Avec un soulagement certain bien qu’indécelable, Thrace accepta son invitation à sortir avec reconnaissance. De même, elle se laissa entrainée, guidée par la main de l’espionne, appréciant même ce contact, une fois de plus. Une fois la porte de l’établissement passé, Thrace savoura un instant la fraîcheur de l’air nocturne, un peu vif mais parfait pour elle, faisant déjà oublié l’air lourd, confiné et empestant le malandrin qui régnait dans la cantina. La chiss balaya les lieux du regard, jamais départie de ses réflexes de survie, puis se tourna vers Shawa quand elle fut certaine qu’aucune menace ne les entourait.
- Le regard torve d’une bande de poivrot n’est pas un public appréciable. Approuva-elle avec un sourire à peine marqué, mais joueur.
Puis elles se firent face, tout simplement et dans le silence. Grisée par l’alcool, Thrace l’observait d’un regard plus attentif que scrutateur, comme il était dans ses habitudes. D’un coup, elle semblait moins volontaire, la redoutable espionne. Comme si elle était soudain intimidée par Thrace qui l’observait avec patience et amusement : elle commençait à y voir clair sur ce qu’elle voulait. Ne laissant pas son amie plus longtemps dans cet état d’hésitation, elle saisit sa main, lentement, et posa l’autre contre son dos. Il n’y avait pas de musique dans cette rue déserte mais la valse était avant tout une affaire de rythme et de temps. Quelle capitaine Thrace aurait été si elle n’avait pas eu le sens du timing. Mais qui aurait pu croire, tout de même, que la chiss soit une bonne danseuse. On l’oubliait parfois, à la voir continuellement sous son jour militaire et définitivement hermétique à la politique, mais elle avait appris les usages.
Pourtant, c’était rare qu’elle le montre, dans son enfance et ses débuts dans l’armée, surtout en grandissant dans les hauteurs du Premier Ordre, elle n’avait pas pu échapper à certaines obligations plus politiques. Il y avait eu des réceptions, ce genre de rassemblements pour rassurer les anciens impériaux, les fédérer dans cette nouvelle organisation, si loin et pourtant si proche de l’Empire. Puis il y avait l’Ascendance aussi, son père avait bien tenté de la garder éloignée de tout projet militaire, il avait d’autres projets pour elle et cela était passé, à une époque, par la pousser à se rapprocher des grands noms des familles régnantes. Mais ça comme le reste lui semblait appartenir à une autre vie, elle n’était pourtant pas vieille, une enfant même, aux yeux de certains vétérans, mais tout ce qui datait d’avant l’incident avec les Vagaaris lui semblait si lointain…
Pourtant, ses réflexes étaient toujours là et Thrace était la première surprise de retrouver une souplesse dans ses pas, un plaisir dans la danse, qu’elle pensait avoir abandonné, quelque part entre la table d’opération et la salle d'entraînement.
Et Thrace était heureuse de partager ce moment précis avec Shawa. Elle cessa de danser, gardant pourtant sa main contre elle, et leurs regards liés, proches, beaucoup trop proches. Mais qui cela pouvait bien déranger ? Elles étaient seules.