A l'écouter parler, l'homme lui semblait des plus étranges. Il s'exprimait d'une façon que Fauve n'avait jamais entendu. Aussi l'observait-elle sans ciller, cherchant à comprendre ce qu'il voulait exprimer. Dans tous les cas, il semblait avoir trouver les mots à présent. La native de Corellia avait toujours eu l'habitude des personnalités plus bavardes qu'elle. En réalité il n'était pas bien compliqué de parler plus qu'elle, tout le monde en était capable. Or l'homme qui se trouvait en face semblait avoir retrouver sa verve et ne se privait pas de partager un point de vue qu'elle ne connaissait pas et qu'elle ne pouvait pas connaître. La Force… Un concept bien étrange dont elle n'avait jamais entendu parlé. Mais elle ne disait rien, écoutant et observant son interlocuteur avec la neutralité qui avait toujours été sienne. Fauve ne pouvait pas sourire ou exprimer un air surpris. Encore moins arborer une expression négative. Elle n'y arrivait pas. Il n'y avait que ce sourcil arqué qui témoignait de l'attention qu'elle accordait à l'homme. Elle le voyait sourire, comme si quelque chose l'avait touché avec sincérité. Sans doute n'était-ce qu'une impression.

La femme n'avait dis mot depuis qu'il avait commencé à parler, il y avait cette envie de savoir jusqu'où tout ça devait aller. A dire vrai elle n'avait même pas pris le temps de cogiter, son esprit restait désespérément vide de réflexion, non pas parce qu'elle ne comprenait rien, mais parce qu'elle n'avait pas envie de parasiter le souvenir de cette conversation à la fois étrange et passionnante. L'équilibre, la Force, et bien d'autres concepts intéressant qui pouvaient peut-être expliquer son propre regard sur la galaxie à défaut du monde. Il ne devait pas avoir ce genre de discours à chaque fois qu'il mangeait quelque chose. D'autres l'auraient pris pour un illuminé, un fou qui racontait des histoires pour qui voudrait les entendre. Cependant, Fauve gardait en tête l'idée qu'il ne se serait pas livré à pareille conversation s'il avait été en une autre compagnie.

Il en convenait que ce n'était pas forcément très poli de se murer dans le silence, mais elle ne voyait pas quoi répondre à tout ce qu'il disait. L'homme possédait des savoir qu'elle ignorait et en parler avec lui sans rien en savoir n'était pas une situation qu'elle affectionnait particulièrement. On lui avait toujours appris à ce taire lorsqu'elle ne maîtrisait pas le sujet. A quoi bon débattre sans rien y connaître ? Fauve se basait seulement sur ce qui lui semblait logique et perceptible. Là, alors qu'il se rendait compte de tout ce qu'il venait d'exprimer, il fit un geste dans sa direction. Elle le regarda faire toujours sans rien dire et l'inflammation qu'elle avait à l'aine venait de réduire considérablement. La cheffe en était presque triste. Certes, elle avait toujours eu un rapport à la douleur assez étrange, car quand on allait bien on oubliait souvent qu'on était vivant.

Là, elle releva son regard pour observer cet inconnu. Fauve resta un temps dans le silence, sans plus chercher à parler ou dire quoi que ce soit. Il n'y avait ni peur, ni émerveillement dans son regard, elle se contentait de rester assise face à quelqu'un qu'on aurait fui volontiers après ce tour.

_ Vous ne m'avez pas dit comment vous vous appelez, finit-elle pas dire avec le plus grand calme.

Fauve le savait, le silence était l'une des choses les plus dérangeantes pour les espèces pensantes. Il avait bien des significations suivant la situation dans laquelle il était exploité. Tantôt signe d'indifférence, démonstration de calme et sang froid ou marque d'une profonde réflexion. Dans le cas présent, la femme avait opté pour un silence qui permettait à son interlocuteur de pouvoir parler librement, sans craindre une quelconque interruption de sa part. D'expérience, elle savait que les gens n'avaient pas l'habitude d'un tel comportement, les conversations appelant à un échange oratoire dans les deux sens. Chose à laquelle elle n'aimait pas se conformer. Aussi avait-elle noté le trouble dans lequel s'était retrouvé l'homme en sa présence, face à son manque de réponse. En soi c'était toujours satisfaisant de pouvoir plonger quelqu'un dans un tel sentiment, non pas pour éprouver de la supériorité sur autrui, mais parce que d'un point de vue purement comportementale s'était assez intéressant. Sans que cela ne soit pour autant très révélateur de la personnalité de l'autre. Mais l'expérience fallu toujours le coup d'être tentée. Surtout quand lui même avait fait preuve de bonne volonté en agissant sur sa douleur aux abducteurs.

_ Fauve Yhadgar, dit-elle en réponse à celui qui s'appelait semble-t-il Hayden. Ne vous en faites pas, il m'en faut beaucoup plus pour m'effrayer. Comme un assaisonnement mal exécuté, ajouta-t-elle avec un brin d'humour.

Elle venait d'esquisser un léger sourire pour briser le visage neutre qu'elle avait arboré un court moment. De quoi adoucir ses traits et prouver à son interlocuteur qu'elle n'était pas effrayé le moins du monde. Des fous, elle en avait déjà croisé et celui-ci semblait avoir toute sa tête. En tout cas elle essayait de s'en persuader. Mais Fauve n'ayant jamais été véritablement expressive, aussi ne laissait rien passer, sauf peut-être quelques micros expression qui trahissaient le calme et la quiétude dont elle faisait preuve. A dire vrai, elle n'avait pas envie d'avoir peur, elle en avait presque la flemme, bien que ce qualificatif n'était pas fait pour elle.

_ Je ne sais pas si j'aime votre vision des choses, avoua-t-elle sans détour pour poursuivre la conversation qui avait été lancé. Mais elle n'est pas plus fausse que celle d'un autre. Et ce serait présomptueux de ma part que de croire que je détiens la vérité contrairement à vous. Pourtant, tout ce que vous avez dit me parle et je comprends peut-être un peu mieux d'où me vient cette volonté à vouloir l'équilibre là où pour la plus part des gens il ne s'agit que d'une assiette.

Fauve était assez intelligente pour reconnaître qu'il y avait autant de mondes qu'il y avait d'êtres vivants à travers la galaxie et ailleurs. Et ces mondes pouvaient parfois entrer en collision comme se compléter. Celui que proposait Hayden était sensiblement celui de la cheffe, même si elle n'employait pas les même terme et n'en possédait pas forcément la même perception. Néanmoins, c'était la première fois qu'elle rencontrait quelqu'un avec une vision assez semblable à la sienne, chose qui lui faisait extrêmement plaisir, même si elle ne le montrait pas forcément.

_ Dans tous les cas, ce n'est pas le genre de conversation à laquelle je me serais attendue en me levant ce matin, poursuivit-elle toujours souriante.

Il partageait son avis sur le fait que ni l'un ni l'autre n'aurait pu prédire ce qu'il adviendra de leur journée. En effet, ils se retrouvaient tout les deux autours de la même table et si ce que Fauve avait compris de tout ce que Hayden lui avait raconté, tout cela était sans doute dû à la Force ? Ce concept à la fois étrange et familier qui lui faisait penser que la galaxie restait bien mystérieuse aux yeux du commun des mortels. Sur ces mots, elle le vit dévorer le dessert. Définitivement, il n'avait pas dû avoir un vrai repas depuis un bon moment. La bouteille de vin n'était pas non plus au meilleur de sa forme mais Fauve n'avait rien à dire dessus, seulement qu'il avait une bonne descente et que cette aventure dans les égouts lui avait donné grand faim. De tout façon, ce n'était pas compliqué de manger plus que la cheffe, elle qui avait toujours un appétit d'oiseau à force d'avoir le nez dans la cuisine.

Cela sentait la fin de repas, la fin de la conversation. Ô comme le temps était passé si vite… Elle n'avait pas vu l'heure passer, elle qui passait rarement en salle quand c'était le service. Cet homme avait en quelque sorte bouleversé ses habitudes mais aussi sa perception du réel. Que penser de tout ça à présent ? Cette histoire de sensibilité. Oui, elle savait qu'elle avait un lien particulier avec le monde dans lequelle elle évoluait, mais de la à vouloir en savoir davantage ? Peut-être était-ce mieux d'en rester, de ne pas apprendre davantage. D'autant que d'après ce qu'elle entendait… Il ne faisait pas bon d'avoir cette chose. Et lui qui semblait lui faire confiance. Hayden parlait à nouveau, se confiant sur la situation… Une chasse à l'homme ? Fauve ne savait pas quelle porte elle venait d'ouvrir, mais le chemin promettait d'être dangereux de ce qu'elle comprenait. Cela valait-il le coût de risquer ce qu'elle avait de plus cher pour des histoires de Force et de sensibilité ? La femme restait interdite, ne parvenait pas encore à prendre le recule nécessaire sur la situation présente.

_ Vous pouvez compter sur moi, dit-elle en hochant la tête. Du moment que vous payez la note, rajouta-t-elle avec un brin d'espièglerie comme elle savait le faire parfois.

Mais ça, elle ne s'en inquiétait pas trop. Quand bien même ce personnage était un baratineur, même s'il lui était offert de douté après la démonstration faite sur sa blessure, Fauve n'avait pas envie de lui lâcher des hommes aux trousses. Il n'avait fait de mal à personne depuis son arrivée au restaurant et puis pour quels crédit, elle ne risquait pas de faire faillite de sitôt. Ce ne devrait pas être trop compliqué de s'en remettre. Alors, elle laissa esquisser un nouveau sourire, léger, oscillant entre cette même espièglerie et l'amusement. Ce n'était pas son premier secret, ni son dernier. Comme un retour à l'enfance et ses milliers d'aventures extraordinaires.

La vie était ainsi faite, de curieuses rencontres sans qu'on sache pourquoi et comment. Si Fauve avait exprimer le fond de sa pensée à ce sujet, son avis restait incertain. Elle n'était même pas sûr d'en avoir un. Oui, elle n'arborait aucune réaction face à cet homme qu'elle venait de rencontrer, parce qu'elle n'en voyait pas l'utilité. La surprise, la peur, la curiosité. Tout ça n'était pas pour ébranler son calme. La cheffe n'en avait pas l'envie, tout simplement. Ce qui ne l'avait pas empêcher de prêter une oreille attentive à son interlocuteur et sa vision des choses. Le temps semblait s'être suspendu le temps de leur conversation mais à présent il revenait à la normale, défilant bien trop vite et pourtant. Fauve avait fini par se lever de la chaise, découvrant comme il était agréable de ne plus souffrir d'une légère blessure à son abducteur, mais triste aussi de ne plus éprouve cette sensation de douleur. Hayden était allé payé et à son retour il lui tendit la main. La femme la prit pour la serrer avec sa poigne habituelle, peut-être un peu trop fort pour son gabarie… L'habitude de traiter avec des clients qui faisait parfois le double de sa taille et de sa force.

Suite à quoi, il lui montra une holophoto sur laquelle Fauve baissa la yeux pour observer le visage de la jeune femme dessus. Elle prit le temps de noter les traits, notant peut-être une ressemblance avec l'homme mais elle n'en dit rien. Suite à quoi, elle releva le regard et esquissa un indécrottable sourire bienveillant. En guise de réponse elle se contenta d'un hochement de tête élégant. Il n'était pas utile de s’étendre en mots quand un simple signe suffisait. Après quoi, elle l'accompagna jusqu'à la porte du restaurant pour lui souffle, sur un ton doux :

_ Puissiez-vous poursuivre votre voie malgré les épreuves.

Car hélas, la vie était une épreuve à elle seule qu'il fallait affronter. Peut-être que leurs chemins se recroiserait un jour, peut-être qu'elle laisserait les coordonnées là quelque part dans une tiroir pour les oublier avec le temps. Fauve n'avait pas envie de prédire l'avenir, seulement de le laisser venir en temps et en heure.

Mais pour l'instant, il fallait retourner en cuisines, la pause était terminée. Elle laissa le soin au servir de débarrasser la table à présent vide. Ô oui, c'était une bien curieuse rencontre dont avait découler une bien curieuse conversation. Et comme elle l'avait promis, elle n'en dirait mot à personne, pas même à ceux en qui elle avait le plus confiance. Il était toujours bon d'avoir quelques secrets insoupçonnables, non pas pour ce rendre plus intrigant, mais parce qu'il n'était pas bon que l'on puisse tout savoir sur quelqu'un. Il n'y aurait alors plus de place pour le hasard et la spontanéité. Fauve lança un dernier regard vers l'entrée, comme pour savoir si tout cela n'avait été qu'un tour de son esprit. Et d'un regard elle balaya la salle du restaurant avant de prendre la porte qui menait dans les cuisines.