J'ai pas le temps d'écouter ses plaisanteries, et s'il n'a que ça à offrir, je le tuerais sans problème. Sa première phrase me semble tellement hors de propos que je manque de peu de lui écraser complètement la carotide. Je ne supporte pas cette prétendue galanterie, et heureusement pour lui qu'il ne s'est pas arrêté là. J'apprécie qu'il fasse la part des choses, qu'il ne me balance pas sa prétendue République si vertueuse sans non plus accepter de la remettre en question. Je sais que le Premier Ordre est au-dessus de tout soupçon, mais si un ennemi accepte de se poser des questions... Peut-être peut-il être sauvé ?

Malheureusement, il a raison sur une chose. Si je veux continuer à servir le Premier Ordre, et c'est ce que je désire plus que tout au monde, j'ai besoin de lui. Je suis incapable de piloter autre chose que des appareils impériaux, et encore, seulement les modèles qui ne sont pas destinés à la vitesse ou à la maniabilité extrême. Sa dernière phrase... Me perturbe. Non. Je la refuse, en fait. Je ne suis pas une personne. Je suis un petit bout d'un tout. Voilà tout. Juste un petit morceau d'un grand ensemble. Une nouvelle explosion me fait jurer alors que je lâche sans le vouloir mon prisonnier, maudissant mon manque de prudence alors que le souffle me fait rouler jusqu'à m'écraser contre le mur, crissement de l'armure contre mes os, alors que mon casque s'échappe de ma tête. Et quand je relève les yeux, je m'aperçois qu'il m'a mentit. Sur toute la ligne. Il va me tuer maintenant. Mais le pire, c'est qu'il continue sa diatribe, comme si je ne voyais pas clair dans son jeu désormais. Ma position se hérisse, prête à bondir.

Sauf que son arme se baisse, alors que je pouvais clairement sentir dans son ton qu'il était près à appuyer sur la détente. Je pourrais lui sauter dessus. Reprendre le contrôle. Je sais qu'au corps-à-corps, je peux le tuer. Il ne me faudrait même pas beaucoup d'effort. Puis, il ne me resterait plus qu'à attendre la mort dans cette coursive, si proche de la survie, et pourtant si loin. Mon visage perd de sa superbe alors que je tends la main pour prendre la sienne, acceptant de me relever. Je ramasse mon casque, l'attachant à ma ceinture en fronçant les sourcils, désignant la suite du couloir.


« Dépêche toi, dis-je sur un ton n'admettant aucune réplique. Ou je te laisse rôtir ici. »


Je prends son poignet dans ma main gauche pour l'entraîner à ma suite. Cin Kenneth est devenu un élément essentiel à ma survie, et il est hors de question qu'il me fasse faux bond. Et en attendant d'être à son vaisseau, c'est moi qui gère. Les rares brigands encore présents sont soit en fuite, soit blessés par les explosions qui meurtrissent la base. Bientôt, il n'en restera plus rien, et je presse le pas, éliminant machinalement chaque adversaire blessé d'un coup à la tête jusqu'à arriver au hangar. Hangar où se pressent les derniers survivants tentant de s'échapper, et qui tentent apparemment d'ouvrir le sas d'un des derniers vaisseaux en état de marche.


« J'attire leur attention, et toi, tu fonces au vaisseau préparer le décollage, compris ? je lance à l'ennemi en le regardant d'un air sévère. »


J'espère qu'il se rend compte à quel point je prends sur moi pour accepter qu'il parte seul à son vaisseau. Parce qu'il serait évidemment aisé pour lui de partir une fois seul dans son appareil... Mais tant pis. Je n'ai pas le choix, et je n'ai clairement pas le temps d'improviser un autre plan. Mes premiers tirent frappent un homme dans le dos, tandis que je tire avec parcimonie pour ne pas toucher le vaisseau salvateur. Les autres se dispersent et engagent le combat aussitôt, alors que je continue de tirer dans leur direction, les repoussant peu à peu pour me dégager un passage vers le vaisseau, et n'attendant plus que le signal de mon adversaire pour m'y ruer... Ou sa trahison qui me semble pourtant si inévitable.

Je cesse bientôt de me préoccuper du Résistant pour m'occuper de ceux qui me tirent dessus, et qui semblent bien déterminés à ne pas nous laisser fuir aussi facilement. Je me déplace prudemment de couverts en couverts pour me rapprocher du vaisseau tout en maintenant une distance respectueuse pour éloigner les tirs de notre seule salvation. Des lasers venant de derrière moi me font me jeter sur le côté, croyant à un adversaire que je n'avais pas vu, avant de constater l'appui fort appréciable de Kenneth. Je commence à prendre confiance, mes tirs devenant plus contrôlés maintenant que je sais avoir un coéquipier sur qui compter, et alors que je suppose les procédures de décollage seront bientôt terminées.

Sauf que quand je me tourne, mon visage se ferme sous mon armure. Trahie. Il m'a trahie. Il s'en va sans moi. J'aurais dû me douter que tous ces petits discours n'étaient rien que pour endormir ma confiance. Je commence à courir dans la direction du vaisseau, sachant pertinemment qu'avec le sas fermé, je ne pourrais pas l'aborder. Mais je peux l'empêcher de partir. Je commence à viser l'un des réacteurs avant d'entendre les deux premières lettres de mon indicatif. Je me ramasse en repérant sans peine d'où vient le cri : Cin Kenneth est là, sas ouvert, prêt à m'attraper. Mes réflexes réagissent avant que je n'enregistre l'information. Je me remets à courir, plus vite, encore plus vite, sans plus aucune préoccupation pour les tirs qui fusent autour de moi. Le temps semble se ralentir alors que le cargo commence à s'éloigner. Désormais, il me faudra sauter au-dessus du vide pour l'atteindre, et la main tendue de Cin ne sera pas de trop. Le dixième et dernier tir d'artillerie fuse dans les airs, celui-là achèvera à coup sûr la base en frappant en plein dans le hangar. Ça ne va se jouer qu'à quelques secondes, sinon moins. Je prends mon pied d'appui, mon coeur faisant une embardée en sachant que le pas suivant balayera l'air alors que mes cheveux volent au vent... Je tends la main en avant alors que tout mon esprit semble me hurler que je ne vais pas y arriver... Jusqu'à ce que mes doigts crochètent ceux du Résistant, alors que l'obus vient exploser derrière moi, le simple souffle me poussant en avant, mes réflexes venant me faire envelopper l'homme contre moi pour le protéger de mon armure des millions de shrapnels qui viennent s'écraser contre la carlingue du cargo.

Et puis je me retrouve contre lui, la respiration saccadée et les yeux plongés dans les siens, mon corps me donnant l'impression d'avoir été maltraitée par des milliers de petits coups de poings, une douleur lancinante me tirant de mon bassin. Le silence s'installe pendant quelques secondes alors que je ne bouge pas, jusqu'à ce qu'il ne le brise par une de ses énièmes plaisanteries.


« Dans tes rêves, Kenneth, grondais-je contre lui en essayant de me relever. »


Finalement, c'est lui qui me pousse sur le côté, le laissant foncer vers le cockpit alors que je claudique vers la tourelle, une main portée à mon flanc où un liquide carmin vient rapidement rendre mon armure poisseuse de sang. Je ne perds pas de temps à me morfondre, m'installant avec un soupir de soulagement aux commandes de la tourelle pour constater avec déplaisir que les adversaires sont nombreux. Une première salve rate totalement les vaisseaux adversaires, avant que je ne me donne mentalement une gifle pour que je me reconcentre. Comme à l'exercice. C'est comme à l'exercice ma grande. Les vaisseaux filent vite, mais mes commandes sont sûres. Je pointe en avant, avant de presser la détente pour une courte rafale qui vient en couper un en deux. Les suivants viennent plus facilement, m'empêchant de réfléchir au sujet qui me préoccupe tant : je suis blessée parce que j'ai protégé un Résistant. Et j'ai beau accuser mes réflexes... Ceux-ci me poussaient sur le côté de Cin, et non pas sur lui... Et encore moins de le serrer dans mes bras.


« Ta princesse Hutt tient beaucoup à toi, apparemment pour t'envoyer tout ça ! je m'écrie dans le micro en détruisant un nouveau chasseur. »

Qu'est-ce que je suis en train de foutre ? Tous mes instincts me hurlent pourtant que je ne devrais pas être là, je ne devrais pas l'aider, et surtout, je devrais encore moins être en train de plaisanter avec lui ! Cin Kenneth est un Résistant, un ennemi. Non seulement je suis en train de désobéir à plus d'une centaine de règlements, au code moral auquel j'ai juré allégeance, mais en plus, je me laisse aller en compagnie d'un adversaire du Premier Ordre. Il a peut-être participé à l'opération qui a détruit la Base Starkiller, il a peut-être tué des centaines de Troopers comme moi depuis les airs. Il n'a eu aucune considération pour eux, pourquoi en a-t-il pour moi ? Et inversement, j'ai tué sans hésitation, remord, ou pitié des Résistants, alors pourquoi ais-je hésité au moment où j'avais la main, où moment où j'aurais pu tout terminer, faire cesser cette mascarade ?

Je connais la réponse, malheureusement. Et elle est terrifiante. La vérité, c'est que je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi je n'arrive pas à tuer Cin Kenneth, pourquoi je sais que même si je ferais sûrement des manières, je le laisserais filer entre mes doigts. Je le laisserais tuer d'autres Troopers, d'autres forces du Premier Ordre, et même en sachant pertinemment cela, je ne sais pas pourquoi je le laisserais partir. J'aurais préféré de loin avoir une réponse claire et précise. Même si je ne l'aime pas... C'est préférable que de ne pas savoir.


« Tu tiendrais pas la compétition face à moi aux jeux à boire ! je m'écrie alors que le vaisseau plonge. »


Je lâche d'une main la tourelle pour me cramponner au siège de toutes mes forces, continuant de tirer même si je ferme pendant quelques secondes les yeux, n'étant pas une grande amatrice d'acrobaties aériennes, et surtout pas ne pas voir où nous nous dirigeons. Je lâche une rafale pour obliger les chasseurs qui nous poursuivent de mourir par ma main... Ou d'aller tenter leur chance en s'écrasant contre les parois des cavernes.

Le paysage alentours défile à une vitesse folle alors que brusquement, le vaisseau remonte, me donnant presque l'impression que tous les organes de mon corps viennent se presser contre mes lèvres. J'achève le dernier poursuivant qui a réussit à s'en sortir malgré tout, satisfaite de n'en laisser s'échapper aucun... Alors que le calme relatif qui succède me fait me demander qu'est-ce qui différencie ces pilotes que j'abats sans sourciller, et pas le Résistant qui pilote le cargo. Qu'est-ce qui le rend si spécial que je me sente si incapable de le tuer ? Il y en a d'autres des comme lui, des blagueurs à l'air perdu. Des grandes gueules au beau minois.

L'adrénaline commence maintenant à refluer, alors que les paysages glacés laissent place au vide non moins glacial de l'espace. Ce n'est qu'à partir de ce moment que j'ose regarder de nouveau ma blessure, la couleur de mon armure me laissant un instant bouche bée devant l'importance de toutes ces plaques blanches couvertes de sang. Je tâte avec précaution ma blessure, trouvant l'objet responsable en un morceau de métal déformé et précédemment chauffé à blanc qui traverse de part en part les parties non protégées de mon armure.

Je tente de me lever, avant de basculer sur le côté en un gémissement de douleur. Cin arrive comme par enchantement, alors que je cherche à me relever, ne voulant pas montrer une image aussi faible du Premier Ordre. Je fais quelques pas dans sa direction, le visage livide, avant de m'effondrer sur lui.


« Cin... J'ai froid, je parviens à articuler, quelques gouttelettes de sang maculant mes lèvres. »

J'ai bien conscience de ne pas être des plus légères avec mon armure, ni même être très gracieuse en tombant dans ses bras, mais je n'arrive plus à tenir debout. Je n'ai que des compétences limités en premiers soins, même au combat, mais je sais reconnaître quand quelqu'un est mal en point. Et, clairement, je ne risque pas de gambader si quelqu'un n'arrive pas à faire le nécessaire très vite. J'aimerais lui dire tout ça, lui indiquer ce qu'il pourrait faire pour m'aider alors qu'il essaie de plaisanter, m'arrachant un sourire las. Je cligne rapidement des yeux, et, au lieu de lui dire quelque chose d'important, ou même simplement de répliquer à son petit commentaire, je lâche simplement :


« P-pas Scarlett. Elliara. Je m'appelle Elliara... »


J'aurais pu lui indiquer comment enlever mon armure, puisqu'il s'y prend comme un manche alors qu'il existe des touches pour les retirer d'un coup, justement pour permettre les soins, mais non. J'ai dit mon prénom, celui que peu connaissent en dehors de mon régiment. Celui que j'ai tant de mal à supporter, parce qu'il rappelle celle que j'étais avant de devenir soldate. Je bats des paupières avec un petit gargouillement, le sang s'accumulant dans ma bouche empêchant le gloussement initial de sortir de mes lèvres alors que je le sens enfin arracher le dernier morceau de mon armure.

Et puis, je grogne de douleur lorsqu'il touche aux abords de la blessure, mes yeux ouverts mais fixant le vague désormais. Je ne peux que songer à l'ironie du sort : je vais mourir dans les bras d'un Résistant, moi qui ait rêvé toute ma vie de finir glorieusement ma carrière sur le champs de bataille dans l'accolade d'un de mes frères d'armes auquel je passerais le commandement. Tous ces rêves d'héroïsme et de gloire qui ne se réaliseront plus maintenant. Cin parle encore au-dessus de moi, mais je ne l'entends plus. Tout est devenu flou, et ses paroles aussi. Je me sens bouger, mais je ne saurais dire s'il s'agit de la réalité.

Ma vision se brouille définitivement et je ferme les yeux, chacun de mes bras me semblant peser des tonnes. J'ai mal mais je ne peux rien faire. Je ne bouge plus de toute façon. Mon sang semble bouillonner, et c'est comme si sa chaleur en quittant mon corps me rendait glacée. Je tremble de froid, alors que quelque chose s'agite au-dessus de moi, venant peu à peu empêcher cette fuite de chaleur. Je grogne de nouveau quelque chose comme quoi je ne veux pas d'antidouleur, qu'ils sont réservés aux chefs, mais personne ne me répond.

Je finis par sombrer dans l'obscurité aux ombres réconfortantes.

J'émerge d'un sommeil agité mais sans rêve. Mes yeux voient de nouveau clairement, alors que je tente de me redresser sur un coude en dépit de la douleur lancinante qui me perce le bassin. La pièce est vide, froide, et totalement neutre. Ma blessure est pansée mais propre, et je jette un regard alentours en croissant :


« Cin ? j'appelle d'une voix pâteuse. »

Baissant les yeux, je constate la présence d'une veste qui n'est définitivement pas la mienne, et qui a dû tomber lorsque je me suis relevée. Sans hésitation, je la passe autour de mes épaules en retenant un frisson, m'apprêtant à balancer les jambes hors du lit médical lorsque Cin passe la tête dans l'embrasure de la porte. Je lâche un sourire à son approche, avant de grogner lorsqu'il m'oblige à me rallonger, me faisant constater par la même occasion que je n'arrive pas à résister.


« Je pourrais me relever, si j'voulais, dis-je comme une enfant qui sait qu'elle en est incapable. »


J'obtempère néanmoins, m'entourant de la veste en croisant les bras sur mon débardeur. Le calme qui règne dans le vaisseau contraste tellement avec tous ces derniers événements qui se sont enchaînés à une vitesse dingue me ferait presque peur, à peu de choses près. Nous sommes toujours dans l'espace à priori, et maintenant vont se poser les questions épineuses. Comme le très simple qu'est-ce qu'on va faire désormais ? Sauf que je n'ai pas encore envie d'arriver à cette question.


« Où est-ce qu'on est ? je demande de façon plus diplomatique. »


De toute évidence, aller dans l'une ou l'autre des bases serait une erreur tragique. Mais dans le même temps... Je sais que je dois lutter contre cette pensée, mais je n'ai pas tellement envie de retourner au Premier Ordre dans l'immédiat. Oh, je ne suis pas convertie, et je ne compte pas déserter non plus, mais pour une fois dans ma vie, j'ai l'impression d'être presque libre de mes mouvements. Libre de mes paroles. Libre de la hiérarchie, des ordres, et de tout ce qui me pèse chaque jour dans ma vie de soldate pour le Premier Ordre. Je sais que ce moment interdit que lui et moi partageons va finir... Et c'est pourquoi j'ai envie de le faire durer.


« Merci, au fait. Mais j'espère que ça va pas devenir une habitude que tu me sauves la vie, je m'en voudrais de fausser ton compteur, dis-je avec un grognement pouvant s'apparenter à un petit rire. »


De toute évidence, Cin est meilleur aux plaisanteries que moi, mais je suis plus provocatrice. Je me décale avec un sourire et un regard l'air de le défier, laissant une place à mes côtés dans le petit lit médical alors que je ne le quitte pas des yeux. Mon visage semble lui hurler "Chiche" aux oreilles alors que j'agrémente mon mouvement de quelques paroles.


« T'as une tête de déterré, Cin, c'est toi qui devrait te reposer, dis-je d'un ton tranquille avant de regarder le plafond, comme si sa réponse ne m'importait pas le moins du monde. »