Price is what you pay, value is what you get.

L’assurance du chasseur de primes, bien qu’agaçante, était également rafraîchissante. En ces périodes troublées, quelqu’un disposant d’une répartie aussi peu sérieuse était un atout à ne pas négliger. Tout ce que Mara espérait, c’était qu’il se montrerait plus sérieux le moment venu. Ce soir, par contre, elle ne pouvait pas réellement lui reprocher son attitude badine. Qu’il soit pénétré par effraction dans ses quartiers était un autre problème qu’elle avait choisi de remettre à plus tard – le temps des représailles viendrait bien assez tôt. La détermination dont il semblait faire preuve à son égard la laissait dubitative, notamment parce qu’elle ne saisissait pas l’intérêt qu’il pouvait avoir à passer la soirée auprès d’elle. Pensait-il sincèrement qu’il suffisait d’une bouteille de vin pour qu’elle succombe à son charme ravageur ? C’était bien mal connaître la fille de Kuat que de penser qu’elle se laisserait porter par quelques pulsions inassouvies. Ceci dit, il n’y avait rien de mal à profiter de l’alcool qu’il avait ramené – surtout vu la valeur de ce dernier. Non pas que le Mandalorien soit repoussant, au contraire même, mais le mode de vie très strict que Mara s’imposait ne laissait guère de place à ce genre de débordement. Même si, il fallait l’avouer, elle se sentait plus libre de ses agissements sous l’œil indulgent du mercenaire.

« Pardon ? Ma tenue te déplaît ? Si j’avais su que tu comptais passer, j’aurais fait plus d’efforts. C’est le risque de s’introduire chez les gens non-invité. » C’était faux, bien évidemment. Les seules fois où elle consentait à quitter son uniforme, c’était lorsqu’elle devait poser le pied sur la terre ferme. Ou lorsqu’il fallait qu’elle passe incognito quelque part. Après avoir passé presque deux décennies en tenue militaire, c’était presque devenu une habitude pour elle. « Tu t’en remettras, je suis sûre que tu as eu des blessures plus sérieuses. »

Lorsqu’il tenta de la rassurer sur ses intentions vis-à-vis de son équipage, elle se contenta d’hausser les sourcils avec un sourire malin. Même s’il n’était pas venu pour ça, elle n’avait pratiquement aucun doute sur ce qu’il ferait si l’une de ses subordonnées lui faisait les yeux doux. Après tout, un mercenaire n’était en rien obligé de suivre les règlements… Et selon l’avis de certains, il aurait tort de se priver considérant que la guerre pourrait bien les faucher à tout instant. Mara rumina d’ailleurs cette pensée en dégustant quelques gorgées de vin, étudiant son interlocuteur avec un regard curieux. Carpe diem, une expression qu’un vieil ami avait l’habitude de lui sortir régulièrement ; notamment lorsqu’elle lui reprochait d’avoir dû le couvrir auprès de leurs instructeurs parce qu’il avait roulé sous la table la veille. « T’sais Mara, dans notre vie, la mort peut survenir à tout moment. J’vois pas pourquoi je m’embêterais avec des ‘si’ et des ‘peut-être’. J’prends la vie comme elle vient, tant pis si ça me fait finir dans le fossé de temps en temps. Au moins, j’aurais pas de regrets. » La dernière fois qu’elle l’avait vu, il était affecté en garnison sur Hosnian Prime. Quelques jours avant la destruction de la planète. Depuis, silence radio. Et avec les récents événements, elle n’avait pas eu le temps de lancer de recherches à son sujet. Peut-être pouvait-elle prendre ce temps, à présent.

« Donc… je devrais être flattée de ton intrusion, c’est ça ? »

Elle remua doucement le liquide pourpre dans son verre, jetant une œillade railleuse au mercenaire. La discussion bifurqua vers ce dîner qu’elle lui avait refusé un peu plus tôt et la Résistante étouffa un rire involontaire. Avait-elle blessé sa fierté de Mandalorien, au final ? Etait-ce de ça qu’il s’agissait ? Il risquait d’être déçu avec elle, parce qu’elle n’hésiterait jamais à l’envoyer sur les roses si ses propositions lui semblaient déplacées ou inutiles. Imitant sa position, elle se pencha :

« Mon honneur est sauf, alors. » Elle plissa les yeux, espiègle. Il n’était pas le seul à pouvoir jouer sur les termes. « Mais peut-être que tu as mal interprété mon refus ? C’était peut-être juste… un vrai refus. »

Mara remua une épaule d’un air nonchalant, reprenant également sa position en levant le verre devant son visage. A nouveau, elle croisa les jambes, battant la mesure dans le vide avec son pied. Les questions de Vizla semblaient sans queue ni tête, mais elle soupçonnait un dessein bien particulier – ce qui, inévitablement, amena un sourire sur ses lèvres.

« J’ai mes essentiels, c’est tout ce qui compte pour le moment. J’aurais pensé que tu serais le genre de mercenaire à te satisfaire d’une bonne bouteille et d’un lit. Le minimum syndical, en somme. » Elle sembla hésiter un bref instant. « Quoi que, même le lit doit te sembler superflu. » Le sourire de la rouquine s’élargi légèrement. Quoi ? C’était lui qui avait lancé les hostilités. Et ici, personne ne pourrait lui reprocher de lui avoir rendu la monnaie de sa pièce. « Et personne ne s’est encore plaint du bruit que je pouvais faire, donc je pense que ça répond à ta question. »

Le vin descendait plus rapidement qu’elle ne l’aurait cru. Un détail qu’elle n’aurait pas négligé si Viktor ne venait pas de lancer le sujet de l’Omega. Elle n’avait eu droit qu’à quelques hologrammes et des rapports sur le vaisseau, mais les modifications que son équipage y avait apporté le rendait unique en son genre. Et en digne fille de Kuat, Mara possédait une curiosité sans bornes lorsque cela touchait à la mécanique spatiale. Encore une preuve, selon ses parents, qu’elle avait gâché sa vie en la mettant au service de la Nouvelle République. Une étincelle prit naissance dans les prunelles amusées de la Résistante et elle se pencha légèrement vers le mercenaire, portant le verre à ses lèvres de façon machinale.

« Là, tu m’intéresses. Qu’est-ce qu’on attend ? »

Qui ne tentait rien n’obtenait rien. Mais étrangement, elle doutait que le chasseur réponde favorablement à sa requête… maintenant qu’il avait obtenu un certain moyen de « pression » sur elle, il s’en servirait probablement. Mara vrilla son regard au sien, partagée entre son intérêt purement professionnel et la provocation d’affronter le Mandalorien sur ses connaissances mécaniques.

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L’équipage du Protector était composé à la fois de Républicains et de Résistants, aussi toutes les règles de l’environnement militaire ne pouvaient décemment pas s’appliquer au personnel du vaisseau. Il avait fallu faire des compromis, mais puisque la majeure partie étaient des soldats, certaines vieilles habitudes avaient perduré. Un uniforme commun, quelques règles de bienséance, et d’autres purement logiques. Même s’ils fonctionnaient sur un modèle similaire, ils n’étaient pas confinés à la même rigidité que celle à laquelle Mara avait été confrontée ces dernières années. En bien comme en mal, d’ailleurs. Pour le moment, le commandant s’ajustait à ses subordonnés, et eux à elle : la prochaine bataille montrera si leurs différences étaient un handicap ou une force. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire en voyant la rouquine, elle n’était pas fermée aux améliorations que l’on pourrait lui proposer. Le plus important pour elle était que chacun se sente à sa place sur le Protector et qu’il soit au maximum de ses capacités lorsqu’elle en aurait besoin. Elle était stricte, exigeante aussi, pas stupide ou trop fière pour songer qu’elle avait la science infuse. Et puis ce n’était pas parce qu’elle avait suivi une formation militaire qu’elle s’attendait à ce que tout le monde suive ses préceptes. Ce qui était valable pour la Nouvelle République ne l’était pas forcément ici.

« M’est d’avis que tu tombes souvent dans ce genre de quiproquos, » commenta simplement Mara en sirotant son vin.

Elle perçu, brièvement, le regard du mercenaire s’orienter ailleurs – comme si son esprit était en pleine réflexion – mais elle n’émit aucun commentaire supplémentaire. Etrangement, répondre à ses piques et en émettre à son tour lui arrachait des sourires alors qu’elle faisait de son mieux pour les retenir. Si elle n’avait pas été à la tête de ce croiseur, si leurs chemins s’étaient croisés quelques années plus tôt, sans doute aurait-elle pu profiter de la compagnie du Mandalorien. « J’vois pas pourquoi je m’embêterais avec des ‘si’ et des ‘peut-être’. J’prends la vie comme elle vient, tant pis si ça me fait finir dans le fossé de temps en temps. » Mara secoua doucement la tête, remuant ensuite les épaules à la réponse de Viktor.

« J’aime mon confort aussi. Dommage que tu ne puisses pas tester mon lit. »

Elle haussa les sourcils, une esquisse amusée au bord des lèvres. Comme la rouquine s’y attendait, il ne la laisserait pas obtenir cette visite sans une contrepartie. Elle hésita un moment avant de trancher, n’étant de toute façon pas une buveuse solitaire non plus. Et puis il avait raison : un bon vin ne se gâchait pas.

« Marché conclu. On y va ? »

Mara aurait pu se déplacer les yeux fermés dans les corridors du monstre métallique. Elle avait étudié si régulièrement les plans du Protector qu’elle pouvait presque les voir en fermant les yeux. Ce vaisseau était sien, même si officiellement il était toujours la propriété de la Nouvelle République – ou de la Générale Organa, finalement. Ils rejoignirent les baies d’amarrages en quelques minutes grâce à l’ascenseur principal, ne croisant que quelques membres d’équipage sur le chemin. La plupart devaient être au réfectoire à cette heure. Il manquait aussi quelques effectifs pour qu’ils soient au complet, mais elle était présentement en train de régler ce problème. Ils passèrent devant les X-Wings de l’escadron Rogue, auxquels la Résistante adressa un long regard, puis parvinrent à la troisième baie qui regroupait tous les transporteurs. L’Omega jurait presque avec les teintes métalliques par ses peintures bleutées, et sa forme allongé détonnait avec les silhouettes rectangulaires des autres vaisseaux. En s’approchant du cargo, elle jeta un coup d’œil vers Viktor, percevant presque immédiatement l’étincelle de fierté dans ses prunelles. Tout comme elle, il considérait l’Omega comme une part de lui. Sans doute plus, puisqu’il avait participé à ses modifications alors qu’elle n’avait fait qu’hériter des commandes de son croiseur. Avant de profiter de son invitation pour monter à bord, elle se permit de faire rapidement le tour de la bête, admirant l’armement qui avait été rajouté au cargo. La puissance de feu ainsi obtenue était admirable, combinant rapidité et efficacité sans entraver la maniabilité de l’engin. Elle laissa ses doigts courir sur la carlingue froide, et, une fois sa curiosité satisfaite, passa à l’intérieur.

Joignant ses mains derrière son dos, Mara arpenta lentement la soute, saluant d’une moue satisfaite les transformations apportées. C’était ingénieux, il fallait l’admettre : l’équipage possédait certes un espace plutôt restreint, tout du moins à première vue, mais ils pouvaient transporter facilement du matériel ce qui s’avérait un avantage à ne pas négliger pour des chasseurs de primes. Evoluant sous l’œil attentif du mercenaire, elle s’engagea dans la seconde partie du vaisseau, découvrant la salle commune. Elle continua sa découverte, passant par la cuisine, revenant vers l’infirmerie, puis au vif du sujet : l’armurerie. Elle avait pour le moment délaissé le petit corridor qui devait probablement mener aux cabines, laissant sa curiosité la diriger vers le point névralgique. Mara s’immobilisa à l’entrée, son regard parcourant la salle en silence. Et, toujours sans mot dire, s’orienta vers les armures.

« On a fait quelques emplettes ? »

Si certains équipements trahissaient leur ancienneté par l’usure naturelle, d’autres semblaient flambant neufs. L’équipage de l’Omega s’était préparé à toute éventualité, et surtout à provoquer un maximum de dégâts. Une ouverture sur le côté de la salle indiquait un poste de tir extérieur. Ses doigts passèrent sur une plaque d’armure bosselée, dérivant par la suite vers la crosse des blasters et en attrapa un au hasard pour l’examiner. Comme elle s’y attendait, ces armes semblaient pour la plupart être modifiées. Il semblait logique que des chasseurs possèdent un armement non-conventionnel, à la fois pour faciliter leurs entreprises, et parce qu’ils les achetaient sûrement dans des marchés noirs. Mara fit pivoter l’arme autour de son index en se rapprochant du mercenaire – ses pas, lents et mesurés, lui donnaient l’allure d’une chasseuse prête à bondir.

« Tu m’excuseras, mais… » Seuls quelques centimètres les séparaient. Elle leva ses iris pâles vers lui, l’ombre d’un sourire ourlant ses lèvres. Et subitement, lui plaqua l’arme sur le torse en se faufilant derrière lui. « … Je fais comme chez moi ! »

Le poste de pilotage fut son dernier arrêt. Si l’essentiel de la visite s’était déroulé en silence et plutôt rapidement, elle émit un rire satisfait en atteignant son terme. Sans même attendre que Viktor le lui propose, elle s’installa dans le siège du pilote principal et fouina dans les commandes. Sans la moindre hésitation. Brièvement, elle eut l’impulsion de démarrer l’Omega pour voir ce qu’il avait dans le ventre, mais elle la réprima : ce n’était pas sérieux, et le vaisseau ne répondrait probablement pas. Si Vizla avait veillé à ce qu’il soit personnalisé, seul son équipage devait pouvoir le manipuler. Tout comme certaines commandes du Protector n’étaient accessibles que par Mara. S’extirpant presque à contrecœur du siège, elle revint vers le mercenaire.
 
« J’aurais aimé avoir plus de temps pour découvrir ce qu’il a dans les circuits, mais c’est un vaisseau unique en son genre. » Se glissant derrière le Mandalorien pour revenir sur ses pas, elle posa sa main au creux de son coude. « Un peu comme son capitaine… » Le contact ne dura qu’une poignée de secondes, Mara continuant son avancée. « Ou son équipage. »

Elle s’arrêta dans la salle commune, ses prunelles valsant d’un détail à l’autre. L’endroit, bien que vide, avait cette chaleur propre aux petits vaisseaux – l’essence d’un foyer. La Résistante s’appuya contre la table, sa curiosité satisfaite pour le moment. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle refuserait une seconde visite. Elle pencha la tête en observant Vizla avec un demi-sourire en coin.

« J’imagine que tu veux terminer cette bouteille ? »

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Sous ses airs de mercenaire nonchalant et perpétuellement provocateur, Viktor se révélait progressivement être bien plus raisonnable qu’elle ne l’aurait imaginé. Son équipe n’était pas parvenue à ce niveau de réputation intergalactique sans talent, bien évidemment, mais c’était autre chose que de découvrir l’homme derrière le nom. Quelques fois dans la visite, Mara avait perçu son regard empli de fierté, et rarement de peine. Leia lui avait confié que les raisons pour lesquelles les mercenaires s’étaient engagés étaient principalement liées à la vengeance… et lorsqu’elle avait demandé au Mandalorien de s’exprimer sur ses motivations, il avait été parfaitement clair. Chaque membre de ce vaisseau était un membre de sa famille. Un concept qui parlait bien plus au commandant qu’elle ne l’admettrait jamais. La loyauté et le dévouement de Mara envers les siens était autant connu que sa fermeté ou son ingéniosité. C’était un fait établi, et personne n’avait besoin de connaître l’intensité de ses sentiments envers eux, ni ce qu’ils représentaient au-delà de leurs rangs et de leurs affectations. Peur de s’exposer ? Sans doute. Un peu comme dans ses relations privées, en somme. C’était l’une des principales différences qui semblait ressortir du discours de Vizla. Il n’avait pas peur d’admettre la place qu’avait son équipage dans sa vie, tout comme… tout comme il donnait finalement l’impression de n’avoir peur de rien. Ce n’était qu’un masque, forcément, toutefois son assurance naturelle donnait le change.

« Ou peut-être que je le volerais sous ton nez un jour, ce serait de bonne guerre. » Elle se corrigea. « Que je te l’emprunterais. » Mais suite à sa remarque précédente, sur le fait que l’équipage ressemblait souvent à son capitaine, Mara esquissa un sourire entendu. « Tout bon capitaine sait que ce n’est pas à lui d’imposer sa vision des choses, il doit s’entourer de personnes la partageant. Mes méthodes diffèrent probablement de celles de la Résistance, mais nous avons un but commun. » Elle haussa une épaule, continuant sur un ton nettement plus amusé. « Et je ne sais pas que réprimander mes troupes, je me débrouille plutôt bien pour les discours d’encouragement. »

Ils continuèrent à discuter sur le chemin du retour, enchaînant anecdotes sur anecdotes, partageant finalement quelques pans de leur vie. A leur première rencontre, seulement une poignée d’heures plus tôt, elle n’aurait pas imaginé qu’ils puissent échanger aussi facilement. A dire vrai, l’agacement qu’elle ressentait vis-à-vis du mercenaire disparaissait progressivement, sans même qu’elle ne s’en rende compte. C’était reposant de ne pas avoir à surveiller la moindre de ses paroles, de ses gestes. L’attitude de Mara n’avait pas changé du tout au tout, néanmoins un œil averti aurait remarqué ses sourires plus fréquents qu’à l’accoutumée, ou ses épaules relâchées. L’aisance du Mandalorien l’avait détendue, instillant l’illusion d’une relation amicale de longue date. La façon qu’il avait de traiter tout le monde de la même façon détruisait tout simulacre de barrière qui aurait pu se créer. Il ne faisait pas de distinction, parlait sans détours : sa franchise pouvait rebuter autant que plaire. Et son absence totale de protocole, détail ayant dérangé la fille de Kuat dans ses rapports préliminaires, finissait par devenir peu importante. Cela faisait partie du personnage. Cette fois, ils ne croisèrent personne en revenant à ses quartiers, et Mara se surprit à ouvrir la porte pour le laisser entrer. Geste qui ne passa pas inaperçu chez le chasseur de primes et qu’il s’empressa de relever.

« J’ai envisagé de te laisser là, mais tu aurais fini par trouver un moyen de contourner la sécurité. Encore. » Elle ajouta d’un ton plus malicieux : « Et puis tu t’es proposé pour terminer la bouteille. »

Ce n’était pas tout à fait exact. Si Viktor voulait effectivement que le vin ne se perde pas, il n’avait jamais prétendu le faire disparaître seul. La Résistante le savait parfaitement, ce qui ne l’empêchait pas de jouer sur les mots pour le prendre au dépourvu. Ils reprirent leurs sièges et leurs verres, laissant de nouveau la discussion dériver. Quelques minutes après, cependant, il lui proposa une partie de Sabbac en sortant le jeu de sa veste. Son jeu était plus osé que celui qu’elle avait l’habitude de faire, aussi Mara leva-t-elle les yeux au ciel. Evidemment qu’elle allait refuser… A moins d’être certaine de ses capacités pour remporter la partie. Ou que ce fichu vin ne lui monte à la tête. Elle fit claquer sa langue sur son palais, s’appuya sur l’accoudoir pour le regarder préparer ses cartes.

« Tu tiens tant que ça à te retrouver totalement nu face à moi, et pour de vrai cette fois ? » Autant le prévenir qu’elle n’était pas une novice en la matière. « La question peut porter sur n’importe quoi, du moment qu’elle est personnelle ? »

Ainsi, elle acceptait. Sa décision pouvait sembler surprenante lorsque l’on ne connaissait pas l’intérêt du commandant pour le sabbac. Comme n’importe quelle recrue militaire, elle avait passé de longues après-midis et d’interminables soirées sur ce jeu intergalactique. Parfois en ne jouant que pour le plaisir, d’autres fois avec des crédits dans la balance. Sans être une championne, elle se débrouillait généralement suffisamment bien pour repartir avec les gains engagés. Mara repoussa ses mèches rousses, son expression se faisant plus sérieuse en vue des parties à venir. Dans un premier temps, elle le laisserait probablement gagner, afin de déterminer son niveau et ses coups favoris. Tant pis si elle devait pour ce faire dévoiler quelques endroits de son corps – il en avait déjà eu un bel aperçu tout à l’heure, de toute façon.

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Mara commençait à s’habituer à l’assurance du chasseur de primes, ainsi même s’il ne réagit pas à sa provocation comme elle l’espérait – en révisant sa proposition – elle ne se laissa pas démonter. Il avait beau arborer un air bravache, elle connaissait aussi ses propres limites. Bien sûr, la défaite était envisageable, mais ils n’avaient pas statué de quand leur partie devrait se terminer. La Résistante pouvait très bien y mettre fin si les choses tournaient trop mal pour elle. Ou dans leur cas, pour ses vêtements. Elle se débarrassa d’un geste de ses chaussures, croisant les jambes sur son fauteuil pour s’assurer une position plus confortable. Demeurant silencieuse le temps qu’il mélange le paquet de cartes, elle sirota son vin en le suivant du regard. La première manche se déroula tout aussi tranquillement, laissant aux adversaires le temps de s’apprivoiser et de se jauger. Viktor semblait plutôt bien se débrouiller également, puisqu’il remporta cette bataille – même si, évidemment, pour ce premier échange, elle ne lui avait pas opposé de véritable résistance. Juste assez pour qu’il ait du répondant. Avec un sourire provocateur, elle se débarrassa de ses socquettes noires.

« Intéressant. » « Tu n’as jamais dit que ça devait être des vêtements. J’aurais pu être plus joueuse et garder mes chaussures pour la première manche, » répliqua-t-elle avec un amusement certain. La question lui soutira un bref silence, et elle se laissa le temps de la réflexion en prenant une nouvelle gorgée pourpre. « Qui a dit que les relations étaient interdites ? Le Protector n’est plus sous un régime militaire à présent, et certains de ses membres sont de purs Résistants n’ayant jamais fait leurs classes. » Elle pencha la tête sur le côté sans se départir de son sourire. « Ce serait plutôt injuste de leur imposer ça. Du moment qu’ils laissent leurs histoires dans leurs quartiers, ils peuvent faire ce qui leur chante. En ce qui me concerne… » Mara s’appuya contre le dossier de son fauteuil, ses prunelles luisant d’une malice peu coutumière. « J’ai de multiples jouets pour passer ma frustration. Tu veux les voir ? »

Et, anticipant pratiquement sa réponse, elle quitta son siège pour se rendre dans sa chambre à coucher. Avisant les objets, elle réprima un rire espiègle. De la pièce attenante, elle interpella le mercenaire. Le ton de sa voix était différent, suave et empli de promesses.

« Je suis sûre qu’ils vont te plaire… »
 
Revenant sur ses pas, elle lança subitement lesdits objets au visage d’un Vizla probablement surprit par son geste. Il put néanmoins récupérer au vol l’étui qui contenait ses électrostaffs ; elle le rejoignit, s’appuya sur le haut de son fauteuil pour contempler sa réaction avec un air satisfait.

« On pourra peut-être s’amuser avec la prochaine fois. Qu’est-ce que t’en dis ? »

Question purement rhétorique : on ne s’amusait pas avec ce genre d’arme. Pas lorsqu’elles étaient allumées, en tout cas. Une décharge pouvait arrêter le cœur d’un homme adulte si elle durait plus de cinq secondes… autant éviter de tuer quelqu’un pendant un entraînement. Fière de sa mise en scène, Mara reprit sa place en s’abreuvant, récupérant les cartes pour les battre à nouveau avant de les distribuer. Pour cette seconde manche, elle poussa son adversaire dans ses retranchements, avant de lui asséner le coup de grâce : sa victoire, cette fois, était le fruit du hasard et d’une pioche plutôt fructueuse. Elle posa son menton dans le creux de sa paume en rivant son regard sur le mercenaire tandis qu’il retirait l’un de ses vêtements.

« La notion d’interdire les relations dans un équipage semble te paraître frustrante. Est-ce que c’est parce que tu as une ou plusieurs liaisons avec ta propre équipe ? »

Non pas que ça soit déterminant. Il pouvait bien faire ce qu’il voulait avec les siens, mais il avait engagé l’interrogatoire sur un terrain différent de ce à quoi elle s’attendait. Donc Mara avait répondu sur un ton similaire, cherchant à déterminer jusqu’à quel point Viktor serait prêt à se dévoiler. Et puis en un sens, cela lui permettrait également de savoir si elle avait raison de le considérer comme un homme à femmes. Peut-être pourrait-elle lui rappeler, plus tard, qu’il avait une compagne à retrouver. Non pas que ça l’intéresse, évidemment.

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Finalement, les deux derniers verres semblaient s’être vidés en moins de temps qu’il ne fallait pour dire « Jabba le Hutt. » Comme souvent, le sabbac faisait passer le temps bien plus vite et cette version avait en quelque sorte plus d’enjeux que les autres. Piquée au vif par chaque affrontement, Mara ne prêtait plus attention aux signaux de son propre corps – ceux qui lui disaient qu’il serait temps d’écourter la dégustation de vin, notamment. Au contraire, même, les risques pris lui donnaient la sensation factice d’être assoiffée, ce qu’elle tentait de satisfaire avec l’alcool fourni. Décision que le commandant n’aurait sans doute jamais prise… mais que la femme derrière le grade ne trouvait pas si mauvaise en fin de compte. Cela lui permettait de songer à autre chose, à ne plus aborder les problèmes qui venaient avec sa récente affectation au sein de la Résistance. Et même, la peine qui subsistait et qu’elle refusait de laisser se transformer en colère n’avait subitement plus tellement d’importance. Que ce soit l’effet du vin, du jeu, ou la compagnie du mercenaire, Mara se détachait lentement du reste du monde. Ces quartiers auraient pu se situer à l’autre bout de la galaxie qu’elle n’aurait pu être davantage éloignée de ses préoccupations coutumières.

Malheureusement, la douce ébriété qui la guettait n’améliorait pas son talent au sabbac. D’autant plus lorsque les Etoiles elles-mêmes souriaient au chasseur de primes, lui conférant une chance désinvolte et presque agaçante. Elle pinça les lèvres devant sa victoire imminente, faisant durer la partie alors qu’elle en connaissait pertinemment l’issue. S’autorisant toutefois quelques secondes pour ressasser la précédente réponse de Viktor, elle songea à la façon qu’il avait d’envisager les relations. Son esprit militarisé avait quelques difficultés à imaginer un équipage qui se laissait volontiers aller à une familiarité plus intime sans que cela n’impacte sur leur efficacité sur le terrain. Bien évidemment, le fait qu’elle ait été formée dans cette optique rendait sûrement le problème plus épineux dans sa tête qu’il ne pouvait sûrement l’être, mais… Quand même. N’y avait-il réellement aucun risque de compromettre une mission ? Aucun risque de se perdre, d’oublier les limites imposées ? Le dernier mouvement du mercenaire termina l’échange, laissant Mara dans l’obligation d’affronter sa défaite.

Avant de se délester d’un vêtement – entre son maillot de corps et son pantalon, le choix n’était pas très fourni – elle se servit un dernier verre de vin, terminant la bouteille en remplissant également celui du Mandalorien. Comme elle commençait à s’y attendre, sa question porta une nouvelle fois sur sa vie privée. Et il ne prenait pas de chemins détournés. Elle étouffa même une exclamation surprise dans son verre, secouant doucement la tête. Sérieusement, Viktor ? La Résistante hésita. A ce stade, rien ne l’empêchait de mettre fin à leur partie. Ou même de mentir, après tout. Se mordillant distraitement la lèvre, elle finit toutefois par prendre la parole. N’était-ce pas ce à quoi elle s’était engagée ? Et Mara relevait ses défis, qu’on se le dise.

« Difficile à dire. Je ne pense pas qu’il y ait de réelle soumission ou besoin de dominance. J’aime avoir le dessus, mais avec les bons arguments… » Elle haussa négligemment les épaules, continuant comme s’ils n’étaient absolument pas en train de parler de ses habitudes sous la couette. « Je suis plutôt facile à convaincre. Le tout, c’est de parvenir à garder la main. »

Et sur un sourire bien trop espiègle, elle se redressa pour quitter son haut sans la moindre hésitation. Après tout, pour le moment, elle n’avait rien d’important à lui dévoiler. Son sous-vêtement, à défaut d’être affriolant de dentelles, soulignait ses formes sans les dévoiler totalement. Elle guetta un soupçon de déception dans le regard du mercenaire, attrapant les cartes pour les battre à nouveau.

« Essaie de garder les yeux sur ton jeu, ça serait dommage d’enchaîner les défaites. » Une lueur dansa dans ses prunelles. « Juste au moment où ça devient intéressant, en plus. »

Quatrième manche. Après un départ relativement calme, Mara pu abattre quelques coups magistraux qui lui firent remporter la victoire sur le fil. Avec un sourire qui n’avait rien d’humble ou de réservé, elle croisa les bras sous sa poitrine en attendant qu’il effectue sa part du marché.

« Comme tu disais, les cartes aiment l’équilibre apparemment. » Elle appuya son menton dans le creux de sa main, la seconde portant le verre de vin à ses lippes. « J’imagine que c’est à mon tour de te mettre mal à l’aise… Même si je doute d’y parvenir. » Songeuse, elle s’humecta les lèvres. « Est-ce que tu n’es réellement venu que pour partager cette bouteille, ou parce que tu pensais avoir peut-être une chance d’obtenir davantage de ma part ? » En posant cette question, elle jeta un coup d’œil à la bouteille et à son verre, tous deux vides. « C’est dommage de tomber en rade à ce moment de la partie. »

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