« Arrête de mentir. » La gosse lève les yeux au ciel, secouant la tête comme pour chasser ces idées absurdes. « Je vivais pratiquement au magasin. » Elle n'avait pas vraiment besoin de se justifier, ils savaient autant l'un que l'autre qu'ils étaient tous les deux très impliqués dans la tenue du magasin de leur parents. Gwen se laisse entraîner par son frère jusqu'à ses quartiers, la gamine est curieuse d’atterrir entre les murs qui ont remplacé leur foyer. Chaque regard portés lui rappelle avec nostalgie leur passé. Même si cela se révélait être exiguë, elle était consciente qu'il en fallait peu à son frangin pour être à l'aise, d'autant plus qu'il était largement occupé, suffisamment pour que ses quartiers ne soient qu'un point de repère dans lequel échouer. Elle devait cependant avouer qu'il était joliment aménagé, même si elle préférait son infirmerie au sein de son vaisseau, qui la voyait vivre chaque minute. « Joli. Tu aurais pu tomber pire. » Il fallait évidemment prendre en compte le statut de Tuiren qui pouvait se vanter d'être un élément indispensable de la Résistance. Gwen avait placé ses espoirs en son petit frère très tôt, elle le savait capable de beaucoup de choses et le seul frein à ses capacités étaient sa flemmardise hors pair. Il semblait avoir dépassé ce stade afin de prendre en charge un escadron Rogue. Il s'était fait sa place et il ne pouvait pas plus combler sa frangine de fierté. Une fois installés, Tuiren se retourne vers la brune, lui lançant un regard mystérieux alors qu'il fouille dans une cachette. « Et, roulement de tambour madame. » La gosse hausse un sourcil, intriguée par ce qui lui est réservé. Son frère était du genre attentionné et il pouvait alors loin pour lui faire plaisir. Puis, la jeune femme vit s'extraire une bouteille de whisky, et elle en contient un petit cri de joie: boire en compagnie de Tuiren était devenu assez rare avec le temps, d'autant plus qu'elle raffolait de cette boisson. Elle frappe dans ses mains comme une gamine qui attend son cadeau d'anniversaire. « Oh bon sang, tu me connais trop bien ! » Elle s'approche de la bouteille pour en observer l'étiquette. « Sors les verres, sors les verres! » qu'elle s'égosille avec joie. « Il faut fêter que nous soyons de nouveau ensemble, et que tu nous ais rejoints. » Gwen remarque une petite grimace qu'elle ne peut s'empêcher de relever. « Quoi ? » Elle scrute son visage en quête de réponse. « Enfin que vous nous ayez rejoints. Tu sais j’aimais bien ton patron mais là… » Il était évident qu'elle n'allait pas y couper. Ce sujet alimentait leurs conversations depuis maintenant quelques temps, il ne pouvait jamais s'empêcher de faire part de son mécontentement lorsqu'il s'agissait de Viktor. Gwen était d'ailleurs intimement persuadée que Tuiren attendait sagement le moment opportun pour lui en coller une. L'idée venait de Viktor, et Gwen l'avait suivi sans se poser de questions : de nombreuses disputes ont éclaté, sans pour autant éloigner la fratrie. S'il avait pu, il serait même venu jusqu'à son chevet lorsqu'elle s'était fait implanter cette fameuse puce. Tuiren s'effondre sur un canapé, la bouteille à la main. La médecin tente de trouver des verres dans ses placards, et finit par les poser en face d'eux alors qu'elle vient s'asseoir en face de lui. Elle le scrute avec attention, elle sait qu'il va engager la discussion. « Gwen pourquoi fais-tu ça? Que gagnes-tu ? Je sais que tu ne veux pas les laisser. Mais je suis certain qu’il y d’autres moyens. » Elle sait pertinemment que l'objectif du pilote est qu'elle change d'avis. Qu'elle accepte de retirer la puce, qu'il aille supplier sa hiérarchie d'épargner ce traitement à Gwen. Il lui suffisait d'un mot, d'une promesse : tout le monde savait qu'il tenait à sa sœur de cœur plus que de raison, il en était de même du côté de la jeune femme. Mais elle ne pouvait accéder à sa requête et il le savait. Il ne voulait simplement pas vivre avec un danger supplémentaire. Toute leur enfance et adolescence, il s'était efforcé de la protéger du moindre mal, comme une poupée de porcelaine. Le feeling était passé presque immédiatement après qu'elle aie commencé à travailler au magasin et il n'avait jamais sombré malgré les années. Elle soupire, la poupée. Elle cherche ses mots, mais elle n'évite pas le regard de son frère. « Si pour prouver ton allégeance à la Résistance, tu devais avoir recours à des moyens extrêmes ? Toi et toute ton équipe. L'équipe avec qui tu as vécu des moments de joie, des moments de peine, les gens à qui tu confies ta vie en mission, ceux qui sont morts et qui ont failli mourir à tes côtés... Est-ce que sous prétexte que tu as une alternative pour sauver ta peau, tu trahirais tes camarades ? Parce que c'est ce dont il s'agirait : d'une trahison. Tu le sais. Viktor le vivrait ainsi. » Prononcer le nom de Viktor est une mauvaise idée, elle le sait. Le fait qu'ils soient amants était complètement égal à Tuiren, autant que le fait qu'il soit son patron. Seule cette histoire de puce avait mit du feu aux poudres, et tout attendait simplement de pouvoir exploser. Elle se penche afin de récupérer la bouteille, et elle sert leurs deux verres d'un fond de whisky. L'alcool aiderait ou n'aiderait pas cette conversation, mais il permettrait bien des choses. « Écoute Tui, je t'aime. Tu le sais. » Gwen ne rechigne jamais à dire cette vérité. Mais elle le dit d'une manière tellement qu'on la penserait déjà condamnée si on ne connaissait pas la conversation. Comme un ultime je t'aime avant le dernier souffle. « Je t'aime et je n'aime pas non plus savoir que tu risques ta peau en permanence. Ce que je voudrais moi, c'est qu'on rentre, qu'on vive une vie normale. Que t'aie une maison, une femme et des gosses qui m'appelleront tata. » Elle sourit à cette pensée. « Que je rentre de mission et que je puisse te retrouver sain, sauf, heureux, sans ces tensions et ces conflits. Sans cette puce dans mon cerveau qui pourrait exploser si jamais on considère qu'on franchit la ligne de notre collaboration. » Elle tend le verre à son frère d'une main, tandis qu'elle serre le sien dans l'autre. « Mais ce n'est pas possible. On est embrigadés dans cette situation et maintenant on doit survivre. Tu risques ta vie en mission pour la Résistance ; moi aussi, dans d'autres conditions. Et ne blâme pas Viktor, c'était ma décision. Il ne m'a pas forcée. J'aurais pu quitter l'Omega et rentrer. Mais je ne suis pas une fuyarde et tu le sais. »