Elle comprend la chance qu’a cette jeune femme d’avoir sa sœur avec elle. La famille n’a pas que du mauvais, c’est seulement la sienne qui est complètement détraquée. L’argent pourrit les gens et les familles, alors elle n’est pas étonnée de voir que chez les autres, ça se passe bien. Enfin bref.

« Je crois que lorsqu’on a la chance d’avoir une sœur aussi adorable que la tienne, on ne voudrait jamais la voir grandir. Comment supporter de la voir fouler le sol d’un monde si détraqué que le nôtre ? Je crois que c’est pour ça que je n’ai pas envie d’avoir une famille, j’aurais trop peur de gâcher l’innocence de mes enfants en les obligeant à vivre avec moi qui suis si instable. »

Pourtant, au fond d’elle, elle aimerait tant avoir des enfants à chérir, à couver, à éduquer. Mais elle ne peut pas se permettre une telle folie. Elle soupire.

« Moi c’est Kyla. Enchantée. »

Elle écrase sa cigarette, contemple la cendre rougeoyante alors qu’elle meurt doucement. Cette jeune femme, Keva … Elle a une partie de ce que Kyla voudrait avoir : une famille aimante. Mais d’un autre côté, elle semble être trop secrète pour avoir une vie idéale. Kyla le sait, quand on n’ose pas tout dévoiler de soi, c’est qu’on traine des casseroles. Elle-même en traine un bon paquet.

« Je ne vais pas te retenir plus longtemps, ta sœur doit t’attendre, non ? » Elle ouvre la porte et la tient pour laisser passer Keva. Sans un mot, elle repère sa jeune sœur dans la cantina et indique une table à Keva. « Attends-moi là, je vais vous chercher un bon truc à manger. »

Elle revient quelques minutes plus tard avec deux assiettes fumantes de ratatouille et un grand panier de pain frais. Pourquoi est-elle si gentille avec ces deux jeunes femmes ? C’est pas vraiment son genre de donner à manger gratuitement, elle qui est si vénale. Elle sait en plus que le prix du repas sera retenu sur sa paye à la fin de la semaine. Son patron ne laisse rien passer, surtout pas les consommations gratuites que certains serveurs distribuent aux femmes qu’ils essaient de draguer. Et vu comme il a Kyla dans le collimateur, il se fera un malin plaisir de retenir une partie de sa paye.
Étrangement, elle s’en fout. Depuis qu’elle a quitté la résistance, elle se ramollit un peu plus chaque jour, lancinée par la solitude, l’absence de but réel à poursuivre. Elle qui pensait se prendre des vacances bien méritées, elle se rend aujourd’hui compte qu’elle n’est pas faite pour se la couler douce. Elle tire une chaise et s’assied près de la table de Keva. Enfin, il est trop tard ce soir pour se miner le moral avec des pensées pareilles !

« Bon et dites-moi, les filles, vous qui avez l’air de voyager pas mal … Vous avez croisé des beaux garçons récemment ? dit-elle, l’air malicieux. Ici, ce ne sont que des fermiers, tous mariés, ou bien trop taciturnes pour draguer… On s’ennuie ! »

Plus la conversation avance et plus Kyla semble comprendre la vraie nature du travail de Keva. Du moins, si elle ne sait pas exactement ce qu'elle fait, ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas tout à fait légal. De toutes façons, la réputation calme et prospère de Taanab cache une autre réalité. Celle des brigands en tous genre qui viennent passer deux ou trois jours ici pour se mettre au vert. Ils labourent quelques champs, boivent deux ou trois verres, se font attraper ou ont de la chance et repartent. La vie ici est plus que simple.

Des informations, est-ce que c'est ce qu'elle veut ? La jeune femme n'est pas du genre à s'épancher en ragots, même si elle a une oreille qui traîne toujours partout. Elle sait, mais comme le savoir c'est le pouvoir - c'est ce que disait son père, il y a très longtemps - elle évite de trop se la raconter. Oui, elle entend les clients de la cantina parler, quand elle fume sa clope dehors ou quand elle boit un verre au bar après le service. Elle entend de tout, du mari qui se plaint au gars louche qui veut acheter des stocks en contrebande. Elle pourrait en raconter des belles, mais qui lui dit que Keva ne touchera pas un gros magot grâce à elle sans qu'elle n'en voit un sou ? L'esprit vénal de la jeune femme se met en branle, et une idée s'impose à elle presque aussitôt.

"Ouais, j'entends pas mal de choses ... Mais comme tout, une bonne info, ça se paye."

Bravo Kyla, tu viens soit de faire fuir quelqu'un de bien, soit de conclure un marché qui pourrait s'avérer fructueux. C'est ça de faire des nouvelles rencontres. Soit on perd, soit on gagne. La vie, c'est un peu le marché de l'amitié, faut savoir se vendre pour convaincre.

Et gagner des crédits.

Ces deux-là savent y faire. Entre la grande sœur qui fait miroiter des crédits aux yeux de la corellienne et la petite sœur qui complimente sa cuisine … Quelles manipulatrices ! Mais si elle y voit clair, Kyla n’en reste pas moins amusée et convaincue de la fiabilité de Keva. Une femme de parole, sûrement, malgré le fait qu’elle doit avoir une occupation tout sauf légale.

On a pas toujours l’occasion d’agrandir son réseau de connaissances quand on est une cuistot un peu flippante qui n’a d’yeux que pour les crédits mais apparemment, elle est prédestinée à frayer avec les gens les moins fréquentables de la galaxie. Pourquoi ça ? Malgré sa bonne bouille, il semblerait qu’elle ne vaille pas mieux qu’un mercenaire ou un chasseur de primes. En même temps, quand on est vénale et violente … On cherche un peu les ennuis sans vraiment faire exprès. Mais voilà qu’à présent des gens lui proposent des crédits pour des informations. Des crédits pour simplement tendre l’oreille ! Si le paradis existait, il serait sûrement un endroit où Kyla n’aurait qu’à être une concierge pour gagner des crédits. Elle s’efforce de chasser les images des nouvelles armes et du vaisseau qu’elle pourrait s’acheter en donnant la bonne info à la bonne personne …

« Marché conclu »

Elle serre la main tendue de Keva, tout en essayant de ne pas trop sourire, histoire d’avoir l’air un brin sérieux. Elle attrape une bouteille de bière sur le plateau d’un serveur qui passe par là, et trinque avec la jeune femme. Keva a pour sûr des bons principes : payer pour quelque chose d’intéressant, et ça plaît à Kyla, qui malgré son affection pour les crédits a du mal à escroquer les gens biens. Pour ce qui est d’escroquer les raclures, elle excelle, mais des personnes comme Keva, ce n’est pas la même histoire. Non, décidemment, cette Keva, c’est une personne plus que sympa. Qui pourrait lui donner des crédits.

Tandis qu’elle sirote sa bière, elle voit les crédits défiler dans son esprit … Crédits, doux crédits.