Au milieu de ses casseroles fumantes, bouillonantes, dégageant un fumet odorant, presque alléchant, Kyla s'affaire. Son service touche bientôt à sa fin et elle n'a qu'une hâte, confier le rangement des cuisines à son commis pour aller fumer sa clope dehors.

Des journées calmes comme celle-là, c’est pas vraiment commun dans le quotidien de Kyla. Et cette journée-ci est bien trop calme, à un point qu’elle en devient tendue. Il va se passer un truc louche, forcément. La jeune femme est tellement habituée à voir du grabuge dans les cantina que le concept de journée normale n’existe plus dans son esprit.

Les heures passent et la cantina se vide de ses occupants affamés pour faire place aux assoiffés. Les agriculteurs de Taanab ont besoin de chasser la monotonie des journées de labour dans l’alcool et ça ne relève pas des compétences de la corrélienne. Kyla finit par confier le nettoyage des cuisines à son commis pour s’éclipser dehors.

Appuyée contre le mur, les yeux tournés vers le ciel, la jeune femme fume sa cigarette sans vraiment faire attention aux gens. Le brouhaha habituel émerge de la porte entrouverte et berce les pensées de Kyla bien loin de cette planète si plate. Depuis son départ des rangs de la Résistance, le calme, la routine la rend morose. A-t-elle eu raison de quitter ses amis et ses camarades pour s’exiler ici ? Au fond, elle ne croyait plus vraiment en rien et la Résistance ne lui apportait plus rien. Elle soupire, tire une bouffée de sa cigarette, et c’est là qu’elle l’apperçoit du coin de l’œil. Cette silhouette adossée au mur, un peu plus loin, le visage tourné vers elle. Elle sent le regard perçant la jauger. Qui est-ce ?

« Tu veux une clope ? »

C’est ce qu’on appelle briser la glace en finesse. Elle tourne le regard vers l'inconnu, tout en lui tendant une cigarette et découvre une femme aux cheveux bruns et au visage doux. Elle aurait pu faire bonne impression à Kyla si celle-ci n'avait pas remarqué que la brune était armée.

« Sympa, ton attirail. »

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Des endroits où il vaut mieux être armé, Kyla en a vu, elle a même parfois contribué à la réputation dangereuse de certains endroits. Alors pour être effrayée d’un blaster, il lui en faudra plus, tellement plus. Si la jeune femme qui se tient devant elle ne fume pas, elle semble pourtant avoir un autre défaut. Serait-ce celui de côtoyer trop souvent le danger ? Ceux qui ont ce défaut ont un truc dans le regard, on dirait qu’ils s’attendent constamment à avoir à se défendre. Kyla le sait, elle a le même truc dans le regard, qu’elle voit tous les matins et qui l’agace toujours plus, de jour en jour. Elle en a assez vu et vécu pour avoir à soupirer tous les matins face à son reflet, à son visage aux traits fatigués, tendus, son regard furtif, prêt à identifier le danger. Il était temps de quitter la Résistance. Temps de s’éloigner d’un quotidien qui la pesait. Mais des années au cœur d’un conflit armé, ça ne s’oublie pas de sitôt. En tous cas, ses quelques paroles ont réussi à briser la glace entre elle et la jeune femme.

« Non … Je ne suis pas vraiment du coin. Je viens de bien plus loin, du genre de planète qui pourrit les gens et en fait des enfoirés notoires. Mais bon, j’me suis barrée bien avant que Corellia fasse son boulot avec moi. »

Et bah, si après ça, la nana fout pas le camp, t’auras de la chance, ma vieille. Va vraiment falloir bosser tes talents de savoir-vivre en société… Mais qu’est-ce qu’elle y peut ? Elle se retrouve sur cette foutue planète, sans rien, à regarder des gens comme cette femme passer. Et bon sang, que leur vie semble trépidante !

« Et toi, tu viens d’où ? Vu tes armes, ta planète doit pas être super sympa non plus … »

Ah tiens, enfin quelqu’un qui n’aime pas les corelliens ? D’habitude, dès que Kyla dit d’où elle vient, les gens la prennent pour un genre de personne plutôt cool, ce qu’elle n’est pas. Soi-disant qu’il y a un gars plutôt connu qui venait de Corellia. Bref. Elle s’en fout, c’est pas à cause d’un vieux papy croulant que Kyla va se forcer à aimer une planète qui lui faisait surtout penser à une prison de luxe.
Ça ne l’empêche pas de remarquer que la jeune femme évite habilement de parler de ses origines. Quelque chose à cacher ? Bah, peut-être qu’elle vient d’une planète du même genre, du genre Mandalore. Les gens de la-bas sont louches. Elle en connait un, un grand musclé avec qui elle s’est battue. Norin. Un bon gars, qui sait bien taper, qui tape même les filles. Ouais, un sacré bon gars … Oh ! Elle s’égare.

La brune lui explique pourquoi elle est armée, mais à vrai dire, Kyla s’en doutait bien. Qui d’autre qu’une aventurière de l’espace pourrait être armée à ce point ? Même Kyla, qui pourtant accumule les crédits dans ce seul but, n’a pas autant d’armes. Elle est un peu impressionnée et jalouse à la fois, à vrai dire. Elle hésite à être sincère avec cette femme qui lui parait de plus en plus intéressante. Lui avouerait-elle qu’elle a, pendant quelques années, eu un peu d’importance pour la première fois de sa vie ? Peut-être pas la meilleure façon de faire bonne impression … Elle décide de ne dire qu’une partie de la vérité. C’est pas un mensonge, dans ce cas, hein ?

« Disons que … Et bien j’ai pas mal voyagé, moi aussi. Ces dernières années j’étais … pas mal occupée. Même vraiment occupée. J’ai eu envie de changer d’air, de me poser quelques temps dans un endroit calme. Cette planète est vraiment très, très, très calme. » Elle soupire, esquisse un sourire. « Trop calme, en fait. C’est dur de passer d’une vie de rés… une vie compliquée et animée à une vie aussi calme. » Merde. Elle a fait une gaffe. Est-ce que la brune a eu le temps de percuter ? « Et toi … tu fais quoi, pour de vrai ? C’est pas parce qu’on voyage qu’il faut être aussi armée que toi. Un blaster et un bon couteau suffisent, la plupart du temps. »

Kyla prend un temps avant de répondre. Sans aucun doute, la femme qui se tient à ses côtés doit être de ceux qui parcourent la galaxie pour courir après les crédits. Une voleuse ? Elle la voit mal voler des choses. Peut-être une mercenaire ou un genre de chasseuse de prime. Malgré la curiosité naturelle de Kyla, ça n’a pas vraiment d’importance, en fait. La question de la jeune femme sur la cantina manque de la faire éclater de rire.

« La cantina ? Un peu que c’est bon ici, c’est moi qui cuisine ! Si t’es malade en sortant, je veux bien mettre ma main à couper, tiens. » Bon, c’est sûr que si son commis crache dans la soupe avant de la servir aux clients, ils risquent fort d’être malade, mais vu comme il est traumatisé et a peur d’elle, ça risque pas d’arriver. « Je te conseille la ratatouille, j’ai eu une livraison de légumes bien frais ce matin, c’est un délice ! » Bon. Et maintenant ? Elle est toujours intriguée, sans savoir pourquoi. Elle voudrait continuer à parler, ça fait tellement longtemps qu’elle n’a pas pris le temps de parler avec quelqu’un, sans gueuler, sans taper. « Tu voyages avec ta sœur ? Si j’ai bien compris, tu vis un peu dans le danger, alors … c’est vraiment prudent ? » Elle soupire. « J’ai laissé mes frères et sœur sur Corellia, je ne sais même plus ce que ça fait d’avoir une famille, ou des gens sur qui veiller. Mais je ne voudrais pas les mêler à ma vie, ça serait trop dangereux, à certains moments. »

Elle laisse échapper un petit rire. Elle voit mal son petit frère hautain en train de sauver les meubles en plein milieu d’une bataille. Combien de fois s’est-elle trouvé sur des planètes où des batailles ont éclaté ? Combien de fois a-t-elle dû fuir face au combat, en emportant le peu qu’elle avait, en regardant le peu de choses, de gens qu’elle connaissant partir en fumée ? En ce moment, la galaxie est loin d’être un vrai terrain de jeu pour des enfants. Qui voudrait avoir un gamin dans les pattes ? Kyla ne comprend plus l’importance des liens de la famille, et c’est tant mieux. Elle est mieux toute seule. Enfin… C’est ce qu’elle essaie de croire.

Kyla est une personne de bonne foi. Si elle vous dit que ce qu'elle cuisine, c'est bon ... Normalement ça l'est. On n’est jamais à l'abri d'un commis maladroit qui crache dans la soupe, mais bon. « Tu peux y aller sans crainte. Toi et ta sœur, vous allez vous régaler. Et avant de payer, venez me voir, je vous ferai une ristourne. » Elle s’était engueulée avec son patron aujourd’hui, sur la question de son salaire. Il n’avait pas voulu l’augmenter, en grand radin qu’il est. Alors autant faire rentrer moins de sous dans les caisses, histoire de se venger un peu.

La jeune femme enchaine sur sa famille. Ça doit faire quinze ans que Kyla n’a pas croisé la sienne, et c’est tant mieux. Ils ne sont qu’une bande de chacals sans foi ni loi, qui ne pense qu’au fric. Bon, c’est aussi le cas de Kyla mais elle a appris à avoir un peu de cœur dans les affaires, depuis sa fuite de Corellia. « Ma famille … Comment dire ? Ils sont toxiques, tu vois ? Ils ont été pourris par leur fortune, et si je n’étais pas partie, je serai sûrement pire qu’eux. J’avoue que j’ai un penchant pour les crédits, mais je n’irai pas jusqu’à marier ma gosse de 15 ans à autre gamin pour gagner plus de crédits. » Elle soupire, un peu blasée par l’évocation de sa famille. « Je ne les ai pas revus depuis … ça doit bien faire une quinzaine d’années. Mes frères et sœurs doivent avoir bien grandi mais c’était des gamins pourris-gâtés, qui se faisaient du mal entre eux, par jalousie de l’autre. Ça ne me manque pas d’avoir à être l’ainée parfaite, qui montre l’exemple. Ces conneries, ce n’est pas pour moi. »

Non, ces conneries, comme elle dit, sont loin d’être sa tasse de thé. Elle n’a jamais aimé ses parents ou sa fratrie. Toute cette vie mondaine l’ennuyait à mourir, chaque soirée passée à faire des courbettes et à boire en cachette pour faire passer le temps plus vite. Elle a bien eu quelques amis, mais aucun n’a pu rendre son existence réellement plus intéressante. Elle est née par convenance, parce qu’il fallait des héritiers à cette famille de constructeurs de vaisseaux.

« Mais j’imagine que tu as de la chance d’avoir ta sœur avec toi. Personnellement, aucun de mes frères et sœurs n’aurait le courage de me suivre. Ils sont trop douillets pour ça. » Elle esquisse un sourire. « J’imagine que tu passes quand même une partie de ton temps à t’inquiéter pour elle, je me trompe ? Ça se voit à ton expression quand je l’ai évoquée. »