Un sourire. Elle l'écoutait. L'humour serait sans doute son meilleur allié avec le temps. Celui qui vous permettait de ne pas finir complètement fou malgré les épreuves du temps. Là, elle continuait de vérifier les lames, revenant parfois sur certaines qu'elle avait déjà affûte et dont le fil ne lui semblait pas assez tranchant. Elle avait le bout des doigts trempés chaque fois qu'elle récupérait la pierre grise dans l'eau. Le creux de sa paume prenait pas endroit la même teinte à cause des gouttes qui coulaient le long de la pierre. Elle sentait ce contact sans rien dire, sans chercher à y échapper. Fauve se contentait d'écouter les dires du jeune homme. Elle ne manquerait pas au moins de lui donner une tape sur la tête. Il fallait réserver l'égorgement à ceux qui le méritaient vraiment. Mais là n'était pas la question.

_ Je ne manquerais de rappeler l'idée en tout cas, répondit-elle simplement avec un air qui aurait pu passer pour sérieux si elle n'avait pas continué de sourire.

Là, Fauve releva son regard pour le porter une énième fois sur Aram pour l'observer. C'était toujours intéressant de voir comme les gens s'adaptaient à leur interlocuteur. S'il gardait un langage pour le moins familier qui laissait transparaître sa personnalité, l'homme n'en demeurait pas moins attentif et respectueux. Sauf bien sûr à l'égard de leurs hôtes. En même temps méritaient-ils qu'on leur accorde quoi que ce soit ? Dans une autre vie, sur une autre planète, ils n'auraient été que de pauvres âmes en peine qui auraient rêvé d'une vie meilleure. Alors non. Ce n'était que le hasard de la vie, un jeu d'actes et de conséquences. Néanmoins Aram venait de soulever un point intéressant… Il ne connaissait pas son nom et elle n'avait pas daigné le lui dévoiler jusqu'à présent. Il fallait remédier à ça n'est-ce pas ?

_ Fauve, dit-elle sans plus ajouter quoi que ce soit.

C'était largement suffisant, le reste suivrait avec le temps. Là, elle venait de passer le dernier couteau sur la pierre. Bien, il fallait à présent passer un coup d'eau dessus et les nettoyer pour enlever les particules qui restaient sur l'acier. Après tout il serait dommage d'avoir un croquant là où il ne devrait pas y en avoir. Fauve regarda autour d'elle mais malheureusement il n'y avait rien pour les rincer. Un simple tissu imbibé d'eau ferait certainement l'affaire. Là, elle se leva et contourna la table avant de s'arrêter à la hauteur de Fray.

_ Mangez donc quelques fruits de plus, ça ne vous fera pas de mal, je reviens, lui dit-elle en indiquant la caisse de fruits qui ne demandaient qu'à se faire dévorer par un estomac affamé.

Sur ces mots, elle quitta la pièce pour aller à la recherche de la pièce de tissu qu'il lui fallait. Avec un peu de chance personne n'aurait besoin d'elle et il n'y avait pas besoin de laisser un pilote de module avec plus de couteaux qu'il ne saurait quoi en faire.

Le pas léger, les sens en alerte, Fauve avait quitté la pièce et arpentait la zone des cuisines comme une reine dans son palais. Bien qu'à y regarder, elle n'était pas du tout dans son restaurant et encore moins sur sa planète. Il fallait s'adapter. La cheffe arriva à la plonge et chipa un torchon propre sur lequel elle mit de l'eau clair et froide. D'une main ferme, la fibre se fit essorer pour éliminer le trop plein cristallin qui imbibait la matière. Elle en profita pour regarder autour d'elle et noter comme se déroulait le service. Toujours armée du torchon, la rousse s'aventura un peu plus dans les cuisines pour aller auprès de sa brigade. Chacun était à sa tâche et exécutait parfaitement les actions qui incombait à la préparation des plats. Là, elle goûta une sauce épicée. D'un hochement de tête la cheffe assura à son cuisinier que c'était bien dosé, il n'en fallait pas davantage. Suite à quoi, le pas léger et silencieux grasse à ses semelles plates, qui laissait voir combien elle n'était pas la plus grande en ces lieux, Fauve s'en retourna par là où elle avait laissé le pilote de module. Avec un peu de chance ce dernier aurait écouté ses conseils en matière culinaires. La jeune femme avait eu raison d'étudier la nutrition sportives il y avait de ça quelques années, ce jeune homme avait des carences alimentaires dont il ne devait même pas avoir cure. Certes si pour l'heure son organisme parvenait à lutter contre certains manques, avec le temps il finirait par en ressentir le coût. Douleurs articulaires, mauvais transite, etc. La cheffe ne savait pas le moins de monde pourquoi elle s'inquiétait du cas du jeune homme, c'était étrange. D'habitude elle se souciait surtout de celui de ses hommes de mains qui devaient toujours être dans les meilleurs conditions physiques pour des raisons professionnelles.

Comme toujours, elle se glissa dans la pièce silencieusement, la plus part des gens en avaient l'habitude mais apparemment pas Aram qui fut surpris de la découvrir là. Fauve arqua un sourcil en l'entendant lui et son humour. Suite à quoi elle haussa les épaules et vint se rasseoir à sa place. Là elle nota plusieurs cadavres de fruits et le fait que ses couteaux n'avaient pas bougé. C'était plutôt bon signe non ?

_ Mieux à faire… dit-elle sur un ton qui feignait la réflexion. Non. Mais je sens que le bain de foule ne va pas tarder. « Messieurs dames, permettez moi de vous présenter celle qui vous a régalé… blablabla » poursuivit-elle en caricaturant son client. Enfin le mien sera moins long que le votre.

Sur ces derniers mots, elle eut un sourire amuser, comme pour se moquer de la situation du pilote. Après tout, si tout cela avait lieu, c'était en parti à cause ou pour lui. Le pauvre allait devoir jouer les jolies potiches pour satisfaire l’ego d'une de ces personnalités de la haute dont Fauve faisait également parti. A ceci près qu'elle n'avait pas besoin de faire étalage de sa richesse et de son statut sociale pour prouver qu'elle existait. Un simple assiette avec un de ses plats suffisait à dire qu'elle était derrière tout ça.

Fauve lui adressa un sourire, le dernier pour cette rencontre ci. D'autres viendraient sans que l'un comme l'autre ne le sache. Était-ce nécessaire de tout savoir ? Il fallait se laisser quelques surprises, sinon on courait le risque de se lasser de la moindre conversation, de la moindre situation. D'un geste sûr, elle finissait d'essuyer les lames des couteaux qu'elle venait d'affûter, regardant Aram quitter la piège où elle avait élu domicile le temps de quelques heures de calme. Ça avait toujours quelque chose de curieux, les rencontres. Elle s'arrêta dans son geste, repensant comme tout ça avait évolué si vite. D'abord menaçante, lame au clair, ils avaient fini par se retrouver autour de la même table pour une conversation des plus anodines. Le sourire ne la quittait plus alors qu'elle reprenait sa besogne, ce Fray était un personnage aussi amusant que curieux, loin des clichés habituels qui couraient dans ce monde d'être et de paraître. Voilà qui était des plus rafraîchissant pour la native de Corellia qui s'était attendue à devoir affronter un énième gala fade et fastidieux.

L'un après l'autre, Fauve avait soigneusement ranger les couteaux de cuisine dans leur sacoche, refermé cette dernière et s'apprêtait à présent à quitter la pièce, laissait là la caisse de fruits qu'elle avait fait porter par le pilote. La porte se referma derrière elle tandis qu'elle marchait dans le couloir, entendant la rumeur des conversations au loin. Le gala semblait se dérouler tranquillement, ni cris ni bagarre à en juger par ce qui lui était donné d'entendre. Des rires, parfois forcés et des voix qui portaient fort pour se donner de l'importance ou attirer de l'auditoire. La cheffe leva les yeux au ciel et poussa un soupire. Ces gens ne changeront jamais.

Elle préférait rester sur un territoire où elle était sûr de garder la main à présent qu'elle n'avait plus de raison de rester éloigné de tout ça. C'était étrange, aimer son métier mais ne pas supporter d'être confronté à certains clients. Fauve se montrait parfois misanthrope à l'égard de ses semblables. Tantôt la main sur la lame, tantôt à vous tendre l'assiette…

_ Cheffe ? Y a le client qui demande après vous, dit un serveur qui venait d'arriver à sa hauteur alors qu'elle s'assurait d'une cuisson.

_ J'arrive, dit-elle en laissant retomber la cuillère dans la casserole d'où s'échappait un léger fumet odorant.

Son tour était venu, certainement que certains convives avaient demandé à savoir qui se cachait derrière les fourneaux et le client avait finalement décidé d'agiter son trophée. Fauve poussa à nouveau un soupire, regardant son uniforme de cuisine pour voir s'il était impeccable et bien mis. Là, redressant la tête, elle pris une bonne inspiration avant d'arborer un sourire de circonstance, elle était prête. D'un pas assuré, le dos droit, elle passa la porte qui donnait sur la salle de gala. Un autre monde se déroulait sous ses yeux, un monde que Fauve ne connaissait que trop bien depuis sa plus tendre enfance… Son monde.