Ce petit sourire ne voulait pas quitter ses lèvres.  On pouvait y lire aussi bien la fierté que la taquinerie, l’orgueil que la complicité. C’était à la fois le rictus d’une femme auréolé de gloire et celui de l’enfant espiègle ayant réchappé à quelque punition. Depuis son plus jeune âge, Masha arborait cette attitude et c’était une des rare chose que le temps n’avait pas altéré chez elle. Simplement, les années l’avaient peut-être, très certainement, rendu plus rare, moins spontané. En cet instant, cette expression narquoise et malicieuse semblait avoir durablement élu domicile sur les traits de la pilote. Ainsi, elle accompagna le résistant du bureau du général jusqu’à la chambre de Tuiren, où elle s’invita d’ailleurs également.

Habituée des lieux, Masha ne se fit guère prier avant de pénétrer dans la pièce avec une aisance marquée. Elle embrassa brièvement la chambre du regard puis s’installa sur le fauteuil où elle prenait systématiquement place lorsque le hasard la menait en ces lieux. Ce bref coup d’œil qu’on aurait sans aucun doute pu trouver un peu trop inquisiteur n’était rien en comparaison aux inspections oculaires minutieuses dont la jeune femme accablait généralement chaque endroit visité. Vieille manie à laquelle elle donnait le nom de prudence mais qui tenait probablement tout aussi bien de la paranoïa.

Elle accepta plus que volontiers le verre qu’on lui tendait et, avant d’avaler d’une traite son contenu, elle s’exclama :

« Aux Rogues, aux Blades et, en toute modestie, à leurs merveilleux commandants ! »

Masha buvait toujours son alcool pur, et cul-sec. Elle avait pris cette habitude alors qu’elle exécrait encore ce genre de boissons, elles qui lui retournaient l’estomac et incendiaient son palais. La brune se forçait à l’époque à en consommer pour qu’on la prenne pour une adulte, elle espérait qu’en enchaînant les verres elle saurait se donner de l’importance. Le soupçon de grimace qu’elle ne savait masquer lorsque l’amertume entravait ses papilles l’avait hélas toujours trahie. Désormais, elle s’y était habituée et consommait Juma Juice ou Syrspirit avec plaisir sans pour autant s’être débarrassé de ce besoin de vider son verre au plus vite.

Mais si elle avait la descente rapide, l’alcool ne prenait pas non-plus son temps pour lui monter à la tête. Masha sentait que, comme toujours, il n’aurait pas besoin de beaucoup de temps pour faire effet. Bientôt, les lumières onduleraient doucement dans ses yeux et la pesanteur prendrait un malin plaisir à se métamorphoser irrégulièrement. La jeune femme poussa un profond soupire et posa son verre devant elle. Tout en s’efforçant de chasser de son esprit la bouteille de Vosh prometteur qu’elle avait récupéré deux mois auparavant et qu’il lui tardait d’ouvrir depuis ce jour, elle lâcha sur un ton qu’elle voulait neutre mais que l’alcool avait faiblement empreint de douceur :

« Je sais pas pour toi, mais ça me semble complétement irréel… »

Les mains jointes, le buste en avant, les coudes posés sur ses genoux et les yeux dans le vague, elle marqua une pause dérisoire avant de continuer de cette même voix égale.

« Commandante.. Quel bordel !  Dire que je me retrouve ici en grande partie par hasard ! »

Tout en parlant, elle se redressa et chercha vaguement du regard celui de son ami. Une fois qu’elle l’eu trouvé, elle eu un sourire franc, un peu fatigué peut-être.

« Enfin toi tu t’y attendais peut-être ? Messire Yesmeth, Commandant des Rogues ! Rien que ça ! »