Ce n'était pas la première fois que Ti'Ilandra venait se perdre dans ce bar. En fait, à force, elle connaissait plutôt bien le tenancier, et celui-ci ne manquait jamais de la payer grassement afin qu'elle chante parmi les habitués enivrés, et les voyageurs de passage. De là à dire qu'elle appréciait cet endroit ? Non. Loin de là même, c'était à chaque fois une véritable corvée. Il fallait dire qu'elle commençait à s'habituer à des endroits mieux famés que celui-ci. Ce qu'on ne ferait pas pour des crédits ! Oh, et puis, elle avait beau se plaindre, elle s'estimait déjà heureuse de pouvoir vivre de sa voix. C'est qu'elle voyait très mal ce qu'elle aurait pu faire d'autre pour gagner sa vie, alors elle n'allait pas se mettre à dos les quelques rares bons contacts qu'elle avait réussi à se faire. Si un jour le vent tournait en sa défaveur, Andra était parfaitement consciente qu'elle pourrait toujours chanter ici. Et c'était sans même parler des pourboires que lui laissaient encore volontiers quelques habitués du bar.

Quelques. Pas tous. Et certainement pas la bande de malotrus attablés près de la petite scène improvisée. Des aqualish à la langue bien pendue, qui ne prêtaient aucune attention à la musique qui résonnait dans l'établissement. Oh, Ti'Ilandra avait bien l'habitude des impolis, mais ça avait toujours autant le don de l'agacer. Si bien que quelques jours plus tôt, elle avait bien failli se prendre le choux avec des Bith qui avaient tenté de lui voler la vedette, avant qu'ils ne se fassent virer du bar. L'impulsivité, un jour, aurait sa peau. Elle ne put néanmoins apprécier l'intervention d'un homme un peu plus loin qui tenta, en vain, de recadrer les aqualish. Si ceux-ci n'arrêtèrent pas de parler pour autant, savoir qu'il y avait des personnes respectueuses dans la salle était suffisant pour lui permettre de se donner à fond. Puis, il ne fallut pas attendre bien longtemps avant que les malotrus ne se fassent dégager du bar. À croire qu'elle n'était pas la seule personne indisposée par leurs incessants bavardages.

Le concert terminé, Ti'Ilandra ne tarda pas à récupérer ses affaires, se préparant à sortir. Elle jeta néanmoins un regard parmi les personnes encore présentes dans le bar ... l'homme qui avait fait une remarque aux aqualish semblait déjà parti, dommage ... elle l'aurait volontiers remercié de son intervention étant donné qu'il ne s'agissait pas d'attentions auxquelles elle pouvait prétendre être habituée. Une autre fois peut-être, de toute façon, elle risquait fortement d'être encore là demain. S'assurant d'avoir toutes ses affaires dans son sac, elle fila non sans avoir récupérer ses crédits. Une fois dehors cependant, elle n'eut pas le temps d'inspirer une grande bouffée d'air frais, que des voix l'interpellèrent. Une bagarre ? Pas ses affaires. C'est en tout cas ce qu'elle aurait dû se dire, mais avant que son cerveau ne se mette en route, la voilà derrière le bar, assistant à une bagarre (ou plutôt, à un passage à tabac) entre les aqualish et l'homme qui avait plaidé en sa faveur. Était-il encore temps de faire demi-tour ? Sans doute. « Non mais ça va pas la tête ? » Maintenant, il était trop tard. Elle allait vraiment finir par en crever, de sa manie à se mettre des gens à dos. Mais au moins, elle avait attiré l'attention des aqualish, qui semblaient presque prêts à délaisser l'inconnu pour s'occuper de son cas à elle « Vous avez pas mieux à faire de votre temps ? Genre vous bourrer la gueule dans un autre bar ? » Si provoquer des aqualish était une bonne idée ? Non, ça n'en était pas une. Et Ti'Ilandra, dans toute sa verve, en était bien consciente. Sauf que la chanteuse était une tête brûlée, et qu'elle comptait sur les couteaux dissimulés dans ses manches pour l'aider ... un peu au moins.
   

Il n'y avait pas à dire : au moment même où elle avait ouvert la bouche, Ti'Ilandra le regretta. Mais se taire n'avait jamais été son genre. Après tout, elle ressemblait bien plus à son jumeau qu'elle voulait bien l'admettre. Elle était ce genre de personnes à foncer tête baissée, à réfléchir ensuite, par exemple après s'être prise quelques coups. Peut-être même que ce trait de caractère s'était intensifié ces dernières années, depuis qu'elle n'avait plus rien à perdre. Elle savait qu'un jour elle le payerait, mais à cette idée, elle haussait les épaules. Seul son instinct de survie la maintenait hors du danger permanent, mais elle ne pouvait s'empêcher d'attirer des ennuis de temps en temps. Au moins, cette fois, elle avait une bonne raison de sortir les griffes : elle ne pouvait pas réellement laisser quelqu'un se faire tabasser parce qu'il avait eu le malheur de vouloir l'écouter chanter. Non, assurément, ce n'était pas son genre. Elle n'aurait plus été à même de se regarder dans un miroir, alors même si une fois sortie de cette situation, elle râlerait, elle savait qu'elle avait pris la bonne décision.

L'inconnu, après une réflexion qui manqua d'arracher un sourire à Ti'Ilandra, se pris un coup si puissant qu'il sembla s'évanouir. Du moins, l'illusion était parfaite, et Andra se laissa convaincre sans se poser de questions. Serrant la mâchoire, elle aurait bien demandé un sauveur, elle aussi. Que pouvait-elle faire contre trois aqualish, à part s'enfuir ? Or, elle avait trop d'orgueil pour cela. Bon, il ne restait qu'à espérer, espérer très très fort même. À la place d'un blaster, elle vit le canon se pointer sur elle. Ah, peut-être qu'elle n'allait pas s'en tirer cette fois ? « On m'avait dit que les aqualish n'avaient pas de manière, mais jusqu'à présent je leur avais toujours laissé le bénéfice du doute ! » cracha-t-elle, plaçant une main sur la hanche. Quitte à mourir, autant ne pas trembler. Foutue fierté. Soudain, les trois bandits s'effondrèrent, comme par magie. Si bien que le leader qu'elle fixait sans ciller se retrouva pour ainsi dire à ses pieds. Elle jeta un regard autour d'elle, mais personne ne semblait s'être mêlé de l'altercation, et son attention se reposa alors sur l'inconnu qui s'était relevé. « Euh ... de rien ? enfin, merci aussi, apparemment ? » Si elle avait compris ce qu'il s'était passé ? Pas vraiment. Il y avait bien une explication : la force. Mais entre nous, Ti'Ilandra faisait partie de ces éternels sceptiques. Aussi préféra-t-elle laisser cette question en suspens pour se concentrer sur l'homme devant elle. Elle hocha lentement la tête ; les aqualish l'auraient tué s'ils en avaient eu l'occasion. Elle finit néanmoins par sourire quand ce dernier se présenta « Ti'Ilandra, tout le plaisir est pour moi » souffla-t-elle en attrapant sa main. Enfin, c'était bien beau tout ça, mais elle jeta un regard derrière ledit Hayden, et poussa un léger soupir « On ferait mieux de partir avant qu'ils ne reprennent leurs esprits » avant de lui faire un léger signe de la tête « Venez par ici, ces aqualish vous ont bien amoché ». Andra avait l'habitude de s'occuper des gens blessés. Oh, pas qu'elle était une bonne samaritaine, la main sur le coeur (enfin, si, un peu), mais c'était une habitude qu'elle avait prise depuis son plus jeune âge avec son casse-cou de frère.

   

C'était totalement imprudent de Ti'Ilandra de rester avec cet inconnu. Enfin, avec Hayden. Quoiqu'un prénom ne changeait pas grand chose au fait qu'elle ne le connaissait pas. Qu'il aurait pu être un brigand, un voleur, un assassin, ou que savait-elle d'autre. Bon, peu importe qui il était, il aimait la musique, c'était déjà un petit point positif non ? D'ailleurs, il lui arracha un sourire lorsqu'il la complimenta. Elle savait qu'elle chantait bien, à force, même si elle ne comprenait toujours pas pourquoi ses chansons plaisaient autant. Aussi, les compliments la touchaient toujours en plein cœur, comme si elle était encore une adolescente qui commençait à faire ses preuves. « Oh, je vous remercie ... mais je chante là où on veut bien de moi vous savez » Ce qui n'était pas entièrement faux ... juste qu'on commençait à vouloir d'elle ailleurs que dans des cantinas un peu limite niveau fréquentations. Mais inutile d'en parler, pas vrai ?

Rien de bien méchant ? Oui, disons que Ti'Ilandra voulait bien le croire, cela n'empêcher pas qu'il avait du mal à avancer sans tituber. Un bleu, ce n'est pas mieux méchant. Une égratignure, ce n'est pas bien méchant. Mais là, cet étrange énergumène accumulait suffisamment de coup pour que ça devienne inquiétant. Elle préféra néanmoins ne pas discuter, hochant la tête à la requête de l'homme « Je séjourne à deux pas d'ici, on peut y aller si vous le souhaitez » Ti'Ilandra, la reine de l'imprudence. Dire qu'elle s'était tellement targuée de faire preuve de prudence lorsque son frère lui avait dit de rejoindre la résistance ... voilà qu'elle invitait des inconnus dans sa piaule. Inconnu rencontré à l'arrière d'un bar, durant une bagarre. Elle ne devait manifestement pas tenir à la vie. Preuve en était, quelques secondes plus tard, et sans qu'Andra ne comprenne ce qu'il se passe, elle vit la lueur d'un sabre bleu découper une main armée. Elle étouffa un cri, pas certaine qu'alerter tout le quartier soit une bonne idée, tout en reculant vivement, le regard horrifié, fixant la main détachée de son corps, et le blaster enserré par des doigts inertes. Lentement, elle reposa son attention sur Hayden, qui parlait sans qu'elle comprenne réellement ce qu'il disait. C'est un doigt sur ses lèvres qui l'a ramena subitement à la réalité. Si elle avait vu quelque chose ? Ah oui, oui oui oui. Elle avait vu un gars un peu louche faire tomber trois aqualish sans un mot, puis elle avait vu ce même gars sortir un sabre lumineux pour découper une main. Oui, parce qu'elle supposait que les deux étaient liés, et autant elle parvenait plus ou moins à faire l'impasse sur son sauvetage inespéré, autant le carpaccio d'Aqualish, elle aurait aimé s'en passer. « Peur ? » répéta-t-elle, la voix tremblant légèrement, et plus aiguë qu'à son ordinaire « Ce type ne méritait pas beaucoup d'égard, mais vous venez de lui découper la main ! » puis, son regard buta à nouveau sur le blaster. Pourquoi il tenait un blaster cet idiot ? Et ... Oh. Avait-il essayé de tirer ? Ti'Il n'en savait rien, elle n'était pas certaine de ce qu'elle avait vu. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait prévu de passer une soirée banale, et que ça n'en était pas une « Vous êtes qui au juste ? » s'exclama-t-elle alors, peinant de plus en plus à croire qu'elle était prête à venir en aide à un inconnu quelques minutes plus tôt « Une espèce de ... » soudain, le mot s'éclaira dans son esprit, si bien qu'elle s'apaisa tout d'un coup « un jedi ? » Là, elle divaguait, c'était certain. Les jedi n'était qu'une histoire que ses parents lui racontaient lorsqu'elle était enfant, une légende, rien de plus. Et pourtant, c'était la seule explication qui lui venait à l'esprit, quand bien même elle se refusait d'y croire.
   

Ti'Ilandra n'était pas véritablement une faible petite femme. En fait, c'était parfois à se demander si elle était une femme tout court. Oh, bien sûr la nature ne mentait pas, et avait fait de la jeune-femme une délicieuse créature. Cependant, une fois les apparences dépassées, c’était à demander où était passée la séduisante femme qu’elle pouvait s’avérer être aux yeux des inconnus. Son frère se moquait souvent d’elle à cause de ça : au delà de ses robes et de son anatomie, Ti’Ilandra était un mec à l’humour douteux, et aux manières archaïques. Elle parlait fort, avait un caractère bien trop prononcé, aimait jouer des poings et des pieds, et ne comprenait généralement pas ce qu’on attendait d’une femme. Non, elle n’était décidément pas de ces minettes qui s’évanouissent à la moindre goutte de sang. Et pourtant, elle ne parvenait pas à détacher son regard de cette main détachée. La vision ne la répugnait pas, elle ne lui avait même pas arraché le moindre frisson, mais elle était néanmoins d’une violence inouïe. C’était précisément pour éviter ce genre de situation que Ti’Ilandra avait toujours refusé de se joindre au combat des résistants. Elle se trouvait parfaitement bien dans son train-train quotidien, même s’il lui arrivait parfois de s’ennuyer. Peut-être était-ce la raison de ses élans de courage, voire même d’impulsivité. Histoire de briser la routine, de s’octroyer une once d’adrénaline. Mais la vision de cette main détachée impliquait tellement plus. Ce n’était pas une simple bagarre, ou du moins, pas pour Andra. Et elle avait peur, car elle réalisait qu’aider un inconnu, aussi sympathique pouvait-il être, comportait son lot de dangers.

Hayden semblait réellement ennuyé par la réaction de Ti’Ilandra. À quoi s’attendait-il en même temps ? À ce qu’elle reste calme et détachée par rapport à cet aqualish qui venait de perdre sa main ? Bon, il l’avait peut-être mérité, mais sur le coup, Andra n’avait pas fondamentalement fait fonctionner ses neurones. Elle avait vu la lame, la main, et avait paniqué. Pourtant, il n’avait pas totalement tort. Si l’on passait sur le fait qu’il avait dit que c’était ça ou sa tête (celle de l’aqualish), sans intervention de sa part, ils seraient probablement morts sous les coups du blaster du bandit. Mais tout de même. Elle ne trouvait plus vraiment de raisons de s’insurger, mais tout de même. Andra n’était pas exactement connue pour sa bonne foi de toute façon. Plutôt têtue, un peu bourrue, elle avait tout à coup envie de croiser les bras et de bouder. Mais ce n’était pas très sérieux, aussi se retint-elle de justesse. Elle gonfla juste un peu les joues, sans trop savoir quoi répliquer. Heureusement, la réponse suivante la fit se détendre un peu. Enfin, en quelque sorte. « Un contrebandier avec un sabre jedi qui découpe de l’aqualish … j’aurai pas perdu ma soirée moi. » Si elle était cynique ? Elle était cynique. Mais elle était comme ça de toute façon. Elle finit par pousser à long soupir, passant une main dans ses cheveux, sorte de tic nerveux qui surgissait quand elle se sentait coincée « Promis, je dirai rien » avant d’hausser les épaules et d’ajouter nonchalamment « J’ai le chic pour fréquenter des gens recherchés, vous en faites pour ça. » Un jour, le Premier Ordre allait lui tomber sur la gueule à force. Et vu que Ti’Ilandra ne savait visiblement ce qui était bon pour sa sécurité, elle leur cracherait à la gueule, parce que pourquoi pas.

Avec tout ça, elle avait presque oublié qu’elle lui avait proposé d’aller dans sa chambre d’hôtel pour se remettre de l’altercation. Elle n’était plus tout à fait sûr de vouloir l’accueillir à présent ; disons que si elle pouvait éviter de se mettre à faire ami-ami avec un jedi recherché, ce serait tout bon pour son capital vie. Mais celui-ci avait de toute façon était engagé lorsqu’elle s’était mêlée de cette bagarre, et elle devait, en soi, une sacrée chandelle à Hayden. Aussi soupira-t-elle, en indiquant le chemin d’un mouvement de la tête « C’est par là » avant de faire une légère moue « Par contre, si vous pouviez laisser votre sabre de côté, ainsi que vos trucs avec la Force là, ça m’arrangerait. » Et sans attendre de réponse, elle se mit en route vers le petit appartement qu’elle occupait, prêté par l’une de ses connaissances sur Corellia. Au moins, cela lui éviterait de risquer d’être vue en compagnie de quelqu’un de recherché… Et non, elle n’était pas parano. Juste prudente. Et encore, la petite voix en elle lui soufflait qu’elle ne l’était pas assez. Sérieusement, elle n’aurait pas simplement pu rentrer chez elle ?