Elle en était le portrait craché, pourtant. Le teint brun, le regard intransigeant et ténébreux, les mains aux doigts déjà bien fins, et quelques bouclettes sombres pour encadrer son visage apaisé. Au rebord de son lit, sa mère s'accoudait, ses traits à elle, anxieux. Ses sourcils se fronçaient d'une manière irrégulière, tandis que ses yeux se rougissaient à mesure qu'elle se retenait de s'écrouler. Silencieuse, de peur de lâcher un mot qui lui rappellerait sa peine, de peur d'avouer qu'engloutie dans ses craintes, elle n'avait pas même le temps de se soucier de cette douleur qui lui brûlait la poitrine. Alors cet instant, penchée vers le visage de l'enfant semblait un rêve, une vision de rêve à laquelle elle s'accrochait, en chassant la vérité ensanglantée. «  La rumeur court, et le silence l'attrape, la vérité n'a pas besoin d'être sue. Naiya ne saura rien, rien que ce qu'on lui dit. » Une tape sur l'épaule, son conseiller au front ridé vint doucement étreindre la reine. Cela ne changea rien à sa moue figée dans une certaine douleur. Un silence lourd, pesant, avant que d'une voix brisée, la reine reprit en caressant du bout des joies les joues de l'enfant:  « J'aimerais tellement qu'elle soit mienne. Ma fille, mon enfant, mon trésor. Je n'aurais pas dû avoir à faire ça, vous le savez pertinemment. » Ils le savaient tous, avec leur rictus contrit, leur mutisme imbécile. La cour, se pavanant, surgit dans la chambre du nourrisson, combler la reine mère de nouveaux compliments. Des mots, tout plein de mots, aucun pour trahir l'atrocité dans laquelle on plongeait. Sous les jupons, les baise-main, les révérences, une chose; la vérité que l'on écrasait. Alors, le souvenir du sang sur les mains frappa la majesté, d'un nouveau coup dans la poitrine. Une douleur permanente qui parfois s'annonçait brûlante, pour rappeler sa présence, pour ne pas s'y habituer, pour ne pas s'y attendre, pour se laisser torturer par les remords.

Elle se souvint de l'obscurité dans lequel elle s'était plongée pour l'éternité, en commandant d'enlever l'enfant, de l'élever à une hiérarchie qu'il ne méritait pas. Voler une vie, pour lui en donner un tout autre destin. Le souvenir resterait coincé dans sa gorge à chaque mot d'amour qu'elle lui dédierait. Naiya, née à l'aube de promesses que l'on ne tiendrait pas, de secrets que l'on ne confierait pas, d'une famille qu'on ne lui présenterait pas. A l'aube de cette vie, la reine massait alors toujours son ventre d'une façon nerveuse. De peur qu'on lui enlève la fillette qui ne lui appartenait pas, de peur d'y trouver tous les maux qui la rendirent stérile, de peur d'y voir les larmes d'une mère à qui l'on avait volé un soleil. Pour devenir mère, elle avait dû priver une autre d'un enfant à chérir. Une reine-mère, dépourvue de l'instinct maternel, telle était la cruauté du hasard malsain.

  « Une princesse suit le protocole, prouvez que vous méritez la couronne, Naiya.  » lâcha une éducatrice au chignon strictement symétrique, les lèvres pincées.

Un hochement de tête suffit, apprendre, toujours, encore. Pour l'enfant qu'elle était, ce n'était qu'un désastre parmi tant d'autres. Lever le visage, sourire, saluer, se courber, mais pas de trop, le tout dans une grande prestance. Ne jamais s'arracher une naturalité modeste, pas même une minute. Ne pas être troublée, ne pas rougir, ne pas annoncer la moindre once de sincérité, ne pas éprouver, du moins ne pas le dévoiler. L'abstinence de réactions, le silence pour masque. Et toute cette hypocrisie dans la courtoisie. Le protocole écoeurait ses rêves puérils, ses envies d'aventures, et ses féeries illimitées. Le monde qu'elle voulait s'inventait se régulait à mesure des années par des codes, des formules de politesse, et des façons d'agir bien sévères et précises. Alors que son indépendance se voilait d'un devoir envers son peuple, la plus belle promesse de liberté fut celle qu'on lui fit à ses quatorze ans. Visiter la Galaxie, parcourir le monde, quitter son Consortium et sentir, entendre, toucher l'inconnu d'une main fébrile. Rencontrer, jouer, rire, pleurer, hurler, faire sans limite d'âge ou de rang. Vivre une aventure qui lui appartiendrait.

Bercée dans son lit, la chevelure brune en bataille dispersée sur l'oreiller blanc au motif délicat. Vêtue d'une légère chemise de nuit bleu nuit, elle était ensevelie sous sa couette princière avant qu'une secousse ne la force à ouvrir les yeux. Naiya renfonça d'abord son visage contre la taie, en ignorant le mouvement brusque du vaisseau. Mais une nouvelle danse de violences la fit se heurter contre le sol en vitesse, faisant saigner son nez abîmé. Elle réprima sa peur, et époussetant sa chemise, elle reprit son rang pour assumer les responsabilités d'une éventuelle attaque. C'était cela, que d'être princesse. Une couronne lourde de conséquences. Ravalant ses craintes, elle vint donc s'approcher du droïde pour lui demander en panique:

« 3-PJ, que se passe-t-il?
- Des pirates se sont introduits dans le vaisseau. Ceci est un cas d'urgence, il faut vous cacher. »

Elle essuya le sang qui coulait sur son visage, toute tremblante. Le garde qui accourait vers la demoiselle, alors qu'il la regardait dans les yeux, prêt à la protéger en l'entourant dans ses bras musclés, une fléchette lui transperça le front. Là, Naiya ne put retenir un cri de terreur. Tout ce sang, ce sang dans lequel elle se noyait. Elle retenait difficilement des larmes, et s'élançait dans une course effrénée pour échapper aux mains agressives de barbares irraisonnés. Le robot utilitaire la suivit, et ensemble, ils entrèrent dans un placard où ils se blottirent. La fillette apeurée, si jeune, trop jeune pour avoir à vivre une telle horreur. Mais sa seule décision fut celle menée par la raison. Chuchotant finalement, elle parvint à articuler fébrilement:

« 3-PJ, transmets ce message à ma mère. Mère, le vaisseau est attaqué. Je vous aime, terriblement. J'espère ne pas vous décevoir. »

Elle restait le visage immobile, incapable de pleurer, se contraignant à se taire pour ne pas attirer les pirates à sa recherche. Subitement, la porte du placard s'ouvrit sur un visage balafré, déformé par un sourire sadique. L'héritière hurla aussitôt, et balança son pieds dans la tête de son agresseur. Elle hurlait à en mourir, s'accrochant vainement aux parois métallisées du meuble tâché de sang. Ses ongles glissant dans un bruit insupportable contre la matière lisse. Un cri déchirant, le cri d'une vie qui n'était pas prête à s'évaporer. Un nouveau son vint s'ajouter à l'ambiance macabre et assassine. D'un laser qui s'enfonçait dans la peau d'un des vauriens. Et tous les corps, là, allongés, en sang alors que Naiya fermait vainement les yeux pour ne pas avoir à subir la scène. Elle resta les yeux fermés, sentant simplement un corps la saisir doucement et la calmer par un ton apaisant. Quand ses paupières se rouvrit, elle était collée à un jedi d'une trentaine d'années. Elle aurait dû le détester, repousser son réconfort, le traiter avec irrespect, mais dans ses yeux, l'étincelle de l'admiration. Elle avait un rêve, le rêve de faire cet homme sien pour qu'il fasse toujours briller la fascination dans son regard éperdu.

« Merci. » finit-elle par confier en se redressant, une fois calmée.

Le carnage n'en restait pas moins terrible. Mais, le héros balayait toute la misère. Elle ne percevait que son regard envoûtant. Elle était amoureuse d'une bravoure, et d'un héroïsme que seul cet homme saurait interpréter. Elle ne pouvait point l'oublier, elle s'était imprégnée de son parfum, il ne pouvait la quitter, elle devait le retrouver. Du haut de ses quatorze ans dont elle se sentait honteuse, la princesse s'était ancrée dans l'esprit que tout l'amour qu'elle retenait, elle le retiendrait pour lui.

Elle ne s'était jamais faite à l'idée, mais elle le prétendait lorsqu'on le lui demandait. L'Ordre jedi considéré comme mort, son héros était enterré dans les méandres de sa mémoire sentimentale. Elle s'était résignée, et même si elle ne l'avait pas fait, sa mère, elle, en aurait tranché la décision. Pour sa fille, ce serait un fiancé digne de ce nom ne cessait-elle de répéter sans que Naiya n'écouta. Mais, elle dût oublier et elle le fit par respect pour son peuple qui n'évoquait que mariage et fiançailles pour avenir à la princesse. Le temps n'était plus une entité qu'elle avait le droit de sacrifier, au titre de son amour de jeunesse perdu. Elle partit à nouveau explorer la Galaxie, dont elle apprenait encore les recoins. Ce n'était plus pareil. Pas d'attaque, pas de pirate, pas de jedi pour la sauver. Une fois, la surprise fut néanmoins de taille. La poussière de l'amour d'une vie reconstituant le visage si marquant du héros aux holos d'informations. Il était là, le seul, l'unique, celui qui avait sauvé une vie, et l'avait hanté. Celui pour qui elle ignorait toute la politique anti-jedi. Celui pour qui la couronne ne valait pas une tendresse. Son héros avait protégé le palais de Naboo, et son nom s'affichait sur l'écran sans que Naiya ne put en éprouver une certaine fierté: Hayden Horn. Il était là, presque, irréellement face à elle, quand elle se réservait de tenir dans ses bras l'image holographique. Il fallait qu'elle le retrouve, qu'elle l'enlace, qu'elle l'aime autant qu'elle l'eut admiré. Il fallait le retrouver, et tout voyage devint un nouveau prétexte pour le chercher.

Il fallait retrouver son héros.