Alors ? Quelle sera la réponse de Diarmuid ? S’en ira-t-il pour retrouver toutes les tâches qui l’incombent tous les jours, sans relâche ou au contraire, les repoussera à un peu plus tard ? Aloy continue de regarder les décorations avec tout autant de fascination tandis que sa mère attend patiemment. Elle ne lâche pas le brun des yeux, sous la lumière artificielle et froide de l’infirmerie il lui est d’autant plus aisé de voir à quel point il a mauvaise mine. Entre lui et Aloy, la brunette se demande lequel des deux est finalement en plus piteux état. Il finit par répondre, à la plus grande surprise de Moira, d’ailleurs. Elle qui le voyait déjà partir. C’est étrange, inhabituel mais la brune ne s’en plaint pas. Ce n’est pas plus mal qu’il fasse une pause. Tous les trois -ou quatre en comptant BB-12 qui les suit à la trace-, ils sortent de l’infirmerie et les grands yeux d’Aloy scrutent les couloirs sans en perdre une miette. L’endroit n’a pourtant rien de bien exceptionnel mais tout est tellement différent de l’environnement que la petite fille a toujours connu, de la planète sauvage et la maison de pierre des parents de Moira. Avant son arrivée, jamais elle n’avait vu ne serait-ce qu’un véritable médecin ou même un autre droïde que celui de sa mère. Tout est nouveau, tout l’émerveille et ça fait naître un sourire attendri sur les lèvres de la pilote.
A cette heure-ci, le mess est entièrement vide et c’est tant mieux, Moira souhaite éviter un trop-plein d’agitations à Aloy. Ils s’installent à une table à quatre, Aloy sur les genoux de sa mère qui observe le nouveau droïde avec beaucoup de curiosité, tout comme elle observe le contenu du plateau avant d’attraper la cuillère pour la tremper dans le bouillon de légumes.

La mère et la fille sursautent toutes deux en même temps alors que la voix de Diarmuid retentit brusquement dans le mess. Moira relève les yeux, croise le regard du soldat qui s’est figé dans son mouvement, pas du tout prêt à recevoir une telle réponse. La brune le fusille du regard, lui faisant comprendre qu’il a intérêt de déguerpir et c’est ce qu’il fait. Aloy est déposée sur la chaise juste à côté ; elle lance un regard interrogateur à sa mère qui lui fait signe de ne rien dire et de continuer à manger. Il est temps qu’elle prenne les choses en main. Et sérieusement. La pilote se lève, fait le tour de la table afin de tirer la chaise de Diarmuid et s’agenouiller devant lui. Doucement mais fermement, elle vient attrape les mains du général pour les retirer de sur son visage.

« Il faut que ça cesse, Diarmuid. Cette situation ne peut plus continuer et tu le sais très bien. Moira serre ses mains entre les siennes. Je sais que la Résistance, ton rôle, ont une importance primordiale pour toi mais ça va trop loin. Tu es en train de te tuer à petit feu. Combien de temps tu crois pouvoir encore tenir, à ce rythme là ? A ne pas dormir, mal te nourrir et ne pas t’accorder une seule seconde de répit ? Tu n’es pas une machine. »

Plus la peine de le prendre avec des pincettes, à quoi cela sert, de détourner les yeux face à son état ? A rien. Si personne ne le remet en place, il va juste finir par craquer : pour de bon. Ce n’est pas ce que veux Moira, personne ne le veut. En face d’eux, Aloy et BB-12 les regardent sans rien dire ; la petite tête du droïde est même penché un peu sur le côté, lui qui n’aime pas des masses le général a un peu de peine pour lui.

« A partir de maintenant, tu vas m’avoir sur ton dos. Et tu pourras bien m’ordonner de te foutre la paix, tu ne l’auras jamais. S’il faut que je te force à manger et à dormir, fais-moi confiance pour le faire ; et crois-moi, je peux être la pire des emmerdeuses quand j’en ai envie. » Fait-elle d’une voix ferme.

Pourtant, dans ses gestes, elle n’est que douceur. Délicatement, sa main vient caresser la joue du brun ; cherche son regard.

« Je tiens beaucoup trop à toi, Diarmuid, pour te regarder t’auto-détruire sans rien faire. Te voir dans cet état est un véritable crève-coeur. Laisse-moi t’aider, s’il te plaît… »

Qu’il accepte ou pas, Moira n’en fera de toute façon qu’à sa tête. Il est borné et bien elle l’est encore plus. Elle se relève, passe ses bras autour de lui pour l’attirer contre elle et le serrer tendrement. Il a beau être assis, même lorsque Moira est debout, ce dernier est presque aussi grand qu’elle. Ses doigts glissent dans ses cheveux et elle le tient là, étroitement serré dans ses bras.

Sa main glisse sur son visage tandis que Moira lâche un très léger soupir sans pour autant ajouter le moindre mot. La brune n’a pas l’envie ni la force de se lancer dans une dispute qui sera stérile, ne servira à rien si ce n’est jeter un nouveau froid. Elle n’aime pas les conflits, ne s’énerve que rarement alors elle se contente juste de hausser les épaules tout en se rasseyant sur sa chaise en métal, à côté d’Aloy qui a le nez plongé dans son bol. Lorsque l’on vient d’une maisonnée conséquente, on ne prête plus réellement attention aux disputes ou remises au point, celles-ci sont quotidiennes et la gamine continue de boire le bouillon tiède tout en jetant des coups d’oeil curieux au droïde de Diarmuid qui venait de tous les rejoindre. BB-12 s’est instinctivement éloigné de ce dernier car ce n’est pas un secret que les deux robots ne s’apprécient vraiment pas. Le petit droïde rond s’installe de l’autre côté de la table, juste entre les chaises de sa maîtresse et de sa fille. Cette dernière vient tapoter la petite tête métallique de BB-12 qui ronronne de contentement, faisant rire Aloy. Les yeux de Moira sont fixés sur le dos de Diarmuid alors que la voix de Deckardt résonne juste à côté d’elle. Sa tête se baisse, elle regarde ses mains pendant un court instant.

« Qu’on ne me demande pas pour autant de ne pas m’inquiéter ; parce que c’est perdu d’avance. » Murmure Moira au robot encore à ses côtés.

Il y a quelques personnes, sur cette base, auxquelles Moira tient beaucoup trop pour rester stoïque lorsqu’ils ne vont pas bien ; et ceux, même si ils sont capables de s’occuper d’eux tous seuls. Ca fait juste partie de qui elle est, voir Diarmuid se mettre dans un tel état lui brise véritablement le coeur. Elle connait ce yo-yo par lequel il passe, cette habitude de se laisser couler le plus possible mais même si il est toujours plus ou moins remonté, en est-ce sain pour autant ? Pas vraiment. Il ne devrait pas à avoir à elle jusque là pour finalement mettre le holà. Il le fera quand même ; ça la rend hors d’elle de savoir que Moira n’y pourra jamais rien. Elle vient croiser ses bras contre sa poitrine alors que le brun revient finalement vers eux. Aucun mot ne franchit les lèvres de la pilote, pas l’envie de s’enfoncer dans ce terrain là ; l’énervement et ses mots ne serviront à rien.
Alors qu’elle comprend que l’on parle d’elle, Aloy relève la tête du bol pour regarder Diarmuid et le gratifie d’un énorme sourire, un air angélique sur le visage. Effectivement, si tous les légumes du bouillon ont été avalé, ce n’est pas le cas des carottes qui restent dans le fond. Cela n’étonne que peu Moira qui, quelques années avant sa fille, avait aussi la même manie de laisser les carottes de côté. Ces dernières ont la même forme et couleur que certains fruits sur Yavin IV, à cela près qu’ils sont empoisonnés et qu’en manger vous rendra malade pendant plusieurs jours. Toujours se méfier de ce qui est orange, toujours ! La gamine n’en mange pour autant pas le légume, elle a toujours en tête les sages paroles de son grand-père l’exhortant de ne surtout rien manger de orange.

« Désolée de te décevoir, mais j’ai plus pour habitude de m’occuper de ceux que j’aime pas. Par contre rassure-toi, j’ai assez d’une enfant à charge. »

L’enfant à charge regarde sa mère, ouvre la bouche :

« Moi j’aimerais drôlement avoir une petite soeur. J’aurais quelqu’un avec qui jouer, ce serait chouette ! »

BB-12, qui s’était absenté pour aller chercher un verre d’eau à Moira, bip apparemment très vexé de ne pas être le « quelqu’un avec qui jouer ». Aloy tapote la tête du droïde, pour s’excuser, puis reporte son regard sur Diarmuid.

« Tu vas être déçue, Aloy, mais il faudra te contenter de BB-12. Les petites soeurs ne poussent pas dans les arbres. Répond Moira en portant son verre à ses lèvres.
-Je le saaaaaaaais. Fait Aloy qui roule des yeux, elle est bien assez grande pour savoir que les bébés ne viennent pas des arbres ! Ben vous avez qu’à avoir un bébé, tous les deux, puisque vous êtes amoureuuux. »

Moira, qui était en train de boire, s’étrangle avec le contenu de son verre et se met à tousser. Ok. Alors ça, elle n’était pas du tout prête à ça. Elle regarde sa fille avec stupeur ; la gamine a un grand sourire, semble très sûre d’elle. BB-12, lui, est hilare. Tellement surprise, la pilote ignore quoi répondre à l’enfant ; ses propos sont pleins d’innocence, elle le sait, mais les gosses ont cette capacité à mettre les pieds dans le plat sans le moindre problème.

« Tu fais fausse-route, Aloy, Diarmuid et moi sommes amis.
-Mouai. Vous vous disputez comme grand-père et grand-mère ; puis grand-mère dit tout le temps que tu devrais avoir un nouvel amoureux. Alors vous devriez vous marier et… »

Et c’est dans un geste de panique que Moira attrape Aloy dans ses bras tout en posant une main sur ses lèvres pour faire cesser le flot de paroles incessantes. Cette gamine est comme sa grand-mère, elle passe son temps à parler sans parfois réfléchir. D’accord, elle n’a que six ans mais tout de même. Aloy affiche un regard mécontent, elle n’apprécie pas être ainsi interrompue mais ne bronche pas pour autant.

« Il va falloir que tu arrêtes d’écouter ce que grand-mère te dit. Et je crois que tu es restée hors de ton lit assez longtemps. »

Bien contre elle, les joues de la brune se sont légèrement empourprées. Jamais elle n’aurait cru que sa fille sortirait une chose de la sorte. En plus, c’est complètement idiot ! Diarmuid et elle. Ah ! N’importe quoi ! N’importe quoi.