Encore sous le choc, la jeune femme ne réalise pas l’amplitude de la nouvelle qui vient de lui tomber dessus. Elle la retourne dans tous les sens, comme s’il y avait une arnaque, comme si elle allait trouver une faille qui la déroberait à ses responsabilités.

Mais le résultat était bien là ; il y avait une vie dans ses entrailles qui se développait, et ça faisait franchement bizarre. Un tournant prit à vitesse grand V dans sa vie, elle qui ne s’imaginait pas mère avant au moins la fin de la guerre, si elle en sortait vivante. En dehors du choc de l’annonce, il y avait tout un tas de paramètres à prendre en compte. Tout d’abord, Gwen était avant tout une pilote de la Résistance, et elle ne pourrait pas cacher sa grossesse longtemps, à partir du moment où elle prenait la décision de le garder. Ensuite, Darell. Elle n’avait aucune foutue idée de comment le lui annoncer sans qu’il ne tombe dans les pommes, et surtout, qu’il l’accepte. Il s’agissait d’un accident, ils étaient ensemble depuis peu, n’avaient jamais eu ce genre de conversation, et soyons honnêtes, ils n’étaient pas prêts à prendre une telle responsabilité. Enfin, et pas des moindres, Gwen avait toujours tendance à se mettre dans le pire des pétrins. Que ce soit un danger sous forme vivante ou environnementale, elle sautait dedans plus vite qu’une proie se jetait dans la gueule d’un prédateur.

Les premiers signes de grossesse étaient là, irrévocables, handicapants. Elle avait ses fameuses nausées tous les matins et ne comptait plus que sur Moira pour l’aider à choisir ses aliments. Depuis combien de temps est-elle en cloque ? Elle en sait rien, Gwen. Elle sait juste que ça lui est tombé dessus comme une merde d’oiseau, et elle est encore plus paumée que la première fois qu’on l’a foutue dans un vaisseau. Néanmoins, elle avait un problème de taille : bientôt, elle devrait mettre ses supérieurs au courant, ou ils s’en rendront compte tout seuls. Elle ne comptait pas quitter la Résistance même avec ce bébé, ce qui était à la fois absurde et paradoxal puisqu’elle n’était même pas sûre de pouvoir le mettre au monde.

Mais heureusement pour elle, elle n’était pas totalement seule dans sa démarche : d’ailleurs, elle avait à ses côtés quelqu’un dont la discrétion était très appréciable, en plus d’être de confiance. Célian était médecin, pas un médecin confirmé mais bon dans son domaine de par sa passion. On devient vite très bon lorsque l’on s’intéresse réellement à une spécialité. Gwen ne connaissait que très peu son histoire mais elle était certaine qu’il avait toute les raisons du monde de se montrer si bon, autant qu’elle avait les siennes pour voir le meilleur chez les gens en toute circonstances. C’est peut être pour cela qu’ils s’entendaient autant : ils avaient tous les deux cette sociabilité, cette espèce de naïveté et d’optimisme qui leur était propre. Naturellement, et même sans être dans la même division, ils avaient eu des atomes crochus, et elle avait bon espoir d’en faire un ami.

C’est donc aussi naturellement qu’elle lui avait confié les examens et la surveillance de sa grossesse jusqu’à ce qu’elle n’aie plus d’autre choix que de voir un médecin senior. Loin d’être plein de jugement, il s’était contenté d’accepter et de ne rien dire, attention qu’elle appréciait énormément compte tenu de la situation.

La brune avait déposé sa navette et s’était rendue à son rendez-vous avec Célian. Elle avait d’abord hésité à entrer dans la pièce, en ayant peur de ce qu’il pouvait lui dire. Pas de ce qu’il pourrait dire de négatif mais au contraire, de ce qu’il pouvait lui apporter de bien. Pour la simple et bonne raison que cela la pousserai à s’attacher encore plus au petit qui grandit en elle. Merde. Double merde. Elle s’installe et elle attend. Les minutes s’étirent comme du sirop trop poisseux. Faites qu’il vienne rapidement avant que je ne fasse une connerie...

Et enfin le voilà. Il passe l’encadrement de la porte, rayonnant comme un soleil, une boule d’énergie et de bonheur. Elle ne peut s’empêcher de sourire et de lui rendre son étreinte : avec lui, elle était à l’aise. « Merci. Je suppose ? » Elle hausse les épaules alors qu’ils se séparent. Il se prépare à l’examen qu’elle redoute tant : pitié, pitié, pitié...

Gwen se jettera toujours. Toujours. Elle reviendra toujours avec une égratignure, une plaie à panser, une ouverture à recoudre, un sale bleu quelque part. Même enceinte elle se sait impossible à raisonner. Et Célian le sait. Alors elle ricane. « Tu te doutes bien que non. Je crois que j’ai un peu mal au bras d’ailleurs, tu pourrais pas regarder après ? » Elle le taquine : elle sait même pas s’il y a vraiment quelque chose à son bras... il approche le gel de son ventre : elle ne peut plus reculer. « Si je dis non, il se passe quoi ? » Un silence. « Je rigole. »

Elle s’allonge et alors qu’elle matte le plafond, elle ferme les yeux comme si elle se préparait à la pire des douleurs. «  Non, attends, attends un peu. » Elle se redresse d’un coup, à bout de souffle, livide. « Euh... deux secondes. Je vais... euh... attend je veux pas te faire perdre ton temps, tu me connais, hein... » Trop. Putain. De peur.

Gwen ne pouvait que patienter. Longuement. Elle fixait l'appareil qui était censé pouvoir lui donner une vue sur son bébé. Une vérité qu'elle ne pourrait plus nier, ni ignorer. Une responsabilité à assumer. Puis, elle se mit à dévisager Célian. Il s'assoit près d'elle, se veut rassurant. L'angoisse qu'elle ressent ne retombe pas, pourtant elle sait qu'il sera avec elle autant de temps qu'il le faudra. Il lui serrait la main, et soudain, elle eut l'impression qu'elle pouvait de nouveau respirer. Gwen, elle a peur. Une peur terrible, celle de sa responsabilité. Est-elle simplement capable d'assumer une telle chose ? Et surtout, si elle voyait enfin ce bébé, aurait-elle le courage de décider de ne pas le garder ? Après tout, cette décision était-elle uniquement la sienne ? Darell avait autant de droit sur cet enfant que la pilote, et pourtant, il n'en savait encore rien. Valait-il le coup qu'elle le fasse sans lui en parler ? Lui en voudrait-il s'il venait à l'apprendre ? Tant de questions qui n'auraient de réponse que si elle prenait une décision, là maintenant, tout de suite. Elle aurait voulu pleurer, mais les larmes ne coulaient pas : elles restaient prisonnières de ses yeux. « Je suis désolée » finit-elle par dire. « Je te fais perdre ton temps. » Sa voix tremble, autant que ses mains. Ce n'est pourtant qu'un simple examen. « Je t'avoues que je n'aurais jamais imaginé me retrouver dans une telle situation. » Instinctivement, elle porte une main à son ventre qui a à peine gonflé, le premier signe qui ne pouvait tromper. Une silhouette changée et qui grandit au fur et à mesure. La vie qui se développe.

Les yeux sombres de la jeune femme n'osait plus croiser ceux du jeune médecin. Gwen savait qu'elle n'y descellerai pas une once de jugement, pourtant elle avait peur de voir le sien se refléter en lui. « C'était un accident. » finit-elle par avouer dans un souffle. « Un simple accident. Ça n'aurait jamais du se produire. Je dois encore pouvoir piloter un x-wing. On en est à peine au début du conflit. Je ne peux pas me permettre de tout abandonner. J'ai travaillé si dur pour en arriver là. » Gwen, qui se jette toujours dans les pires situations. Gwen qui affronte le monde. Gwen qui a survécu à ceux qui lui avaient tout enseignés. Gwen qui avait surmonté le regard des autres qui la croyaient pistonnée par l'ancien leader Rogue, qui se trouvait être son frère. Elle qui avait du prouver sa valeur, encore encore et encore, qui était tombée pour mieux se relever. Et voilà qu'elle se retrouvait avec un môme qu'elle avait conçu sans même le réaliser. « Qu'est-ce qui va se passer si l'enfant va bien... ? » Elle devait être une des rares personnes à s'inquiéter plus par le fait qu'il aille bien. Car s'il allait bien, il était viable. S'il était viable ; son choix serait d'autant plus dur.

De toute façon, l'enfant était là. Gwen ne pouvait pas le nier, elle ne pouvait effacer cette vérité. Peut-être était-il même trop tard pour y faire quelque chose. Et puis, avait-elle vraiment envie d'évoquer la possibilité de l'abandonner ? Il s'agissait de son enfant, et même si c'était un accident, et que Darell aurait du mal à s'en remettre, il s'agissait d'eux. De LEUR enfant. Cette simple pensée était terriblement étrange à instaurer dans son crâne. A quoi bon reculer le moment fatidique ? « Oui... Tu as probablement raison. Je pense que j'ai du un peu trop flipper... C'est dur à endosser. Tu me comprends. » Enfin, il la comprenait dans une certaine mesure. Mais Célian était un homme doux et avenant, il ne voulait que son bien, et pour une fois, elle n'était pas là pour qu'il la rafistole. Gwen ne s'était jamais posé la question : est-ce qu'il était triste de la voir ainsi débarquer pleine de bleus et de plaies à soigner ? La rafistoler rapidement pour qu'elle retourne sur le champ de bataille et peut-être ne jamais revenir ? Quel était le sentiment d'un agent qui n'était pas sur le terrain ? Soldats et pilotes partageaient le danger du champ de bataille, l'adrénaline du combat, et s'ils tombaient, c'était auprès des uns et des autres. Mais tous les médecins, les ingénieurs, ceux qui restaient en arrière... Comme cela devait être difficile. L'espace d'un instant, la pilote eu une pensée pour son petit ami. C'était ce qui l'avait poussé à partir. Il n'avait rien pu faire. Un sourire vint étirer les lèvres de la jeune femme. « Tu as absolument raison. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi ! » Elle ricane. « Oh si, en fait. Je serais couverte d'hématomes et de fractures ! » Il était le meilleur médecin qu'elle aurait pu avoir. Gwen abaissait sa dernière barrière : sa main vint quitter son ventre rebondi. « Bon, on y va alors. Geronimo. » A la vue de la sonde qui lui dirait l'état de son bébé, Gwen eut un rush d'adrénaline. Cool. Cool cool cool. « C'est trop tôt pour savoir si c'est un garçon ou une fille ? » Qu'au moins elle aie une idée pour se préparer un peu. Nouvelle hésitation. « D'ailleurs, tu veux pas suivre ma grossesse ? Je sais que t'es pas spécialiste là dedans, mais j'aime pas trop qu'un médecin que je connais pas vienne me trifouiller le bide. Et puis, tu es là depuis le début. » Après tout, elle lui faisait confiance. Il aurait été bête de ne pas le lui confier d'ailleurs : s'il avait réussi à lui faire accepter cet examen, il était probablement capable de tout. Nul de convainc Gwen Yesmeth facilement, un certain Sith pourrait s'en porter garant.