Je coupais une énième transmission et ferma un instant les yeux en passant une main sur mon visage las. Le bip de protestation du droïde médical et sa main sur mon bras interrompit mon geste et je n’insistais pas, laissant de nouveau ma tête libre pour le laisser poursuivre les premiers soins. Nettoyer mes blessures était déjà une tâche complexe, tout à mon travail, je faisais les cent pas sous la tente, passant d’un datapad à l’autre, enchainant les transmissions et les rapports qui étaient bien trop rarement positifs.
L’évacuation avait commencé et se menait correctement, ça au moins, je pouvais le porter à mon crédit. La bataille de Naboo avait pourtant tourné à notre avantage, jusqu’à ce que ne tombent les bombes. L’image du bombardement et des explosions semblait encore ancré dans mon esprit ; de longues heures de méditation et de travail s’annonçaient pour ne pas laisser cette vision me hanter à long termes. Quand j’avais vu les bombes percer les nuages et la nature inconnue de ces explosions, instinctivement, j’avais su que ce n’était pas des armes de la Résistance. J’avais su que ça serait pire.
Je reposais le datapad que j’avais en main, consultais mon comlink avant de fermer brièvement les yeux : ma tête tournait et lutter contre cette rage sourde qui ne voulait pas me quitter depuis l’explosion me vidait des quelques forces que j’avais su préserver. Le droïde émit un nouveau bip, puis d’autres plus rapprochés.  
- Capitaine, votre tension est en chute libre et vous avez perdu beaucoup de sang. Je vous recommande tout au moins de vous assoir. Je ne suis pas un expert de la stratégie, mais je peux affirmer que la distance parcourue dans cette pièce ne vous rendra pas plus efficace.
Après avoir envisagé de l’envoyer paitre, je dû reconnaître que le droïde avait raison même si je notais mentalement de rectifier son niveau de sarcasme dès que j’en aurais l’occasion. C’était vrai, je me sentais très mal, épuisée et dans cet état de flottement désagréable pouvant annoncer une prochaine perte de connaissance. Je m’assis derrière le bureau improvisé : l’état physique n’était pas l’unique raison de mon épuisement, les nouvelles qu’on m’amenait à chaque minute brossaient un tableau bien calamiteux de la situation. Même si l’évacuation était en court, les pertes étaient terribles, sans compter l’inconnue massive que représentait cette arme.
J’avais cru ma dernière heure arrivée au moment de l’explosion, je me rappelle avoir hurlé “mettez-vous à l'abri”, tout en trainant le corps inanimé de Nael, puis le choc terrible. Si nous avions été plus exposés, nous aurions sans doute été broyés, purement et simplement.
- Capitaine Thrace ? Le vaisseau du Commandant Syn s’est posé. M’annonça un trooper au casque salement amoché qui venait d'entrer. Je me relevais lentement, le droïde venait de finir son bandage autour de ma tête.
- Je vous remercie Lieutenant. Assurez-vous que tout le monde se soit bien regroupé et que les blessés soient pris en charge en priorité. Envoyez une troupe survoler encore le secteur nord, j’ai vu un signal lumineux, il doit y avoir encore des survivants. Je passais à côté du trooper en posant un court instant une main sur son épaule. Puis sortit. James m’attendait et je grimpais à bord de son vaisseau. Epuisée, j exprimais mon soulagement de le revoir en vie.
Mais je ne pus affronter le nombre des pertes de nos pilotes. Pas encore. Le nombre de Griffes restantes sur le pont du Precursor m’en donnait un aperçu assez fiable, même si je savais que même si une partie devait être en patrouille et protégeant les convois d’évacuation, il était impossible que si peu d’appareil soient encore sur le pont sans que… Je coupais court à ces questions pour le moment et étreignis rapidement James, en silence, avant de partir répondre à toutes mes obligations.

*******

Le débriefing auprès de Thrawn fut rapide et on ne pouvait plus morose. Ce n’était pas une défaite, pas vraiment, nous avions portés un rude coup à la Résistance. Malgré nos pertes nous aurions peut-être eu le dessus sur la conquête de Naboo, sans cette bombe. Le plus inquiétant était que même Thrawn ignorait ce que pouvait être cette arme. Les officiers présents au débriefing quittèrent la salle dans un silence pensif, me laissant seule avec Thrawn, lui contemplant l’extérieur par la fenêtre, moi mettant de l’ordre dans les trop nombreuses notes sur la flotte qu'il me faudrait mettre en forme.
- Ce n’est pas une défaite.
Je relevais la tête tout en réajustant le bandage qui me tombait sur l’œil. Qu’il parle en cheunh et non en basic ne pouvait être qu’intentionnel.
- Ce n’en est jamais une pour toi.
- Oui, comme souvent il y aura beaucoup à tirer de cette bataille.
- Et de ce troisième arrivant dans le jeu. Complétais-je, en le voyant approuver.
Je me levais, mes databloc soigneusement regroupés, pour lui faire face alors qu’il m’observait avec cette attention, de ce regard aiguisé et scrutateur qui en avait intimidé plus d’un. Dans mon cas, ce n’était pas de la réprobation mais l’inquiétude que j'y lisais.
- K’atini. Dis-je en mando’a. Un peu secouée. Rien de grave.
Mon sourire était à peu près aussi convaincu que son haussement de sourcil. Forcément, “un peu secouée” était ma réponse en toutes circonstances, y compris après mes pires blessures.
-  Nous manquons de pilotes pour escorter les convois pour couvrir l'évacuation. Il était revenu au basic.
Déjà mon regard devait s’être soudain éclairé, mais je perdis aussitôt mon enthousiasme en voyant son air. Tu n’es pas en état de voler. Je retins toute protestation : même si notre échange n’était pas formel, il restait mon supérieur. Après une courte pause, il ajouta pourtant. Cependant, même si ça ne m’enchante pas, je n’ai pas d’autre choix que de te laisser t’en charger. Quitter Naboo est la priorité immédiate.
- Entendu Monsieur. Je saluais, avant d’ajouter, de nouveau en cheunh. Je serais prudente.
Enfin, j’étais parvenue à lui arracher un sourire.

*******

Nous avions regagné la passerelle et sur le chemin j’avais déjà troqué mon armure de commandement au sol par ma tenue de vol, la vraie, celle où se trouvait encore écrit “Ice Sabre” sur l’épaule. Une calme appréciable régnait sur la passerelle, que je savourais après le chaos de Naboo, et fut accueillie par quelques manifestations discrètes de sympathie de certains officiers quand je fis mon entrée. Je lu le soulagement et la confiance sur beaucoup de visages. Ca et la perspective de retrouver sous peu les commandes d’une Griffe Chiss apportait un peu de lumière dans cette sombre journée.
Avant de partir je devais au moins enregistrer mes notes du débriefing, Thrawn en aurait besoin en mon absence. Une boisson énergisante sur une caisse à outil, mon casque à côté, je procédais aux dernières vérifications quand James me trouva. Il tombait bien : le convoquer était ma prochaine étape.
- Commandant. Vous arrivez à point nommé. Je rejoins les équipes de vol en soutiens, ordre du Grand Amiral Thrawn. Précisais-je, anticipant les réticences de James.
Je savais que ce geste ne le rassurerait pas, pas plus que mon état général ni mes traits tirés, mais je terminais ma boisson. Je consommais rarement ces choses-là, encore moins ici, mais après cette bataille, il aurait été inconscient de laisser la moindre emprise au sommeil. James aussi avait mauvaise mine, lui aussi aurait eu bien besoin de prendre un peu de repos, mais tout le monde devait puiser au-delà de leur réserve, y compris nous autres du commandement. Surtout nous, car nous montrions l’exemple.
- Je suis un peu rouillée sur les procédures mais il me semble avoir complété la checklist, je pourrais avoir votre confirmation ?
Je sortit de la fosse pour l'emmener dans un coin plus isolé, le faisant me suivre. Nous restions en public mais l’endroit était bien plus à l’abri des regards.
- Dis-moi… Lâchais-je de sorte à ce que nulle oreille indiscrète ne nous entende. Qui a-on perdu ?

Ce nom… Mon nom. Je ne l’avais jamais porté comme pilote, le nom des Sabre n’était arrivé que sous le commandement de James. Je sentis mon cœur se serrer, la première fois qu’il m’avait donné ce titre, j’étais encore convalescente, incapable encore de me tenir debout. C’était après que j’ai accepté de laisser ma carrière de pilote derrière moi, accepté d’entrer à l’académie des officiers, une fois tirée d’affaire. Ce nom qui me rappelait que je restais toujours de l’équipe…
L’équipe qui avait souffert aujourd’hui : quatre pilotes rien que chez les Sabres. Je fermais un instant les yeux pour digérer la nouvelle. Ces noms, je les connaissais si bien, comme les noms de chaque membre de cet escadron. Fort heureusement nous nous étions isolés, en privé je n’étais pas obligée de conserver mon impassibilité militaire, j’étais bien trop fatiguée pour cela. Les deux humains je les connaissais moins, mais j’avais fait mes premiers vols avec Aviamu et c’était moi qui avais approuvé la demande d’Orokn de rejoindre l’armée de Thrawn. Mes yeux piquaient un peu, je respirais profondément en m’adossant à une caisse de matériel. Nous étions des guerriers, nous vivions chaque jour avec ce risque et nous l’acceptions, cela ne rendait pas les pertes plus simple mais les pleurer n’aurait pas été leur rendre honneur. Je retrouvais un certain apaisement, la journée n’était pas finie et je devais rester efficace.
Dès l’évacuation terminée, j’aurais à gérer la vague de recrutement qui allait suivre. Il n’y avait pas que les Sabres, toutes les unités avaient été touchées. Le Precursor avait subi peu de dégâts, c’était des réparations en moins, mais la commande des nouveaux chasseurs allait à elle seule me prendre un temps considérable. Le matériel standard demandait des démarches rébarbatives mais peu complexe, faire venir quatre nouvelles Griffes Chiss par contre… Pourtant il le faudrait bien, l’escadron Sabre était le meilleur de la flotte, j’aimais penser qu’il était même le meilleur du Premier Ordre.
Des quatre perdus, trois n'avaient même pas été emportés par l'ennemi mais à cause de ce virus, c’était presque le plus rageant. Malheureusement on ne choisissait pas sa mort.
- J’espère qu’on identifiera vite la cause de toute cette pagaille. Grognais-je d’un ton glacé. Avant de froncer les sourcils. Mon épaule ? Ça fait un moment qu’elle ne m’ennuie plus. Je m’inquiète surtout de la perte de sang mais je n’ai pas de gros vertiges. Dis-je en réajustant le bandage qui maintenant la compresse sur ma tempe.
Avec ma collection assez complète de blessures en tout genre il avait sans doute dû confondre, mon bras avait été récemment touché au niveau de l’avant-bras et je souffrais encore un peu de ma blessure à la jambe de Malastare, mais mon épaule n’avait pas trop été atteinte ces derniers temps. Etrange cette confusion de la part de l’humain qui devait connaitre le mieux mon corps dans toute la galaxie. Je fus tirée de mes pensées peu convenable par James qui me faisait signe de sortir de la fosse. Je le suivis, pour tomber nez à nez avec le reste de l’escadron Sabre ainsi qu’une Griffe Chiss terriblement familière. Je me figeais, si j’avais voulu cacher toute surprise de mes expressions, ça aurait été un échec total.
J’aurais reconnu ses bricolages et ses peintures entre mille. Sa forme était unique, après tout l’appareil avait été un prototype, les versions finales qui constituaient l'escadron Sabre avaient été encore un peu modifiés. Celle-ci avait été la première, je la pensais rangée dans un coin des hangars de Nirauan, attendant ma prochaine permission pour que j’avance sur des réparations dont je n’espérais même plus en voir le bout, ayant abandonné l’espoir d’être de nouveau à ses commandes un jour. Cette Griffe, c’était la mienne.
Je serrais la mâchoire sur le coup de l’émotion, devant mon appareil et cette équipe qui me saluait, je répondis en reprenant leur geste, ce salut qui était le nôtre, comme si je n’avais jamais cessé de voler avec eux, comme si jamais rien n’avait pu séparer nos chemins. Comment avaient-ils réussi à transférer ma Griffe sans que je sois mise au courant de… Thrawn… Forcément. Après mon dernier vol où je n’avais pas su résister à l’envie de fanfaronner sous ses fenêtres, il m’avait passé un savon bien mérité pour les risques prit, mais par la suite quand j’étais allée lui porter mon rapport de Naboo, il avait mentionné mon rétablissement et la qualité de mon pilotage. De toute façon il ne pouvait être que de mèche, il était le seul à bord du Precursor qui disposait d’autorisations plus élevés que les miennes et qui expliquait que je n’avais pu savoir ce qui se tramait à bord de mon propre croiseur. Quant au reste, réparation y compris, c’était donc à James et cette bande de fous que je le devais. Ça représentait tant pour moi.
- Merci à tous. Je n’en reviens pas que vous ayez fomenté ça sous mon nez ainsi mais, merci. Je me fendis d’un sourire rayonnant, puis repris mon sérieux de circonstances. Allons-y. Tout le monde à son poste. J’activais mon comlink en attrapant mon casque de l’autre main. Passerelle, ouvrez le pont deux, escadron Sabre prêt à partir en mission d’escorte.
J’enfilais mon casque, sécurisais les attaches puis grimpais l’échelle menant à l’ouverture du cockpit. Réparations ou pas, ils n’avaient pas remis la “décoration” à neuf, il y avait toujours mes peintures à l’extérieur et je retrouvais à l’intérieur tous ces petits détails qui rendaient évident que l’endroit m’appartenait. Même le système informatique avait été rétabli selon mes configuration, je n’avais pas le temps de fouiller mais j’étais certaine de retrouver quelque part dans la mémoire mes vieilles listes de vocabulaire cheunh/basic datant de mes premières missions avec des humains où je craignais le trou de mémoire.
- Capitaine Thrace, pont deux ouvert. Bon vol. Déclara la voix d’un officier dans mon comlink. J’ouvris la fréquence allouée aux Sabres. Autorisations obtenues. Décollage.
Le ronronnement du moteur se mua en rugissement bien caractéristique alors que mon appareil quitta le sol et pris de la vitesse pour gagner l’espace. Tous mes vieux réflexes me revenaient et, avant que le reste de l’escadron ne me rejoigne, j’effectuais quelques manœuvres de vol pour savourer combien son maniement m’était resté naturel, même après toutes ses années. Je n’avais jamais complètement arrêté le pilotage, les premiers années suivant mes blessures j’avais entretenu mes reflexes en simulateur, ce n’était que récemment que j’avais pu reprendre l’entrainement physique et ressortir parfois voler, souvent en TIE, parfois avec James dans sa Griffe. Mais retrouver les commandes familières de cet appareil qui avait été et restait un prolongement de moi-même, de ma pensée et de mes reflexes, c’était sans doute la sensation la plus extraordinaire qui soit.
Je pris naturellement ma place en tête de la formation, juste devant James, et transmis à l’escadron les données que je recevais du Precursor sur les navettes que nous allons escorter.
- Deux navettes Lamba sont prêtes à partir de Naboo. Nous rattraperons le convoi en orbite basse pour éviter d’être exposé plus que nécessaire aux effets de la bombe.
Les chasseurs plongèrent vers Naboo, trop proche pour qu’on couvre la route en hyperespace, assez loin pour savourer ce trajet dans le vide apaisant, les étoiles pour seules perspectives. Cela faisait si longtemps que je ne m’étais plus sentie autant chez moi. J’ouvris la fréquence privée entre la Griffe de James et la mienne.
- Merci. Je sais que tu sais combien je suis touchée mais… Je tenais à te le dire. Ça a été une dure journée.