Les mots que Gwen prononcent n'ont aucune intention malveillante. Bien au contraire : ils sont là pour rassurer Darell, lui faire comprendre qu'il a tout à fait le droit de reculer s'il en ressent le besoin, s'ils ont précipités les choses. La jeune femme avait envie de lui laisser une marge de manœuvre où toute cette petite discussion aurait juste eu pour but de mettre les choses à plat et ensuite de tout oublier. Ce n'était évidemment pas ce qu'elle voulait, mais après tout, il n'était pas dans sa nature s'imposer quoi que ce soit. Gwen, c'était la force de la nature, le calme, la douceur. Et pourtant, en observant attentivement le jeune homme face à elle, elle eut l'impression que ses mots étaient des couteaux aiguisés qui s'enfonçaient petit à petit dans sa poitrine comme pour l'achever. Une véritable tempête intérieure, comme si le monde s'écroulait à mesure qu'elle s'éloignait. La pilote, elle, avait l'impression d'avoir fait une erreur, d'avoir enfoncé un clou, celui qui les séparerait définitivement avant leur départ en mission. Cependant, elle ne trouvait rien à dire pour rattraper son faux pas, si bien qu'elle préférait garder le silence plutôt que de dire n'importe quoi qui pouvait être mal interprété. Alors qu'elle essuyait une dernière larme du bout des doigts, Darell vient saisir sa main, pour la retenir, ce simple contact retirant manifestement un poids de sa poitrine. Ce contact est bref, il finit par la laisser partir. Pour une raison bien simple, Gwen pense qu'il n'a pas envie d'imposer quoi que ce soit à la jeune femme, de la même manière qu'elle ne le faisait pas pour lui. De nouveau, il lui ouvre son cœur, il lui dit qu'il ne pourrait pas supporter de la voir partir sur de telles déclarations, alors qu'ils avaient déjà eu tant de mal à les faire. Prenant une décision, il finit par faire face à ses démons, sans doute motivé par le courage et la détermination de celle qu'il venait d'embrasser. Finalement, avant même qu'elle ne puisse partager son point de vue, Darell se lève brusquement, arrachant un pas en arrière à la Résistante. Elle a peur, elle craint les mots qu'il va prononcer. Va-t-il partir ? Va-t-il laisser cette conversation en suspens ? Il en avait déjà tellement dit, elle comprendrait que la situation ne soit pas propice aux bavardages superflus. Mais la vérité fut toute autre. Alors que Gwen prenait son souffle pour le devancer et ne pas l'obliger à se justifier, les mots qu'il prononcent ont l'effet d'une bombe sur elle. Comme si le sol se dérobait sous ses pieds, son sang bouillonnait dans ses veines, son cœur explosait. Son cerveau n'était plus qu'un immense volcan en éruption. Je t'aime. Il lui avait dit. Il lui avait dit si naturellement, comme si les mots s'étaient échappés d'eux même avec une simplicité déconcertante, une aisance particulière. Aisance qu'elle n'avait pas eu quelques instants auparavant. Car ils avaient failli s'échapper de ses lèvres aussi, mais elle n'en avait pas eu le cran : elle qui était décrite comme courageuse par l'homme qu'elle aimait avait fui devant la clarté de ses sentiments. Il tend la main, mais cesse son geste. Il sourit, le soulagement sur son visage est à peine dissimulé, si bien que cela achève Gwen qui pensait pouvoir encaisser pas mal de choses, avant de vivre cette situation. Pour bien appuyer ses propos, les dernières paroles du jeune homme balayent le moindre doute de l'esprit de la brune, ne lui laissant plus que de l'espoir. S'il voulait affronter ses démons, ses peurs, ses réticences, il voulait le faire avec elle, même si elle ne lui imposait pas. Ce choix, il l'avait fait seul, et si cela lui convenait, malgré tout ce que cela impliquait, qui était-elle pour l'en empêcher ? Au diable la distance, au diable les questionnements : il n'y avait plus qu'eux deux à présent. Gwen réduit la distance entre eux, d'un pas, d'eux pas. Elle est si proche que leurs poitrines pourraient presque se toucher. Levant ses yeux verts vers lui, elle sourit légèrement, contenant son émotion du mieux possible. Il était sincère. Et fragile. Et faillible. Mais c'était comme ça qu'elle l'aimait. Elle passe les bras autour de ses épaules avec délicatesse, comme s'il s'agissait d'un trésor d'une valeur inestimable : et c'est probablement ainsi qu'elle le voyait. Puis enfin, avec la même facilité que lui, Gwen réussit à prononcer les mots qui lui avaient été tant difficiles d'admettre : « Je t'aime aussi, Darell. » Inutile d'ajouter quoi que ce soit. Cela résumait tout ce qu'elle ressentait. « Et tu sais très bien que tu peux compter sur moi. Quelque soit ton choix, quelle que soit ta décision. Quel que soit ton chemin. Tu sais que je serais là. » Sa décision était dure. S'il voulait rester parmi ceux en qui il ne croyait plus. Pourtant, tout en en étant parfaitement consciente, Gwen l'acceptait. En fait, elle acceptait tout de Darell, et ce depuis bien longtemps, ses qualités comme ses défauts, ses extravagances comme ses failles. Elle vient lui voler un baiser, leur troisième, celui qui mettait un point final à leurs doutes et à leurs tâtonnements, celui qui confirmait simplement leur échange et leur envie de partager les prochains instants ensemble. A la fin du baiser, Gwen se permet de jeter un œil à la fenêtre qui donnait sur l'extérieur. La nuit tombait doucement, annonçant qu'il ne restait que peu de temps avant qu'ils ne doivent se rendre à cette fameuse mission. A demi-mots, la pilote réussit à articuler un « Ça ne te dérange pas si je reste ici pour ce soir ? » Certes, l'infirmerie n'était pas le meilleur endroit du camp. Mais remonter dans les quartiers de Tuiren maintenant n'était pas envisageable, et si elle devait passer les prochaines heures avec Darell, pour s'empêcher de penser à la bataille du lendemain, elle le ferait.