L’échec de sa mission, la paralysie du vaisseau, tout cela semblait lié à Siona. Ça ne l’était pas, mais elle ne contrôlait pas les croyances qui agitaient son esprit. Cela faisait grandir la colère qu’elle avait contre elle-même, cela l’enfonçait dans une spirale d’absurdités comportementales. Comme le fait de n’indiquer à personne son retour et de se terrer dans ses quartiers, d’abandonner rageusement sa tenue de combat au sol, mêlant les voiles et les plaques dans un fouillis qui faisait passer le glorieux apparat pour un tas de chiffon. Assise dans un coin de la pièce, les avant-bras posé sur le tissu léger de son futal noir, elle cherchait sans y parvenir à méditer sur la situation. Méditer pour rationaliser son attitude et ce n’était pour le moment pas concluant. Trop décentrée, elle pouvait, en outre, percevoir l’agitation du vaisseau. La rupture de contact avec le leader suprême laissait sans aucun doute transparaître certaines velléités qu’il faudrait étouffer. 

Elle tournait comme dans une cage depuis quelques temps déjà et ce n’était pas bon pour elle, elle ressassait de mauvaises choses et la voix de sa rationalité se faisait ténue. Le froissement de son pantalon de toile alors qu’elle faisait les cents pas était l’unique son qui habitait l’espace, parfois de l’extérieur elle captait des bribes de conversations, des voix connues et d’autres non. Elle devrait sortir, rejoindre l’effervescence des trahisons à venir et des fidélités renforcées. Pourtant elle ne bougeait pas. Bloquée par une inquiétude aussi profonde qu’irrationnelle. Se confortant dans son inaction par des pensées malsaines à son sujet et à celui de son parcours. Un syndrome de l'imposteur l’engloba avec une violence qui la tétanisa. 

À la recherche d'un moyen de rationaliser l'attitude extrême qu'elle savait avoir, elle se tourna vers ses trésors sans valeur, son bric à brac faussement mystique. Brûla de l'oliban face à une statuette sans visage et sans nom, fit tourner ses poignées qui formait dans les airs des arabesques alambiquées, les perles de bois teintaient en rythme. L’ensemble conférait à sa petite chorégraphie des airs de rite ancestrale, quand bien même elle était sans sens et sans autres pouvoirs que ceux qu’elle lui accordait. C’était un mélange de prière à des dieux divers dont elle ne connaissait même pas les cultes, des gestes imités, modifiés, mélangés. Son petit rituel n’était pas là pour la calmer,  rien n’y parvenait jamais, mais pour garder son esprit occupé par autre chose que l’absurdité de sa propre situation. Les volutes de fumée, la musique des perles de bois s’entrechoquant, ses yeux fermés, elle songea à sa sœur, la sermonnant sur son attitude puérile, lui ordonnant de sortir de son isolement. Elle avait le regard sévère, le ton dur. Siona rouvrit les yeux, pour ne croiser que son propre regard, un peu hagard, un peu furieux.

Statique un moment, ses longs bras retombèrent soudainement,  ses poings fracassant le petit autel et faisant valser les idoles sans nom. Le bruit ne l’inquiétait plus soudain, il n’y avait que cette colère tournée contre elle même. Elle ne faisait pas honneur à sa sœur, malgré son statut, malgré ses accomplissements. Elle balaya par coup de force un fatras d’ouvrages dont elle repoussait la consultation et qui était censé l’aider à mieux comprendre l’univers dans lequel elle évoluait, les enjeux et l’histoire des politiques galactiques. Lui apporter une connaissance qui était l’une de ses grandes faiblesses, des textes choisis avec soin face auxquels  elle se sentait d’autant plus stupide.

Ils étaient peu nombreux ceux qui avaient prêté attention au bruit. Du bruit il y’en avait souvent depuis le début de cette quarantaine forcée. Et il n’y en avait qu’un pour faire le déplacement. Relevant lentement la tête, à travers les quelques mèches qui s’étaient échappées de ses tresses devenues lâche, elle rencontra le regard de Lewan. Sa bouche s’entrouvrit, elle réalisa alors qu’elle était un peu essoufflée. Sa voix s’éleva : un murmure vif, un peu rauque après le silence qu’elle s’était imposée.

« Entre ou sort mais ne reste pas planté là ! »

Elle essayait de jauger ses réactions. A mesure, sa colère s’estompait pour laisser place à une inquiétude qui lui tordit le ventre.  Elle se retrouvait à nouveau face à ses contradictions, face à sa stupidité, affichée maintenant devant l’un de ses semblables.

« Ne préviens pas les autres…, murmura t-elle précipitamment, s’il te plait... »

Entre menace et supplication, comme une enfant qu’elle a du mal à admettre qu’elle n’est plus.