La station s’étendait au milieu du vide telle un joyau interdit n’attendant que d’être pillé. Elle tournait sur elle-même posément et attirait des dizaines, voire des centaines de vaisseaux en son centre. Des heureux élus assez fous pour payer un billet, ou assez téméraires pour vider leurs dernières réserves. Pour beaucoup, c’était la promesse d’un nouveau départ, un el dorado galactique, une source de richesse intarissable. Pour Kahl, c’était la station de toutes les possibilités. Son existence lui était loin d’être inconnue, mais la mode qui y gravitait n’était pour lui rien d’autre que cela. Pourtant, cette soudaine montée en puissance, en lumière et surtout en domination, portait une signature bien plus énigmatique que la simple façade métallique de sa coque. Il y voyait la marque de quelques empereurs morts puis ressuscités, des chefs de guerre défaits ayant retrouvé leur aura ou même des magnas retirés de leurs méga corporations de nouveau dans les affaires. Quelle que soit la vision qu’il y portait, elle n’était guère emprunt de cette bonté qu’il se targuait de transmettre à la galaxie. Ce que sa courte expérience lui avait appris, c’était que tout avait un prix. Et il devait le découvrir, coûte que coûte. Même si pour l’heure, ce n’était pas réellement dans ses priorités.

Arpentant les ruelles aseptisées d’un jeu de lumière multi couleurs, il s’était enfoncé là où il avait présupposé que se regroupait la grande majorité de la racaille galactique. Pourtant, le garçon n’avait pas vraiment trouvé l’objet de sa convoitise, car tout y était trop identique. L’air climatisé y était lourd et le manque de verdure pesait sur son esprit. Dire que des gens pouvaient vivre des vies entières dans des croiseurs ou des bâtiments spatiaux de métal était une idée presque insupportable. Il en serait devenu fou à lier. En revanche, son esprit vif, quoi qu’un peu endolori, avait chassé ces idées maussades quand il aperçut un premier groupe de … loubard, membre invétéré d’une plèbe galactique. La moitié de leur membre y était robotisé, leur calvitie saillait au centre d’une masse ubuesque de cheveux colorés et leurs vêtements étaient plus troués qu’un fromage à pâte molle. Aussi il sut pouvoir trouver sa chance en les interpellant. Sa demande fut assez simple, il cherchait un “endroit où les oreilles indiscrètes ne viendraient pas le déranger et où se trouvaient les pires malfrats de la station”. A peu de chose près, la retranscription de son discours bourgeois sonna en ces termes. Ce qui n'échappa pas à ses interlocuteurs.

"Dis donc mais t’es sorti des jupons de ta mère toi ?" Demanda le premier, un gros bonhomme au crâne le plus dégarni portant une veste en jean aux manches arrachées au niveau des épaules.

"J’suis sûr qu’il a plein d’crédits le bourge." Renchérit le plus chétif des deux, une grande raie verte de coq sur la tête et un visage si fin que ses joues en étaient creusées.

"Laissez mère en dehors de cela. Je suppose que vous connaissez l’endroit que je recherche ?"

"Ouais ça se pourrait bien. Mais t’iras rien trouver là-bas que tu pourras payer, parce que tu vas tout nous filer. Grouille-toi. "

Sur ces mots, le sang du garçon ne fit qu’un tour. Comment la situation avait-elle pu lui échapper si vite, il ne sut le dire. Sa longue parka noire impeccable peut-être ? Ou tout simplement son manque évident de pilosité faciale qui le rendait juvénile. Même si son appréhension se présentèrent à la lisière de son esprit, il fronça légèrement les sourcils et d’un coup sec, dégaina un petit couteau, pas plus gros que sa paume. Une belle lame au manche de bois wroshyr, cerclé par deux anneaux d’ors. Il l’avait reçu en cadeau par un lointain cousin dont il ne s’était servi qu’une seule fois, pour ouvrir une boîte de conserve.

"Oh ? Le petit poussin veut se défendre ? "

Sur ces paroles insultantes, ils dégainèrent chacun une immense lame de boucher de la taille de son avant bras. Il écarquilla les yeux et laissa tomber ses bras autour de son buste en signe de défaite.

"Messieurs, ce n’est pas sérieux tout de même…"

Il détala à toute allure et surtout à contre sens à travers la station, talonnés par les deux hommes. Cette station, il ne la connaissait pas, n’ayant étudié cet environnement qu'à travers les holoprojections de sécurité incendie. Mais il se rappelait de chacune des rues dont elle était pourvues et s’engagea à travers ce dédale de métal. Il cherchait un point précis qu’il avait pu repérer tantôt et furetait entre les quelques passants qu’il bousculait en les gratifiant de quelques mots d’excuses. Avec un regard derrière lui, il put constater que le plus gros était encore sur ses trousses, sans signe de l’autre. Mais sans crier victoire tout de suite, il bifurqua dans une des petites ruelles étroites que son esprit avait enregistré. En revanche, là où cette étape devait le conduire vers sa liberté, il tomba sur le maigrelet, dont la frange de coq avait perdu de sa superbe dans la course. Derrière lui, le piège se referma quand son comparse s’y présenta.

"Allez … Tu nous as bien amusé, maintenant donne nous tes crédits, et ton manteau en prime. Personne ne viendra t’aider ici. "

Il sentit une grosse main qui s’enferma sur ses cheveux puis le propulsa contre un des murs qu’il heurta sans grâce. La poubelle qui y trônait habituellement en tomba à l’inverse dans un fracas de tous les diables. Kahl concentra ses émotions, mélange de terreur et de soumission. Il n’était pas de ces hors-la-loi qui prenaient habitude aux conflits. Son cœur battait la chamade et ses tympans vibraient.

"Personne ne viendra, hein ? "

Il croisa intérieurement les doigts tout en se rappelant de ses exercices de jeunesses. Kahl avait prémédité un tel piège, suivis de ses souvenirs pour se retrouver à cet endroit précis. Une simple ruelle aux murs trop étroits dont les secrets y restaient à tout jamais. Le plus imposant des deux s’approcha de lui et arma son poing. La vue du couperet finale le poussa à réagir et le garçon laissa éclater sa peur en une impulsion qui fit crisser l’air d’une détonation viscérale. L’autre frappa le mur de toute sa masse et s’écroula. Son comparse eut un instant de stupeur qui permit au garçon de tendre sa main droite vers lui et l’immobiliser.

"J’ai besoin de cette information, pardonnez-moi d’avance. "

Il s’approcha du coq, une lueur intense dans le regard. Ses deux mains se refermèrent désormais autour de son visage, et les hurlements de douleur imprégnèrent les murs, uniques témoins de cette scène. Aucun secret ne pouvait lui résister et il comptait bien tous les extirper de son esprit. Un juste retour des choses, selon lui.

Quand il se présenta dans la cantina, il avait essuyé le sang qui perlait depuis son crâne blessé et s’était recoiffé convenablement. Une fois dépoussiéré totalement et plus présentable qu’alors, il prit place à une table et patienta tranquillement tout en observant les clients tout autant que le lieu. Les émotions avaient été trop intenses pour qu’il retourne au contact une seconde fois. Kahl prit un instant pour récupérer contenance car son cœur cherchait toujours à s’échapper de sa poitrine et ses mains tremblaient sous les assauts biochimiques de l’adrénaline…

"Un vaisseau et une équipe", répondit-il à la demande de l’importune qui venait de le troubler.

"Mais surtout le plus important ", continua-t-il, reprenant alors sa position de lecteur appliqué :

"Nous allons côtoyer le mal à la racine", murmura-t-il tout en sirotant son cacao, plantant son regard dans la brume marron à l’orée de la couche de lait.