Quand le vaisseau se souleva de la piste de fortune, c’est plus que de la poussière qui fut balayée. C’est davantage encore que l’équipage laissa derrière lui. Des remords, peut-être des regrets, principalement ce sentiment d’oisiveté qui leur collait à la peau comme la sueur à leur peau noircie par la labeur. Le camp qu’ils laissaient derrière eux, dressé à l’improviste par quelques volontaires, quelques valides avec assez de force pour donner à ceux qui n’en avaient déjà plus. La majorité avaient été blessés, sur leur corps, mais surtout dans leurs âmes. La panique et la peur avaient eu raison de leurs barrières mentales et de la raison qui gardait intact le fruit de leurs raisonnements. Désormais, il n’y avait plus que ce sable qui voletait, tandis que le personnel de soin des mondes périphériques avait pris la relève. Eux n’étaient alors plus que des poids mort que la simple présence était aussi douloureuse pour les blessés que pour leur propre état psychique. Kahl était de ceux-là, accroché à un siège dans la cuisine du vaisseau pendant le décollage, son esprit vagabondait encore là où les événements tragiques avaient ruiné son âme. Il repensait à la cohue, à l’organisation du sauvetage, à tous ceux qu’il n’avait pas pu embarquer. Il les avait senti s’éteindre quand la station s’était écrasée, toutes ces voies empreintes de détresse. Le garçon avait perçu chaque flamme disparaître dans le néant, pour ne laisser place qu’à un immense flash lumineux. Puis le silence, lourd et oppressant. Ce fut la première fois de sa vie qu’il avait senti des sentiments si forts et si réels. Ils n’avaient pas été les siens, et pourtant, son cœur s’était brisé plus d’un millier de fois en seulement quelques secondes. Combien aurait-il pu en sauver ? Combien de familles étaient détruites par sa faute, par sa faiblesse, sa lenteur, son manque d’assurance … Tout cela lui pesait et son esprit était embrumé, tailladé par les remords qui s'échappaient de cette plaie béante. Alors le garçon resta là, la tête balan, secouée par les soubresauts du vaisseau au décollage. Il aurait pu faire plus, il en était persuadé et cela le minait …

Le vide avait comme avantage d’être paisible, tranquille et nul problème n’y pouvait jamais filtrer. Seuls dans leur coquille de métal, l’équipage du Fireflies vaquait à ses occupations, avec un soupçon de lassitude dans leur regard. Cela faisait près de deux heures qu’ils avaient décollé et Kahl n’avait encore adressé la parole à personne. Pourtant, il s’était activé depuis quelques minutes dans la cuisine dans laquelle il s’était enfermé. Quand il eut terminé son œuvre, il arpenta, coursive après coursive, jusqu’au poste de pilotage. Les mains chargées, il prit toutes les précautions du monde pour ne rien renverser. Quand enfin il arriva, c’était pour croiser sa patronne, le regard hagard dans le tunnel hyperspatial. L’on disait que regarder trop longtemps l’infini rendait fou, mais pour eux, rien n’aurait pu les détruire davantage.



Il prit place sur le siège de copilote et sirota sa boisson tout en croisant le regard de l’infini.



Kahl tourna la tête vers Jade et étira un sourire.