« Est-ce que ça va ? - 'Me touche pas ! J'ai pas besoin de toi ! »

C'était avec presque violence que Laesia avait repoussé la main de son très cher frère, Bane, en prononçant ces mots. Elle savait qu'elle venait d'être injuste. Elle savait qu'elle avait tort. Après tout, ne venait-il pas de faire fuir ces stupides gamins qui s'en prenait à elle ? Mais pour dire vrai, elle s'en fichait. Du haut de ses dix ans, et tandis que Bane se vexait à vue d'oeil, Laesia préféra se relever toute seule, difficilement. Elle avait toujours profondément aimé et admiré son frère jumeau. Ce frère qui était fort, courageux et d'une gentillesse rare. En d'autre terme, tout ce qu'elle aurait aimé être. Parce que Bane, lui, ne pleurait pas pour un oui ou pour un non. Il prenait toujours les choses, bonnes ou mauvaise, avec sourire et hardiesse. Des deux, c'était elle qui avait les meilleurs résultats à l'école, mais elle savait que cela n'avait pas tant d'importance que ça. Parce que Bane était d'une impétuosité rare, si rare qu'il ne pouvait imposer que le respect. Ce n'était d'ailleurs  pas la première fois, qu'il lui venait en aide comme ce jour-là. Si bien qu'elle avait même acquit l'habitude de toujours vouloir se reposer sur lui. Néanmoins, cette fois-ci, sans trop qu'elle ne sache pourquoi, c'était différent. Pour la première fois, au plus profond d'elle, une petite pointe de colère avait surgit en entendant sa voix, colère qui ne fit que grandir encore en le voyant devant elle, face à ses assaillants. Une colère contre ce frère qui était si fort, si courageux, si gentil. Ce frère qu'elle aimait, qu'elle admirait... autant qu'elle commençait à le détester, le jalouser.


« Toutes mes condoléances. - Comment ça... "mort" ? »

Bras ballants, Laesia regardait d'un air incrédule tour à tour son père et sa mère dont les sanglots se répétaient et résonnaient inlassablement dans la maison. Complètement hébétée, vidée de toutes ses forces mais tenant encore miraculeusement debout, la jeune femme écoutait le récit de cet homme venu leur annoncer la nouvelle : Bane était mort. Un des élèves de Luke Skywalker s'était tourné du côté obscur et avait tué avec des alliés bon nombre de ses camarades. Bane en faisait partie. Il était mort. Laesia avait beau se répéter cette phrase encore et encore, elle ne sonnait à son esprit que comme un écho vide, sans la moindre signification. Mort. Pourtant, sans trop qu'elle ne le sache comment, c'était comme si elle le savait déjà : il y a quelques jours, elle s'était réveillée en pleine nuit, troublée par un sentiment puissant venu en elle en une fraction de seconde. Un sentiment de mal-être qui lui avait glacée les os, un trouble sans la moindre signification. Elle avait essayé de l'ignorer, mais en avait été incapable. Et aujourd'hui, c'est comme s'il prenait d'un seul coup tout son sens. Son frère était mort. Mais comment avait-il pu mourir ? Lui qui avait toujours été si fort, si courageux... Elle se souvenait encore, bien des années auparavant, lorsqu'elle avait apprit qu'il avait en lui ce qu'on appelait encore mystérieusement « la force ». Elle l'avait secrètement profondément jalousé, à la fois pour avoir pu rencontrer Luke Skywalker lorsqu'elle était hors de la ville, chez l'une de ses amies, mais surtout pour s'être vu déceler ce pouvoir en lui. Il ne lui avait fallut que peu de temps avant de les quitter, ses parents et elle, pour rejoindre ce nouvel ordre Jedi. Néanmoins, elle n'en avait pas moins demeuré contente et fière de lui. Depuis ce jour là, elle attendait de ses nouvelles avec la plus grande impatience. Elle lisait ses missives, écoutait ses messages via comlink avec bonheur, rêvant en douce de pouvoir, un jour, se tenir à ses côtés. Mais ces messages ne viendraient plus. Elle n'aurait plus jamais à attendre et à rêver. Parce que Bane était mort. Dès lors, une nouvelle pointe de colère naquit en elle. Mais celle-ci n'avait rien de cette pique de jalousie qu'elle pouvait ressentir pour son frère. Ce sentiment-là lui paru d'ailleurs soudainement bien dérisoire, en comparaison à cette nouvelle rancœur qui grandissait en elle. Une exécration, une rage sans limite contre cette chose qu'elle avait pourtant toujours voulu connaître : la force. Car oui, pour Laesia, c'était aussi limpide que de l'eau de roche : tout ce drame avait été provoqué par la force. Si celle-ci n'était jamais venue chambouler leur vies, Bane serait toujours auprès d'elle. Il n'aurait jamais péri des mains de ces hommes que cette même force avait mené à la folie. Oui. C'était de la faute de cette chose, si sa vie venait d'être brisée, broyée en mille morceaux. Elle n'avait que 20 ans et pourtant, voilà qu'elle était déjà piétinée par l'injustice du monde.



« Pourrais-je avoir l'honneur de vous offrir un verre ? - Avec plaisir. Je vous en prie, asseyez-vous. »

Cet homme, cela faisait un bon quart d'heure que Laesia l'avait repéré et cela n'était pas la première fois qu'elle l'avait vu dans ce café. Ses habits étaient de très grands couturiers mais constamment mal accordés et/ou froissés. Il n'avait pas d'alliance, néanmoins, il avait sans cesse ce même tic, celui de frotter la base de son annuaire avec son pouce, comme s'il tenait à faire rouler une bague imaginaire. Pour finir, un air dépité, des yeux fatigués et des cheveux toujours décoiffés malgré l'heure matinale. Conclusion : il était riche et se remettait très mal de la perte de sa femme. Femme qui avait auparavant, sans nul doute, l'habitude de l'aider à choisir ses vêtements. Lorsqu'il avait pris semble-t-il son courage à deux mains pour aborder Laesia, celle-ci n'avait pu l'accueillir qu'avec un sourire : Jackpot. Les proies les plus faciles étaient toujours celles qui se jetaient d'elle-même dans la gueule du loup. Fermant d'une main son carnet de note, celui qui ne la quittait jamais, elle invita dans une expression des plus douces son nouvel interlocuteur à prendre place. A la vue de son sourire timide et de ses gestes maladroit, l'homme n'avait certainement plus l'habitude d'aborder les femmes depuis qu'il était veuf ou divorcé - plutôt divorcé, de l'avis de la demoiselle : son tic laissait à penser que la séparation était encore fraîche et un veuf aurait besoin de plus de temps pour passer à autre chose. A moins bien sûr qu'il l'avait tuée, mais son caractère ne semblait pas celui d'un homme violent. Elle sut ainsi exactement quel rôle jouer avec lui : celui de la jeune femme douce et avenante, vivant pour ses rêves et idéaux. Un petit numéro de charme qu'elle n'eut aucun mal à mener à bien. Après tout, c'était plus d'un individu qu'elle avait réussit à rouler dans la farine grâce à son sens aiguë de l'observation et son joli sourire. Pourtant, en quittant Selots et cette maison à l'ambiance devenue si pesante depuis la mort de Bane, six ans auparavant, elle n'avait aucune mauvaise intention. Elle voulait simplement vivre sa vie. Seulement, devant l'injustice du monde et les difficultés, elle avait changé, presque spontanément. La pleurnicheuse faiblarde ayant toujours besoin de l'aide de son frère avait fait place à une jeune femme fière et insolente. Elle se voulait sûre d'elle, elle se voulait forte : puisque Bane ne pourrait plus voler à sa rescousse, il fallait qu'elle dégage la même prestance que celle qu'il imposait naturellement. De la sorte, elle n'aurait plus besoin de l'aide de personne. Plus jamais. Ainsi, lorsque son patron, dans ce magasin, s'était pour la première fois montré violent et injuste envers elle, simplement parce qu'elle était une femme, elle avait commis ses premiers vols, arnaquant les clients pour pouvoir piquer dans la caisse. Et comme si ceci avait toujours fait partie d'elle, des casses et arnaques de plus en plus grandes grandissaient dans son esprits, à mesure que ses scrupules, eux, disparaissaient. Aujourd'hui, la jeune femme s'était fait beaucoup d'ennemis. Mais elle s'en fichait. Parce qu'elle pouvait vivre de la manière dont elle l'entendait. Certes, elle ne serait jamais aussi courageuse et héroïque que son frère, mais au moins, elle avait gagné sa force de caractère, elle avait gagné sa joie de vivre. Et ça, elle ne l'échangerait contre tout l'or du monde.