elle ne saurait jamais les séparer. That's what we would've wanted. « Please be careful. You need to be here when she'll wake up. The Arasaka guy seem to want to keep her around... I'm not sure what the corpo would want from her, except… » A part la tuer après avoir récupéré ce qu’elle avait volé. Sans procès. Sans plus de bavardages, elle entend la vieille moto de Jackie ronronner et le son qu’elle produit la fait croire, l’espace d’un instant, qu’il veille encore sur eux.

Elle inspire, juste une fois, comme si elle venait d’être sauvée des profondeurs. Rehan s’échappe du souvenir qui ne lui appartient pas, s’échappe d’un destin qui n’est pas le sien, pas encore. Ses poumons sont remplis d’air crasseux de la ville qu’elle a toujours connue, ses yeux peuvent maintenant distinguer Viktor et le garde du corps penchés au dessus d’elle. Mais pas de trace d’Ikaar. Son cœur part en vrille. «You're finally up. How do you feel ? » Les mots lui manquaient pour décrire à quel point elle se sentait proche de la déjection canine en terme de ressenti.  «I had... nightmares... » Expliquer ce qu’elle avait vu relevait de l’exploit : ce que Vik avait à en dire ? Encore plus.  «  My husband...  » C’est tout ce dont elle avait besoin, à présent. Son mari, à ses côtés. « I'll call him. Rest a bit, we'll get you home. You seem stabilised for now. » Un rire cruel s’échappe d’entre ses lèvres, le sarcasme étant encore trop doux pour décrire l’horrible situation dans laquelle ils se trouvaient tous «  Except for the guy in my head, right ? » Vik soupire : « I'm calling the bartender. » L’appel ne dure que quelques minutes et Vik apporte l’information de la manière la plus concise possible : « She's up. » Un court silence, puis il conclut : « Come to me first. I have news about her condition you need to hear before getting her home. »

Tout son monde s’écroule quand elle réalise que pour l’instant, jusqu’à ce qu’elle ait davantage d’explications et de solutions, elle sera l’esclave de quelqu’un d’autre. Comme si Vik pouvait lire ses pensées, il prend la libérée d’appeler Ikaar et de le préparer a la nouvelle qui pourrait le détruire autant que si elle était deja morte : elle avait une épée de Damoclès au dessus de sa tête, leur futur, tout ce qu’ils désiraient construire, tenter de faire émerger de la crasse de Night City...

Soudain, Rehan sent la main de son amant dans la sienne, la calmant presque instantanément. Elle ne prend pas la peine de répondre : pour le moment, ils sont réunis, ils étaient sains et sauf… Rehan se raccrocher à ces quelques instants de paix, avant que tout ne change définitivement. Vik observe la scène avec ce qui semble un flegme à toute épreuve mais il n’en est rien : en lui rage une tempête, car il sait qu’il doit délivrer au couple la pire nouvelle qu’il n’ai jamais eu à donner. Des années en arrière, il pensait qu’il le ferait pour une nouvelle qui les ferait déborder de joie et d’amour.

Tout avait le goût de cendres.

Le destin était cruel avec eux. Sans plus attendre, il demande : « Long story or short ? » Il connaissait déjà la réponse. En fait, peut être qu’il essaye de gagner du temps pour leur permettre de se préparer, ou lui même de se préparer…