La vie de tout pilote était flanquée des moments d’humiliation et d’échecs, rarement de victoire complète. Ces dernières se comptaient sur les doigts d’une main, c’était une existence semée d’embûches à laquelle on s’habituait, disait-on, où l’on se forgeait un caractère. Il y avait les bons moments. Et puis ceux bien moins glorieux où l’on perdait des hommes, où l’on laissait derrière soit des gens d’exception. Du désastre qu’avait été la mission qui avait coûté l’existence de Lyra, Tuiren n’en avait pas tellement parlé, excepté avec son escadron. Les pilotes en mission ce jour-là en étaient sortis secoués et ils avaient tenté d’en parler entre eux. C’était un groupe soudé, et chacun connaissait Darell.

Tuiren avait du faire un effort pour se remettre au plus vite. Ses responsabilités ne lui permettaient pas de se laisser à la peine. Est-ce qu’il voulait en parler avec elle? Non, parce que malgré toute la tendresse qui l’unissait à Gwen, c’était une histoire entre Darell et lui, parce qu’au fond, pourquoi vouloir la mêler à tout ca. Elle ne connaissait même pas celui qui avait une fois été résistant, pouquoi vouloir désormais la mettre à cette histoire?

Durant un certain temps, le Rogue avait fait des efforts pour que celui qu’il considérait comme un frère rencontre sa frangine. Cela n’allait jamais au point que Tuiren avait jeté l’éponge, car parvenu à la conclusion que cela n’intéressait pas plus que cela ni Darell ni Gwen. Il ne leur en voulait pas, c’était normal de ne pas s’intéresser au meilleur ami de et au frère de.

Mais forcément cela ne l’incitait que peu à dévoiler la vérité. S’il avait du dire à Gwen la douleur de perdre un coéquipier au combat à chaque fois que cela se passait, il n’aurait jamais fini, et ce qui se passait entre pilotes, restait entre pilotes. Cela n’avait rien à voir avec leur complicité. C’était juste que certaines choses étaient faites pour être dites à certaines personnes, et certaines pour être dissimulées.

Chaque homme perdu en combat, tous étaient comme des cicatrices dans son être, et Lyra une parmi les autres, et pourtant…

Il se souvenait de chaque moment, de son corps sans vie, et des yeux de Darell, de ce regard qui lui hurlait qu’il était responsable.

Il se souvenait de s’être senti misérable, exécrable, nul à souhait, incapable.

Darell était parti et la vie avait continué, mais la plaie était restée ouverte. La douleur étouffée dans une routine et une guerre à mener.

Peut-être était-ce une erreur, peut-être que la colère qu’il avait éprouvée en voyant l’holo était un signe, celui qu’il n’avait pas encore oublié, et que la douleur aussi profondément enfouie soit-elle, ne demandait qu’à ressortir.

- Darell avait une petite amie à l’époque, Lyra, et c’était une de mes coéquipières. Un jour elle s’est portée volontaire pour une mission d’espionnage. Nous devions l’escorter de retour. Mais la mission ne s’est pas déroulée comme prévue.

Il ne voulait pas donner plus de détails que nécessaires.

- Elle n’est pas rentrée vivante.

Sa gorge s’était serrée, ses mots trébuchaient. Il s’en voulait. Il revoyait le visage de Lyra. Cette femme souriante avec qui il avait partageait plus d’un éclat de rire, plus d’un moment de complicité. Celle qui rendait heureux Darell et qui était chère à son escadron.

- Voilà l’histoire.

Ses yeux disaient plus que le reste, plus qu’il ne désirait dire vraiment.

- Je vais me doucher.

Il la laissa prendre ses aises et se rendit dans la salle de bains. L’endroit était une pièce de taille réduite, plus fonctionnelle que luxueuse. Il se faufila sous la douche, y laissa l’eau noyer les pensées noires. Puis quand il ressortit, vêtu de vêtements plus seyants et propres, l’expression sur son visage s’était tranquilisée.

- Désolé de m’être emporté.

Prenant place à ses côtés, il passa la main sur sa joue. Le Tuiren qu’il était désormais était peut-être différent de celui qu’elle avait connu, ou de celui qu’elle coryait voir, mais il n’était pas moins lié à elle. Le fait de ne pas tout dire n’ôtait pas la tendresse. Ni l’importance qu’elle avait pour lui. Il ne fallait pas qu’elle voit dans son refus de lui dire une trahison. Cette complicité qu’elle voulait garder intacte n’existait plus, mais elle n’avait pas disparu. Elle s’était tout simplement transformée. Et Gwen était restée dans ses souvenirs, refusant de faire un pas en plus. Pour le reste, elle comprendait sans doute. Raconter était pénible, et puis de toute facon, pourquoi aurait-elle été intéressée par cette histoire? Elle n’avait jamais pris le temps pour connaitre son meilleur ami. Quelle importance désormais d’y revenir.

- Je n’ai plus de nouvelles de Darell de toute facon.

Il haussa les épaules, se glissa près du minuscule cellier personnel qu’il possédait, et sortit de quoi manger.

- Ca fait longtemps qu’il est parti maintenant.