Elle avait du mal à dormir et jouait avec une mèche de cheveux, pensive. La mission sur Naboo se rapprochait à grand pas. Plus le temps passait, et plus ses nuits étaient agitées et courtes. Angharad se retourna, laissant le drap glisser sur ses jambes nues. Mais là encore ça n'allait pas et le sommeil sembla la fuir encore. Elle ne cessait d'angoisser à l'idée de se retrouver sur Naboo. Ça la prenait à la gorge, l'empêchait de respirer, et elle passait des nuits entières à regarder le plafond de sa chambre en imaginant le pire, ne s'endormant qu'une fois à bout de forces. Lorsqu'elle fermait les yeux, elle retrouvait de vieux souvenirs enfouis depuis des années mêlés à d'autres plus récents. Comme si la perspective d'être envoyée sur le champ de bataille déterrait des peurs qu'elle pensait depuis longtemps oubliées. Les tirs de blaster contre les poitrines de ses parents, leur sang sur le parquet de l'entrée. L'alarme assourdissante de la starkiller base, le corps mutilé de Ray, les tirs de blaster contre les poitrines de ces pilotes dont il s'était débarrassé avec une facilité déconcertante. Sans remords. Bientôt ce serait son tour, d'un côté ou de l'autre du blaster. Préférablement derrière, la main sur la gâchette. Mais elle n'était pas prête à tuer, pas encore. Pas déjà. Elle s'en sentait incapable. Et dès qu'elle fermait l'oeil, il y avait ces trois petits coups contre sa porte pour la tirer d'un sommeil dont elle n'avait pas joui.

Tuiren la tuait à la tâche. Infatigable, intraitable, il venait même frapper à sa porte dès l'aube et la tirer du lit pour exiger une séance d'entrainement matinale. Et Angie n'était pas du matin, alors souvent elle en payait les frais d'un ou deux tours de camps supplémentaires. Mais elle savait qu'il faisait ça pour son bien, finalement. Elle avait mis du temps à le comprendre et s'était contenté de le détester au début avant de saisir qu'il lui donnait une chance de revenir en un seul morceau de leur mission. Il n'avait pas à le faire, et prenait sur son temps libre pour faire d'elle l'ombre d'une recrue. Alors elle lui en était reconnaissante et tentait de ne pas râler lorsqu'il s'offusquait de sa médiocrité. Avec plus ou moins de succès. La vérité, c'était qu'elle avait bien plus progressé ces derniers jours qu'il n'osait le lui dire. Elle était loin d'être parfaite, très loin même, tout comme son niveau était à peine celui d'un soldat. Mais comparé à ses débuts, elle se montrait plus endurante. Plus déterminée. Elle n'aimait toujours pas ça cependant. Et c'était toujours à contre-coeur qu'elle pointait son blaster vers les cibles qu'elle devait toucher. Parce que bientôt, ces cibles seraient réelles. Peut-être auraient-elles alors une famille, des enfants, un rêve jamais réalisé ? Angharad soupira, s'asseyant sur son lit de camp. Ce ne serait pas non plus ce soir qu'elle parviendrait à dormir et récupérer les heures de sommeil qu'il lui manquait. Allumant du bout des doigts sa lampe de chevet, elle attrapa l'holopad que lui avait offert Ray non sans bailler. BB-1 s'alluma soudainement, roulant jusqu'aux côtés de sa nouvelle propriétaire. Ses bips inquiets furent rapidement traduits par l'holopad. "Je vais bien, ne t'en fais pas." lui murmura-t-elle pour ne pas réveiller son collègue qui dormait plus loin dans leur tente. Un "Je n'ai pas sommeil, c'est tout." fut accompagné d'un sourire fatigué, et le droïde resta silencieux, observant la jeune femme.

Pour se changer les idées, elle avait prit l'habitude de se connecter au réseau de la résistance qui regorgeait d'images d'archives plus ou moins heureuses. Des visages familiers faisaient leur apparition. Par exemple, elle avait tendrement sourit en trouvant un jeune Ray souriant au milieu d'une photo de groupe. Sa coupe de cheveux l'avait à moitié fait rire au milieu de la nuit. Et elle s'était sentie presque gênée de découvrir une photo de la générale Organa-Solo, de son mari et son frère. S'enlaçant tous trois devant un vieux x-wing. C'était une grande dame, la générale. Et malgré les épreuves qu'elle avait vécu, elle avait su conserver une aura si bienveillante et douce que parfois Angharad se surprenait à voir en elle l'ombre de sa défunte mère. Souriant tristement, elle chargea une autre photo le coeur serré. Mais la sensation ne dura pas longtemps, car sur la photo suivante il y avait un visage qu'elle aurait reconnu parmi des dizaines pour l'avoir observé sous toutes ses coutures.

Un jeune Tuiren Yesmeth avait été surpris par l'objectif alors qu'il riait, visiblement, avec d'autres pilotes sur le tarmac. Un sourire s'étira doucement sur ses lèvres, comme si ceux des jeunes pilotes en devenaient communicatifs. Son visage était jeune, bien sûr, mais il y avait une certaine candeur sur ce dernier. Une naïveté qu'elle n'avait jamais vu jusqu'ici, comme si à l'époque tout était plus simple. Et c'était surement le cas, la légende le citait seulement comme un pilote et non comme un commandant. C'était étrange de le voir comme ça. Heureux. Et réalisant cela, le sourire d'Angharad s'effaça lentement. Elle ne l'avait jamais vraiment vu heureux. Du moins, jamais autant que sur cette photo qui semblait venir d'un autre univers. Elle soupira, ne se demandant même pas ce qui avait bien pu le changer aussi drastiquement car elle connaissait déjà la réponse. La guerre. Ses yeux glissèrent à nouveau vers la légende qui accompagnait la photo, seulement pour que son visage s'assombrisse. Les soldats qui l'accompagnaient étaient déclarés tombés au combat. Elle pinça ses lèvres, se sentant comme coupable alors d'être tombée sur cette photo qui avec la disparition des deux autres pilotes devenait soudain plus intime. Et c'était comme franchir une barrière que de continuer à la regarder. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'étudier les traits du commandant. Elle les connaissait déjà, certes, mais pas sous cet angle là. Et le sourire communicatif qui lui avait arraché un rictus auparavant possédait maintenant une dimension plus triste, son index en dessina doucement les contours. C'était à la fois irréel, et trop réel. Elle connaissait la douleur qu'on éprouvait en perdant un proche, ses pensées toujours tournées vers ses parents. Et sur la base, pas un soldat ne pouvait se vanter de n'avoir jamais perdu quelqu'un. Mais c'était différent. Tuiren était maintenant un homme dur, pouvant certainement affronter n'importe quel obstacle. La vie l'avait forgé ainsi. Mais il n'avait pas toujours été ainsi, et cette même vie lui avait fait subir tôt la plus pire des épreuves : celle de perdre des amis. BB-1 pencha la tête et bipa si subitement qu'Angharad en sursauta, perdue dans ses pensées. Le droïde s'inquiétait, avait remarqué le changement drastique dans son attitude. "Ce n'est rien, tout va bien." le rassura-t-elle, accompagnant ses dires d'un sourire faux. Et ses sourire faux ne dupaient jamais personne, elle qui était trop habituée à être sincère. Voulant se changer les idées, elle chargea une autre photo mais cela n'eut pas l'effet escompté.

C'était encore lui.

Cette fois-ci entouré de pilotes plus âgés dont elle ne reconnu aucun nom mais dont elle connaissait l'insigne. Il s'agissait des Rogues. Des anciens Rogues, ceux ayant combattu contre Darth Vader. Tuiren était sur le côté, enlacé par un des pilotes. À nouveau, son sourire la percuta. Il était un peu plus âgé, mais jamais son visage ne semblait changer d'expression. Toujours cette candeur, cette naïveté et ici, un sentiment de fierté émanait de lui. Bombant le torse. Angharad soupira comme elle l'aurait fait face à un ami faisant le pitre. Il avait l'air idiot, et sans savoir pourquoi ça la rendait heureuse tout à coup. Comme si finalement il n'avait pas qu'un coeur de pierre, et possédait une âme après tout. Ce qu'elle avait eu du mal à admettre, mais le temps avait fait son travail et la rancoeur avait laissée place à la reconnaissance. Il avait l'air idiot, comme ça. Fier comme un coq, jeune, le sourire d'une oreille à l'autre. Elle en aurait presque rit si le souvenir de la photo précédente ne continuait pas à lui serrer le coeur. Alors l'infirmière se contentait de sourire bêtement. BB-1 lui posa une question et elle cacha l'écran contre sa poitrine. "Personne." répondit-elle, gênée. Il lui bipa qu'il ne la croyait pas mais elle l'ignora et chargea une nouvelle photo, s'apprêtant à tomber sur quelqu'un d'autre ce qui n'arriva pas. Comme si l'holopad avait décidé que ce soir, seules les photos du commandant ressortiraient.

C'était un portait, officiel. Sévère, sans l'ombre d'un sourire ou de compassion dans son regard. Il datait de quelques mois seulement et l'écart entre les photos qu'elle venait de voir et celle-ci était horrifiant. Il n'avait rien du jeune pilote riant à gorge déployée, c'était le Tuiren qu'elle connaissait. Froid. Elle se pinça les lèvres, déçue sans savoir de quoi précisément, puis soupira doucement. Du bout des doigts, elle lui dessina un sourire sur les lèvres sans qu'il n'apparaisse. C'était triste, à quel point la guerre pouvait changer un homme. Et Angharad se demanda s'il sourirait un jour à nouveau aussi brillamment que sur les photos qu'elle venait de voir. Elle en doutait, mais éternelle optimiste espérait un jour en être témoin.

Combien de personnes avait-il vu ne jamais revenir de mission ? À combien de morts avait-il assisté pour changer si gravement ? Elle se sentait privilégiée, soudain, de n'avoir assisté qu'à la mort de ses parents. C'était horrible de penser cela. Elle le savait. Mais elle pouvait compter ses fantômes sur les doigts d'une seule main, au moins. Lui ne pouvait surement pas en dire autant et le personnage prenait soudain une dimension plus tragique. Elle l'avait toujours imaginé distant et rigide, mais les photos lui prouvaient le contraire. Elles lui donnaient un nouveau point de vue, peut-être plus compatissant. Plus patient. Plus doux sur l'homme qu'il était. Sans comprendre, car elle ne comprendrait jamais, elle acceptait un peu plus sa manière d'être. La vie avait été dure avec lui, il n'en était que le résultat. Ses doigts glissèrent le long de son visage, pensive, retraçant le contour de celui-ci avant d'éteindre l'holopad. Elle s'allongea et éteignit la lumière, mais ne parvint pas à fermer l'oeil immédiatement. Le regard fixé sur le plafond, ses pensées se tournaient par vague vers Naboo puis vers les images qu'elle venait de voir. Angharad se demandait égoïstement si la guerre la changerait autant mais elle balaya cette pensée en s'allongeant sur le côté. Demain Tuiren viendrait frapper à sa porte. La perspective de le voir lui serrait déjà le coeur, mais elle se fit la promesse de ne pas lui en parler. D'ailleurs, de ne parler à personne des photos qu'elle avait vu. Elle avait franchit une limite en s'introduisant dans sa vie privée, elle le savait et redoutait sa réaction s'il venait à l'apprendre.

Mais il ne l'apprendrait pas.

Et elle serait la seule à le savoir, alors.