Fête des saisons • Citoyens

Regard perdu dans le vague. La voix de l'orateur résonnait dans la tête de Blake comme une vérité qu'elle avait toujours voulu entendre. Elle, pauvre créature abandonnée par le système, qu'on avait laissé sombrer dans un monde qui n'était pas fait pour les âmes innocentes... La jeune femme n'avait jamais cru la parole des autres, trop habituée à se mouvoir dans un monde de faux semblants et de mensonges. Aujourd'hui... Aujourd'hui elle avait envie d'y croire. Parce que ces mots, choisi avec intelligence, lui donnait envie d'espérer de tout son cœur. Que peut-être, oui peut-être il y avait une chance pour elle de tourner la page et aspirer à un monde meilleur.

Tandis que ses prunelles sombres se baladaient sur la foule,
elle reconnue Kyla derrière un stand de nourriture. L'image lui arracha un sourire, ravis de voir un visage amicale dans cette foule d'inconnus qui semblaient plus ou moins partager l'avis de l'orateur. Alors, au lieu de suivre la foule de ceux qui voulaient des réponses, Blake se faufila agilement entres les protagonistes jusqu'au stand.

- Salut beauté, tu t'es perdue ? dit-elle à l'adresse de son amie flamboyante.

La rue s'était vidée de moitié après le départ de l'inconnu, laissant ainsi le champ libre à la fille de joie de converser un peu. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas eu de bavardages anodins. Une éternité quand une vie comme la sienne. Si bien qu'on pouvait lire une joie sincère sur son visage. Si rare, si précieuse. C'était un peu comme reprendre goût à la vie après avoir oublié de quoi il s'agissait.

Blake lança un regard sur la rue. Le calme, la joie, la musique. Tout ça avait repris sa place, comme si rien n'était arrivé. C'était violent, touchant. L'univers tout entier continuait de tenir le cap quoi qu'il arrive. Pourquoi ce soucis de plusieurs milliards de vies ? Avec où sans elles, il continuerait cette existence étrangement passive aux yeux des autres. Définitivement, la prostituée ne comprenait pas le sens de la vie, pas la sienne en tout cas.

Elle regarde sa patronne suivre la foule, et elle hésite longuement à la suivre avant de décider de rester sur place. Quelle que soit l’issue de cette histoire, elle suivra les décisions de Fauve car elle lui accorde, sans vraiment savoir pourquoi, toute sa confiance.

Les clients continuent à affluer malgré le grand mouvement de foule qui a vidé une bonne partie de la place. Apparemment, quelles que soient les circonstances, les gens ont toujours faim, et tant mieux, c’est bon pour les affaires. L’animation intense du festival reprend tranquillement son cours, et Kyla se laisse aller un moment à contempler toute cette activité. Tandis que ses employés continuent à vendre de bonnes choses aux passants, elle s’appuie sur le comptoir, se laisse bercer par le brouhaha constant et apaisant. C’est là qu’une voix familière la sort de sa torpeur. Elle ne s’y attendait vraiment pas, mais elle est bien là, la douce et belle Blake. Elle se tient devant elle, comme un fantôme du passé pourtant si réel.

« Toi, ici ? Alors ça ! » Elle fait le tour du comptoir pour rejoindre la jeune femme. « Tu sais bien que je ne perds jamais, enfin. Non je suis là pour vendre des frites, je bosse avec une nouvelle patronne. » Elle attrape un cornet de frite sur le stand pour l’offrir à la jeune femme. « Et toi, qu’est-ce que tu deviens, raconte-moi tout ! »

Si ce festival porte le vent du changement, il est aussi balayé par une brise de nostalgie, tandis que Kyla et Blake, deux vieilles amies, papotent en profitant du grand soleil qui illumine la ville. Quelle belle journée, décidément.

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Tout ça, ça lui remuait les tripes et ça lui retournait le cœur. Blake se sentait en souffrance au plus profond d'elle même. Mais ça elle ne s'en était pas rendu compte avant d'aborder son amie. Kyla avait l'air tellement ailleurs. Pas un ailleurs planant, mais dans un ailleurs meilleur. La demoiselle avait fière allure derrière son stand de nourriture, elle avait l'air bien. Du moins c'était l'impression qu'en avait la fille de joie. Elle fit même mention d'une nouvelle patronne. Avait-elle trouvé la personne qui allait supporter son sale caractère à longueur de journée ? Elle l'espérait, sincèrement. Kyla lui offrit un cornet de frites, lui rappelait comme elle n'avait pas mangé depuis un moment. Mais avec le temps, on apprenait à faire taire même les faims les plus tenace.

- Oh je suis contente pour toi alors. Et qui de vous deux martiryse l'autre ? demanda Blake en rigolant légèrement, car elle connaissait la réputation de son amie. Moi... Toujours ce même enfoiré de boulot et dieu sait comme j'ai envie de me barrer. D'ailleurs le gars qui parlait, il m'a bien donné envie de le faire.

Une vie meilleure, heureuse, où on se souciait plus d'elle que du fait qu'elle puisse écarter les cuisses. Un rêve qu'elle n'avait jamais fait qu'effleurer du bout de doigts. La jeune femme croqua dans une frite alors que son estomac se mit à grogner pour lui rappeler qu'elle était bel et bien un être vivant avant tout. Elle en avait tellement faim que finalement ça lui donnait mal au ventre et lui coupait l'envie de manger. Foutu corps. Parfois elle aimerait bien être un droïde, au moins ils n'étaient pas attaché à des enveloppes de chair.

- En fait, je crois que j'ai réellement envie de me casser, dit-elle dans la direction où l'homme était parti avec la moitié de la foule. Qu'on me foute la paix et que j'ai plus jamais à voir une queue de ma vie.

La vulgarité n'avait jamais été l’apanage de Meï, mais Blake avait toujours été beaucoup plus crue et insolente. Difficile de concilier deux personnalités quand il n'y en avait qu'une uqi souhaitait exister. Être une seule et même personne, pour toujours. Un rêve de plus pour une réalité plus sournoise qu'une putain.

« A vrai dire … je pense qu’on se vaut, ma patronne et moi. Elle est juste plus … stoïque. On sait jamais ce qu’elle pense, c’est un peu chiant mais bon, elle paye bien, et tu me connais ! » Elle n’est pas à plaindre, à vrai dire. Par contre son amie, elle, a d’autres soucis. Kyla voudrait pouvoir l’aider, mais la brune Blake a toujours refusé ses coups de main. La corellienne souffre un peu de voir son amie vivre comme ça, passant d’un lit à un autre, se vendant pour vivre. Elle l’admire aussi, car elle sait que si ça avait été sa vie, elle n’aurait pas tenu deux semaines avant de se suicider.

Mais quelque chose a changé. Son amie avoue vouloir partir, tout quitter. Que s’est-il passé pour faire enfin bouger Blake ? Ou en a-t-elle simplement assez de vivre ainsi ? Est-ce qu’elle aussi sent le vent du changement, celui qui nous donne l’impression que tout est possible ? Kyla voudrait pouvoir emmener son amie avec elle, loin d’ici, vers un endroit un peu plus calme, où elles n’auraient de comptes à rendre à personne. Blake le mérite. Kyla un peu moins, mais l’idée est agréable.

« Blake … Tout est possible. Je pars ce soir avec ma patronne, je peux négocier une place pour toi. S’il faut que je me batte pour t’aider, je n’hésiterai pas. » Elle hésite avant de continuer, pourtant. La violence dans les propos de son amie l’a surprise, et elle y voit ce qu’elle interprète comme la marque du sérieux de la jeune femme.  « Viens avec moi. Si ça emmerde quelqu’un, je connais quelques arguments qui devrait dissuader n’importe qui. Je peux faire en sorte que tu aies un travail honnête, je connais du monde un peu partout, sur des planètes tellement tranquilles que tu apprendrais ce qu’est l’ennui, le vrai. »

Le brouhaha de la foule autour d’elles s’intensifie. L’activité du festival bat son plein, et une grande fébrilité s’empare de bien des gens, sensation communicative qui s’ajoute à celle d’un grand changement à venir. Oui, tout pourrait arriver, tant soit peu que quelqu’un veuille tendre la main à l’avenir sans avoir peur de sauter dans le vide de l’incertain.

« Les choses vont changer, tu peux en faire partie, tu dois en faire partie ! Je le sens, et crois moi, mon instinct ne me trompe pas. »

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Pourquoi n'était-elle jamais partie ? Pourquoi ne jamais avoir osé prendre le large ? La peur, simplement la peur. Blake n'avait connu que cette vie bizarre où l'espoir et le courage étaient brisés comme on brisait la nuque d'une bête d'élevage. Pour aller où ? Pour faire quoi ? L'inconnu avait toujours été une perspective effrayante, gigantesque, presque démesurée quand on avait passé sa vie être les quatre murs d'une chambre de bordel. Force était de constater que malgré les humiliations, la morosité et la lassitude, il y avait toujours une petite flamme timide qui brûlait dans le cœur de la jeune femme. Une flamme qui consumait la haine qu'elle avait récolté consciencieusement au fil des années. Et aujourd'hui, l'homme qui avait pris la parole dans cette foule d'anonymes, lui avait donné envie d'utiliser ce feu intérieur pour ravager le petit monde limité de son existence, abattre ces cloisons et brûler ceux qui se dressaient sur son passage.

La crainte continuait pourtant de régner dans son esprit, enraciné en plus profond de son âme terrorisé à l'idée de ce qu'elle pouvait être entrain de fomenter. Blake devait s'en servir pour enfin trouver le courage de le faire. Kyla était une main tendue dans cette obscurité constante. De nombreuses fois déjà, la fille de joie avait refusé l'aide de son amie. Pourtant, ça avait l'air d'être différent ce jour là. Le déclique. Un moment de conscience presque magique.

Blake resta regarder son amie un instant, s'interdisant de répondre derechef. Elle avait déjà trop de regrets, elle ne voulait pas en ajouter un autre. D'un autre côté, le jour où son heure viendra, elle ne voulait pas regretter de ne pas avoir assez vécu. Ses lèvres délicates restaient closes tandis qu'autour d'elle la vie, la vraie, était entrain de battre son plein. Chacun était libre d'aller et venir dans ses allées sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit…

- D'accord, je partirai avec toi, répondit simplement la brune, sa décision était prise.

Tout son corps frissonna l'espace d'une demi seconde. Qu'était-elle entrain de faire ? C'était une bêtise, elle serait sévèrement puni… Tant pis, plutôt mourir aujourd'hui pour ce choix que vivre encore des années dans ces conditions. Blake avait peur. L'envie de pleurer. Pourtant son corps tout entier était bien trop blasé pour daigner réagir en chœur avec son esprit. Elle se contentait d'arborer un air lascif.

A-t-elle bien entendu ? Kyla n'en croit pas ses oreilles. Elle qui vient de saisir la main tendue de Fauve, voilà que quelqu'un lui fait confiance et accepte son aide. Les choses changent si vite dans la vie de la jeune femme que cette simple réponse de Blake lui fait tourner la tête. A présent, elle doit penser aux autres, et quels autres ! Sa chef, maintenant Blake ...

"Alors ... alors je termine ici et on se retrouve après au spatioport. Dans une heure, deux heures ?" Elle attrape un stylo dans sa poche arrière et saisit la main de la brune pour écrire le numéro d'emplacement du vaisseau de sa patronne. Elle s'en fiche que celle-ci soit d'accord ou non, et si elle doit trouver une autre solution pour faire sortir Blake d'ici, elle trouvera. Peu importe les moyens que ça demandera. Pour une amie, elle se saignerait, elle se dépouillerait. En serrant les dents, bien sûr, mais elle ferait n'importe quoi.

Mais est-ce qu'elle fait bien de laisser Blake se débrouiller seule pour rejoindre le point de rendez-vous ? Tellement de malheurs peuvent arriver en quelques heures. "Ecoute ... Fais attention à toi. Tu pourrais aller te cacher tout de suite au spatioport, ou alors reste avec moi le temps que je ferme ici ... J'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose avant de quitter Seltos." Son inquiétude ne fait que grandir au fur et à mesure qu'elle aligne les mots, c'est plus fort qu'elle. Mais elle doit garder le contrôle, même si la situation est inédite pour elle.

"Alors ... Tu décides quoi ?" Faites que tout se déroule correctement, que la poisse qui a longtemps collé à la peau de Kyla ne foute pas tout en l'air.

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Vivre ou mourir ? Ne valait-il mieux pas vivre une journée de liberté que vivre une éternité sans voir la lumière du jour ? Blake avait passé tant d'années à cogiter qu'elle ne savait plus bien quel était le meilleur choix. Quitte à mourir un jour, autant le faire en ayant essayé de goûter à la liberté.

- Je dois récupérer des affaires, je te rejoindrai plus tard. Merci, dit-elle simplement à son amie avant de lui déposer un baiser sur la joue.

En temps normal elle n'était pas affectueuse, mais il était certains gestes qui valaient la peine d'être remercié. Sur ce, la brune s’éclipsa car elle avait des affaires à récupérer. Ce n'était pas grand chose, mais ça faisait parti de ce qu'elle avait de plus précieux et de plus joyeux dans sa triste vie. Et surtout une armure légère qu'elle était parvenue à cacher jusqu'ici... La belle croqua quelques frites sur le chemin, filant à travers la foule à la façon d'un reptile des planètes arides. Il n'y avait pas une seconde à perdre. Pourtant, une angoisse terrible se mit à lui tarauder l'estomac. La peur de ne pas réussir. Et si c'était une mauvaise idée ? Si proche de pouvoir se libérer et voilà que ce qu'elle avait le plus chéri se mettait à l'effrayer. Ses pieds continuaient pourtant de la mener à destination, un local affrété spécialement pour le festival de Selto où les filles devaient se rendre... avec des clients. Blake savait néanmoins que son maître était certainement entrain de prendre du bon temps, à déguster les mets les plus fins tout en discutant affaires.

Pour autant la douce n'avait pas l'esprit tranquille. Les autres filles pouvaient très bien la dénoncer ou même la retenir. Après tout combien ne jalouseraient pas sa situation si jamais elles apprenaient qu'elle avait un moyen de quitter cette misère ? Peut-être que Blake réfléchissait trop. A l'intérieur, elle tenta de se calmer. A plusieurs reprise elle inspira profondément, tandis que son cœur continuait de cogner dans sa poitrine. La jeune femme tenta de saisir son sac mais un violent tremblement agitait sa main. La peur restait maîtresse de son corps. Le changement avait toujours eu quelque chose d'effrayant à ses yeux.

Le spatioport n'avait plus rien d'accueillant maintenant qu'elle avait l'impression d'être une fugitive en cavale. Elle avait sans doute encore quelques heures devant elle avant qu'on ne se rende compte de sa disparition. Si seulement on pouvait la croire morte, tuée par un client stupide et violent... Blake n'attendait plus de voir qu'un seul visage à présent.

La silhouette de Blake se dessine en un subtil jeu d'ombre tandis qu'elle émerge de l'obscurité du spatioport. Kyla ne s'attarde pas en palabres et la fait grimper à bord du vaisseau de Fauve, qui décolle presque aussitôt. Kyla a négocié avec sa patronne pour que son amie puisse embarquer, et elle devra sûrement prouver encore plus qu'elle est digne de confiance par la suite, mais tous les regards inquisiteurs de Fauve ne sont rien face à la fierté d'avoir aidé une amie.

Tandis que le vaisseau de Fauve entraine les jeunes femmes loin de Seltos, le regard de Kyla s'abandonne dans l'obscurité de l'espace avoisinant la planète. On distingue la ligne claire de l'atmosphère, cette chose si fine qui abrite des milliers de vies sous son manteau gazeux. Tandis qu'elles attendaient Blake, Fauve en a profité pour expliquer la situation à Kyla. Une station spatiale a été investie pour abriter un mouvement pacifique. Il n'a pas fallu longtemps à Kyla pour décider qu'elle y aurait ce qu'elle a toujours voulu : un chez-soi.

Le vaisseau s'apprête à rejoindre Corellia, avant de prendre la route vers les coordonnées que l'homme de tout à l'heure a données. Ces coordonnées sont un nouvel espoir pour la jeune femme.

L'espoir, qui fait tourner les mondes et les têtes, qui fait se révolter les peuples, qui vous fait croire que l'avenir sera meilleur ... L'espoir est un sentiment qui a envahi tous ceux qui découvriront bientôt la station 119, ce nouvel Eldorado qui bientôt, accueillera des gens à l'esprit ouvert, prêts à travailler ensemble pour bâtir leur propre monde.

Le changement, c'est maintenant, se dit la jeune femme. C'est bête de croire ainsi en l'avenir, mais ce ne sont pas les pessimistes qui ont bâti des empires. La promesse d'un avenir nouveau et radieux a fait marcher des armées entières, alors pourquoi pas monsieur et madame tout-le-monde ?

Envolez-vous, femmes et hommes de toute la galaxie, rejoignez le mouvement civil pacifique !