Les crédits en poche d’une énième mission bien mené, Jay s’échoue d’abord dans sa chambre, cette planque sommaire dans les bas fonds de Corellia, pour déposer son matériel. Il est encore un peu poussiéreux, une coupure au niveau de l’arcade, mais il n’y pense même plus. Il n’a qu’une seule envie, c’est s’échouer dans la cantina la plus proche et dépenser une poignée de ses crédits pour boire jusqu’à noyer tout ce qui le maintient éveillé trop longtemps. Tout ce qui le hante. Le vide qui revient le prendre à la gorge dés qu’il ne fait plus rien d’autre que de penser. La fin de la guerre lui a tout pris et depuis ? Il ne se contente que de survivre.

Simple t-shirt, pantalon sombre habituel et un peu poussiéreux, sur lequel il ne passe qu’un coup de main, chaussure de combat qui ne le quitte plus depuis ses années commando, Jay respire encore l’armée et le corps d’élite. Ça suinte par toutes les pores de sa peau, ça se dépeint de sa silhouette et souvent, il se dit que c’est tant mieux. Il embarque quand même une petite vibrolame et un pistolet blaster car il ne sort jamais sans rien. Un peu de sueur se dessine sur ses vêtements mais il n’y prête pas attention non plus. Seul son but lui importe alors qu’une veste sombre sur les épaules, il avale la distance le séparant de la cantina la plus proche dans laquelle il a l’habitude de s’échouer.
Il y pénètre naturellement, les regards s’accrochent à lui comme souvent, sa haute stature attirant les regards, mais il se contente de se diriger vers son coin de comptoir habituel. Le barman ne lui demande même plus ce qu’il veut boire, ni dans quel type de verre. Il sait.
Il sait à chaque fois qu’il voit Jay s’installer au même endroit depuis des années.
Des années d’errances avec un semblant de stabilité ici, sur Corellia.

Le premier verre est engloutis bien vite, comme les deux suivant, jusqu’à ce que le troisième flotte presque entre ses doigts abimés. Jay se noie dans le liquide bleuté au gout amer. Il ne redresse les yeux qu’au bout de quelques secondes, lorsqu’une nouvelle personne s’installe non loin. Il n’y attarde pas tellement le regard, alors que le visage est partiellement masqué, jusqu’à ce que l’inconnu abaisse son foulard pour boire et malgré la barbe, il y a ce quelque chose. Dans ses yeux, dans ses traits taillés.
Putain.
Ils ne se sont connus que quelques fois, mais Jay se souvient de son visage. Ici, peut être est-ce l’alcool qui déforme tout, mais il a la sensation d’être persuadé de voir Gal’aad Serke. Vestige du Premier Ordre. Un semblant de sa vie d’avant qui resurgit soudain alors que Jay se redresse. D’un coup. Pas brutalement, mais un peu quand même. Quelques clients le suivent des yeux, surpris, sans finalement s’y attarder alors qu’il avale la distance le séparant du potentiel Chevalier de Ren. Il dépose son verre devant la place tout à côté, s’y installant. « J’vous croyais crevé depuis le temps… » Dit-il dans un sourire en coin, un peu taquin. « C’est bon je ne dirai rien, ça sert à rien de me mentir ou de dégainer un de vos tour de passe passe là » Il mime un des gestes que les forceux semblent utiliser souvent. Pue impressionné par la chose, mais désireux de se raccrocher à ce vestige du passé personnifié, au moins pour ce soir. Lui redonnant un semblant de normalité dans une vie qui n’en a plus rien.

 « Qui te dit que je ne suis pas un fantôme ? » répondit l'homme, ses yeux comme à la lisière d'une autre galaxie.
Un bon guerrier n'oubliait pas les soldats qui avaient combattu avec lui. Se rappeler était une chose,
ne pas oublier en était une autre. Gal'aad se rappelait de la même manière qu'il n'avait rien oublié.
Il regarda Jay enfin, voyant l'homme tout autant que les absents. Une liste de noms et de matricules qui tournoyaient dans son esprit comme autant de murmures. Ils ne le hantaient pas tous les jours, Force non.
Mais voir un homme, c'était les voir tous.
Y compris ceux qui avaient péri.

 « As-tu peur des fantôme, Jay ? » Une question comme un murmure, une voix sans éclat de tristesse ou de colère.  « C'est un peu triste ceci dit de perdre sa mort à te hanter. »
L'homme ponctua sa phrase d'une gorgée de lait
L'alcool ne lui plaisait toujours pas, pas plus qu'il ne le tentait. D'un regard absent, il constata le verre de son interlocuteur.
Parfois, l'alcool était nécessaire. La souffrance ne se soignait jamais vraiment alors y ajouter un mal de plus, pourquoi pas ?
Un peu plus de ténèbres, un peu plus de noirceur.

 «C'est étrange, être heureux de voir quelqu'un. J'ai l'impression que tu te trompes d'émotion en me regardant. »Gal'aad secoua la tête.  « Je ne suis plus chevalier, je ne suis plus soldat. » Enfin, pour la première fois semblait-il, l'homme sourit.  « Je ne suis absolument plus rien. »
Un fils orphelin, un homme sans épée.
Un frère n'ayant pu être le gardien de son aîné.
Non, Gal'aad n'était plus rien que son chagrin.

D'un geste de la main, Gal'aad fit signe à une serveuse de ramener un autre verre encore à son compagnon. Lui, se contentait du sien.

 « Alors, toi aussi tu es intéressé par l'une des primes sur ma tête ? »L'argent, le nerf de la guerre. Y compris lorsque la guerre était finie, songea l'homme avec amertume.

 « Sinon, qu'y aurait-il se si bon à me revoir, soldat ? »

Il sourit en coin. Un fantôme hein ? Jay sait qu’il a déjà bien bu, mais de là à halluciner de cette façon ? Il se contente d’avoir un petit rire, bref et nerveux, avant de prendre une nouvelle gorgée de son verre. « Nah je n’y crois pas, les fantômes ça n’existe pas » Dit-il d’abord, presque à maugrée, alors que son regard se tourne vers Gal’aad, qu’il l’observe avant d’esquisser un sourire. « Clair qu’il doit y avoir mieux à faire que de me hanter » Evoque t-il, presque avec sarcasme. Jay qui n’a que trop conscience d’être devenu inintéressant. Il n’est plus que l’ombre de lui même, réduit au mercenariat, sans but réel, pas même l’argent, véritablement. Tout juste une raison de le porter, de le faire vivre. De quoi le ternir occuper, lui et ses mains, ses talents. Tout ce qui a forgé sa vie.

Le regard perdu dans le fond de son verre, avant qu’il ne s’en abreuve de nouveau, se tourne finalement de nouveau vers Gal’aad, alors qu’il esquisse un sourire. « Non j’me trompe pas… Je sais… J’ne suis plus commando non plus hein… La guerre nous a laissé sur le carreau » Il hausse les épaules avec mélancolie, mais l’honnêteté est là. Triste et sans appel mais bel et bien réelle. « Mais vous resterez toujours Chevalier, avec la Force et ces conneries. Vous serez toujours bien plus que moi » Il esquisse un sourire un peu triste, presque un rictus. Douloureuse réalité de n’avoir plus rien depuis longtemps. Depuis plusieurs années.
« Vous êtes un symbole » Une légende. Un nom. Une forme de célébrité dans les rangs, pour ses talents, pour son sabre et ses dons. Pas juste un soldat, même très bon, mais négligeable, comme Jay l’a été. Oh il a mené plus d’une mission cruciale à terme, mais il ne reste qu’un homme.

« Nah, c’est pas pour ça que j’vous ai approché… Au contraire je pourrai faire regretter à un enfoiré de venir trop près pour ça » Dit-il franchement, en commandant un autre verre. Oui, il empêcherait un chasseur de prime de venir s’attaquer à Gal’aad juste parce qu’il représente tant de son passé et de sa vie. Un héros en quelque sorte, pour tout ce qu’il était. Vestige d’un ancien lui mais qui brille encore bien plus que lui.
Il ne répond pas à la dernière question, car c’est là, au fond de lui, ça vibre d’une envie de faire, comme à l’époque. De redevenir un peu lui même, pour Gal’aad. « J’pourrai vous escorter quelque part ? Vous allez où après ça ? » Juste comme ça.
Se rendre utile.
Servir un Chevalier de Ren.
Gal’aad restera toujours un chevalier pour lui. Il ne peut en être autrement. Il ne peut pas être un simple homme.

Ils devenaient douloureux, les mots du soldat. Gal'aad savait porter une tempête à son visage, émotions diverses, émotions troubles, et cela le brûlait comme un incendie étrange, au fond. Une guerre ne se finissait jamais.
Les champs de batailles différaient, la peur s'accrochait différemment aux membres et à la chair qui vous restait, on perdait les mis et les proches d'une autre manière aussi.
On se débarrassait de ses ennemis autrement.

 « Trouves-tu la notion de chevalier si terrible que tu y accoles à nouveau un monstre comme moi pour la définir ? » Un symbole pourtant renchérissait l'autre.
Luke Skywalker avait été un symbole, mais Galaad Serke ? Anonyme derrière son casque, chevalier parmi d'autres chevaliers, ombre d'un homme qu'il avait respecté bien plus que lui-même et pour lequel il aurait préféré se sacrifier et mourir, Gal'aad ne comprenait pas.

 « Tu es saoul, soldat » murmura l'homme finalement. Dans sa voix, une envie mais Gal'aad n'aimait pas l'alcool. Il regarda Jay incapable de lui en vouloir de cette ivresse. A quoi bon ?
Saoul et complètement fou, croyant voir en Gal'aad un but, quelqu'un à protéger. Ce n'était pas de la pitié qui tordit le cœur du chevalier, mais une compassion étrange. Quel instinct venu du fond des âges faisait donc en sorte que Jay se souciait de lui ?
Un instant, Gal'aad songea à lever la main. A lui ordonner d'oublier, de se trouver une vie, une femme ou un mari. D'être et d'exister.
Il hésita.
Il hésita, songeant au monde et à la Galaxie dont les frontières semblaient un peu lus se rétrécir chaque jour.
Il hésita comme jamais il n'avait hésité en plein combat.
Tuer ou être tué.
Oublier ou être oublié.

 « Où je vais après ? En sécurité. » De nouveau son sourire revint, amer, douloureux. Gal'aad ne pouvait sourire autrement désormais.

 « Trinque avec moi Soldat, la soirée est encore jeune. Ensuite, nous aviserons. Mais il n'y a plus que les jedi pour être chevaliers désormais alors accepte-le. Quant à la personne qui m'offre sa protection, nous verrons plus tard si elle accepte de te recevoir. »

Puis, comme un enfant face à la douleur du monde.  « Pourquoi, Jay ? Pourquoi vouloir me défendre contre une prime que j'ai mérité ? »