D'où elle vient? Lupita ne s'est jamais vraiment posé la question. Elle vient d'Aleen, parce que c'est là qu'elle a ses premiers souvenirs. Elle vient d'une famille aussi étrange et hétéroclite que soudée et aimante. Elle a passé la moitié de sa vie avec pour parents deux aleenas un peu autoritaires mais pleins de bonne volonté, acceptant dans leur foyer nombre d'enfants perdus, de toutes les origines possibles. Un environnement riche, où les différentes cultures se mélangeaient pour ne plus vraiment ressembler à quoi que ce soit. Les langues parlées dans la maison n'étaient pas toutes compréhensibles, certaines avaient d'ailleurs certainement été inventées sur place par les gosses eux-mêmes, et il n'en reste aujourd'hui à Lup que quelques bribes, d'une époque qui lui semble aujourd'hui bien éloignée.

Aujourd'hui, ce qu'elle parle, c'est le basic, comme tout le monde. Parce qu'il faut bien communiquer, et que c'était la langue que ses parents imposaient à la fratrie, dans l'espoir qu'il quitte le foyer assez rapidement, ou qu'ils puissent gérer les clients. Aujourd'hui, elle parle le basic, et elle s'est habituée aux règles communes des gens normaux. Parce qu'elle a quitté depuis suffisamment le berceau qu'était Aleen à ses yeux. Mais ces années dans cette famille pour le moins étrange l'ont façonnée plus qu'elle ne saurait le dire.

Avoir des parents respectivement mécano et pilote de module, ça forme la jeunesse. Elle a passé la majeure partie de son enfance dans ce garage immense que possédaient ses parents, à gambader de carcasse de droïde en carcasse de vaisseau, jusqu'à ce qu'elle soit assez grande pour essayer de les démonter. Elle arrêta alors de gambader, réclama aux parents un plan de travail, et s'attela à la tâche complexe de disséquer autant de droïdes que possible afin de comprendre leur fonctionnement. Et quand elle grandit encore un peu plus, elle eut le droit de réparer les droïdes qui n'étaient pas de simple carcasses sans aucun espoir. Jusqu'à ce qu'elle puisse s'atteler à la lourde tâche consistant à prendre soin du module de course qui faisait la fierté de la famille. A quatorze ans, la gamine ne se promenait plus jamais sans une clé à la main et un nécessaire de bricolage à la ceinture. Mais si réparer droïdes et modules étaient incontestablement une passion pour elle, il y avait encore mieux. Il y avait le pilotage. Toute petite, on l'avait calée sur un siège de module un brin défaillant, et on l'avait laissé faire quelques tours seule après s'être assuré que le moteur ne permettait pas d'aller plus vite qu'au pas. Et depuis qu'elle avait la capacité de vouloir créer quelque chose, elle avait décidé de créer son propre module, sur mesure, rien que pour elle, adapté à chacun de ses besoins et à chacune de ses exigences.

A quatorze ans, elle ne pouvait concevoir l'idée de continuer à bidouiller des droïdes et réparer des vaisseaux jusqu'à la fin de ses jours. Elle commençait à connaître le fonctionnement des machines par coeur, elle voulait autre chose. Et c'est à cet âge-là qu'elle commença à tanner ses parents pour avoir son propre vaisseau. Pas un simple module non. La course, c'était drôle, mais ce n'était pas là qu'elle voulait briller. Pas là, à quelques mètres du sol, coincée sur une planète sans grande envergure. Ce qu'elle voulait? De l'aventure, surement. Voir le monde au delà de ces déserts qu'elle ne connaissait que trop bien. Découvrir ces planètes dont elle connaissait les noms, dont les clients dont elle réparait les vaisseaux lui parlaient, découvrir d'autres gens que sa famille, que les racers, et les quelques paumés qui échouaient chez eux à l'occasion.


Et puis, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Lupita a dix-neuf ans. Dix-neuf ans, un grand sourire aux lèvres, et beaucoup de motivation. Elle a dix-neuf ans, et un X-wing qu'on pourrai dire flambant neuf s'il ne s'agissait pas d'une épave qu'elle a passé deux ans à retaper à la sueur de son front. Elle y a mis beaucoup d'énergie, beaucoup d'elle-même, mais elle est prête. Elle en est sûre, elle peut le faire. Elle peut partir conquérir la galaxie par elle-même. Si ses parents ont complimenté avec un semblant de fierté les réparations effectuées sur le vaisseau, ils n'ont cependant pas donné leur feu vert pour qu'elle parte. Alors elle est sensée rester là. Continuer à regarder son vaisseau adoré qu'elle ne peut pas emmener loin du désert qui commence à la lasser, et réparer les droïdes minables qu'on lui confie. Elle est sensée. Mais Lupita, elle ne fait pas ce qu'elle est sensée faire, surtout quand ça lui déplaît à ce point. Elle a des économies, à force de travailler depuis tant d'années, elle a un vaisseau rien qu'à elle et impeccable, elle sait piloter même si ses parents sont un peu trop exigeants pour le reconnaître, et elle n'a peur de rien. L'aventure n'attend qu'elle, et il est hors de question qu'elle la fasse poireauter plus longtemps.

Alors elle s'est échappée du cocon familiale, du confort, de la sécurité, et elle est partie affronter l'espace sans la bénédiction parentale. Tant pis. Elle n'en a pas besoin pour réussir. Elle a dix-neuf ans, et elle est persuadée qu'elle réussira, quoi qu'elle fasse.
Et ce qu'elle fait, c'est mecano. Mécano, puis pilote. Parce que qu'elle n'a jamais prétendu être bonne à quoi que ce soit d'autre. Lup, elle voit un moteur et directement elle repère le moindre truc qui ne va pas, mais vivre en société, si ce n'est pas avec sa fratrie adorée, elle n'a pas l'habitude. Alors elle s'enferme dans un garage contre un salaire qu'elle dépense en alcool le soir quand elle s'ennuie. Elle apprend à sa façon à trouver sa place. Elle s'enferme dans un garage, jusqu'à ce qu'elle puisse faire ses preuves et qu'on la foute sur un circuit. La course. Il faut croire qu'elle a ça dans les veines. Une question de destin ou quelque chose comme ça. Mais le destin, elle n'a pas l'intention de le laisser faire.

Elle profite sagement de l'occasion pour gonfler un peu plus ses économies, avoir de quoi survivre jusqu'à la prochaine étape, et puis elle s'en va. Sans oublier de subtiliser en toute discrétion un droïde au garage qui n'a pas manqué de l'arnaquer sur son dernier mois de salaire. Pas un astromécanicien. Non. Ceux-ci, elle n'en a pas une très bonne image. Ses parents répétaient toujours : "ce sont des droïdes tout juste bon à pallier à l'incapacité des pilotes médiocres". Elle, elle n'est pas un pilote médiocre. Pour ce qui est de piloter et de réparer son bolide, elle est bien capable de se débrouiller seule. Elle préfère donc subtiliser un droïde utilitaire tout neuf. Il fera l'affaire. Il l'aidera pour le reste. Lupita a vingt ans, et elle a encore beaucoup de choses à voir. Beaucoup trop pour rester coincée sur une nouvelle planète sans grand intérêt, dans une vie sans réelle envergure.


Et puis Lupita a vite vingt-deux ans. L'aventure, elle croit qu'elle connait. Parce qu'elle fréquente quelques types louches et se laisse entraîner dans quelques missions de contrebande. Parce qu'elle est pilote et qu'elle fait quelques conneries qui sortent de l'ordinaire. Parce qu'elle n'est plus la gamine sage et discrète qu'elle avait pu être, et qu'elle se cache derrière une attitude un peu trop provocatrice. Lupita, elle a vingt-deux ans, et elle va découvrir qu'elle ne connait rien de la vie, vraiment.
Pourquoi elle? Pourquoi à ce moment là? Elle ne sait pas vraiment, et à dire vrai, elle s'en fiche un peu. Ce qui compte, c'est qu'elle ai croisé sa route. Ce dont la gamine faussement rebelle avait besoin, c'était un mentor. Un mentor qui la remette sur la bonne voie, la voie qu'elle n'aurait jamais du quitter.

Alors elle rejoint la résistance, elle trouve sa place, comme si c'était une évidence. Elle grandit aussi, Lupita. Parce qu'au fond, elle n'avait que vingt-deux ans, et elle n'avait jamais connu rien de douloureux. Parce qu'elle avait peut-être un peu trop été gâtée par la vie, et qu'elle ne s'était jamais posé de questions. Maintenant, les questions ne manquent plus. Elle n'est certainement plus la gamine qu'elle était à vingt ans. Elle est une pilote avec les pieds sur terre et les mains dans le cambouis. Elle se dit qu'elle sait ce qu'elle veut et où elle va, même si elle n'a pas trop d'espoir quant à ce que l'avenir leur réserve, à elle et ses camarades. Elle reste un peu trop grande gueule et se veut toujours un peu rebelle, mais elle a trouvé suffisamment de personnes qu'elle respecte et qu'elle admire pour avoir quelqu'un à suivre. Elle a quitté le confort de sa planète natale depuis sept ans, mais elle n'a pas manqué de se trouver une nouvelle famille.