Le réveil ne fut pas compliqué ce matin, assise sur le rebord du lit je me sentais bien. La nuit fut douce et limpide, pourtant couchée tard je n’avais pas eu de difficultés à trouver le sommeil comme ces derniers mois. Les cauchemars venaient me hanter dans l’obscurité, m’empêchant de fermer l’œil. Ils étaient devenus quotidiens, une ombre qui vous colle à la peau, accrochée à votre cheville et que l’on tire comme un boulet, une peine qui ne s’estompait pas. Tantôt je les voyais hurler, en proie aux flammes, m’appeler comme leur dernier espoir, l’ultime bouée à laquelle ils pouvaient se raccrocher. Tandis que d’autres fois je les voyais d’un calme à toute épreuve, debout, fiers mais cependant toujours en train de se faire avaler par ce brasier ardent, ils sont là, ils me tendent la main dans un sourire mélancolique, pas un mot, aucun bruit, juste cette atmosphère lourde  dans un silence de plomb. Mais cette nuit, rien, absolument rien, une mer d’huile, et j’avais ce sentiment «étrange d’être à la fois soulagée et inquiète, comme si ces nuits agitées avaient finies par faire partie de moi, que je m’étais habituée à leur présence, je m’étais fait une raison.  

Quelque peu déboussolée je me devais de me changer les idées. Je n’avais parlé de ces songes à personne tant leur réalisme et leur répétitivité me transcendaient. A qui pouvais-je bien en parler de toute manière ? J’avais peu de relation en dehors du contact que je pouvais avoir avec mes supérieurs. Peut-être un brin trop casanière. Je devrais songer à sortir, voir du monde. Mais cela voudrais aussi dire s’attacher, prendre le risque de souffrir et c’est une chose à laquelle je me refuse totalement.  Sortant de la chambre je me décidais à me rendre sur le Nova, aller m’isoler un peu en dehors du cadre trop familier de ma chambre et qui me fait tourner en rond.

Toute l’agitation et le stress de ces derniers jours  ne semblait pas retomber au sein de Fenves. La pression qui y régnait m’était insoutenable et j’avais besoin de souffler, de me défouler.    Alors oui, Fenves était devenue mon véritable chez moi, je me sentais véritablement là où je devais être, au sein de la Résistance. Mais parfois, la pression, les évènements, les pertes,  les douleurs, c’était difficile à supporter ne serait-ce que les siennes, alors celles de tous mes camarades… C’était un peu trop. Ma récente affectation au Nova me permettait de m’éloigner de tout ceci, je m’y sentais bien, apaisée, comme si j’étais dans une bulle qui me faisait perdre toute notion du temps et de l’espace. Exactement tout ce dont j’avais besoin.

L’atmosphère du vaisseau avait tendance à me détendre et m’y trouver maintenant était sans doute la meilleure chose à faire. Je ne savais pas si cette affectation allait être uniquement temporaire ou permanente. Pour le moment la situation me convenait. Je me décidais alors à aller dans une salle d’entrainement, elle faisait partie de cet ensemble de petites salles qui composaient le Nova. Je posais mon sac sur un des bancs de la pièce. J’en sorti une serviette que j’accrochais au porte-manteau, je me saisis d’une corde à sauter après avoir fait quelques étirement histoire de réchauffer les muscles. Les yeux fermés je me concentrais sur le rythme régulier de la corde qui fendait l’air. Ailleurs complètement transportée. Je n’étais plus sur Fenves, plus à bord du Nova, j’étais de nouveau sur Hosnian Prime, dans le jardin familial, une petite fille entourée de ses parents qui la regardent jouer, attendris. Je me sentais bien apaisée, partie loin de toute réalité, cette impression de ressentir tout, le vent dans mes cheveux ondulés, l’odeur des fleurs qui venait me chatouiller les narines et ce ciel d’un bleu azure presque irréel.  J’étais bien, trop bien, un pincement m’étreignit le cœur. M’arrêtant brutalement je sentais cette boule se former dans ma gorge. Tout semblait tellement vrai, j’aurai presque pus les toucher. Mais ce n’était, encore, qu’un songe. Je fini par remettre la corde à sa place, comme mes souvenirs. Je sortis alors une bouteille d’eau de mon sac que je descendais de moitié d’une traite. Je me tournais alors vers le sac de frappe pendu au plafond.  J’attrapais alors deux mitaines de boxe que j’enfilais. Ferme les yeux, souffle, respire, concentre toi…Je décontracte mes épaules et ma nuque, sautillant sur place en secouant les bras avant de commencer à frapper. Le défouloir parfait, exulter ma frustration et mon incompréhension autrement.  Je ne sais pas depuis combien de temps je le fais, mais je tape, le temps ne semble plus avoir d’emprise sur ce qui se déroule, je ne pense qu’à eux, à leurs visages, ceux que, jusqu’ici, je voyais chaque nuit, inlassablement. Pourquoi ? Pourquoi m’abandonnent-ils une seconde fois ? Pourquoi disparaitre encore du jour au lendemain… Sans prévenir. Je sentais cette colère qui montait en moi, me forçant à taper de plus en plus vite, de plus en plus fort. Jusqu’à ce que je ne puisse plus. Dans un cri je donnais toutes mes forces dans un dernier coup avant de me laisser tomber par terre, assise, le souffle court. J’entendis alors des pas derrière moi, venant du couloir jusqu’ici.   Je tournais alors le visage sur le côté pour voir de qui il s’agissait. Galen… En fin de compte je ne savais même pas si j’avais le droit d’être ici sans son accord.

« Je hum...  Pardon, j’aurai peut-être dû vous demander la permission avant de venir ici ? Je ne voulais pas vous déranger.»

M’entrainer me faisait du bien et me permettait de repousser encore un peu plus mes limites ; d’augmenter mes compétences, de me sentir vivante, de me garder en vie. Me sentir utile à une cause était une chose, pouvoir la défendre et se battre pour elle passait par des aptitudes qu’on se devait d’aiguiser un peu plus chaque jour. Ne jamais se reposer sur ses lauriers, toujours en vouloir plus. J’avais cette soif d’apprendre, de connaître, de maîtriser. Je ne supporte pas que quelque chose m’échappe, que je ne le comprenne pas ou que je n’arrive pas à faire quelque chose. Je recommence, encore et encore, jusqu’à ce que j’y arrive et une fois que c’est le cas, je recommence encore, afin de me perfectionner, d’affiner la technique. J’ai toujours fonctionné ainsi, c’est comme cela que ça fonctionnait chez moi et j’ai gardé cette habitude en grandissant. Un de mes fondements principaux en somme. Ne jamais abandonner.

Depuis que je suis revenue au sein de la Résistance j’ai encore plus à cœur de montrer que je mérite ma place, que je ne suis pas là par complaisance ou sentimentalisme. J’ai besoin de prouver que je suis à la hauteur, que je n’ai pas passé ces dernières années à me tourner les pouces et à me la couler douce sur une planète tropicale à siroter des jus de fruits, les doigts de pieds en éventail en bord de mer.

C’est pourquoi j’étais venue si tôt ce matin à bord du gigantesque Nova. Lors de ma première visite j’avais remarqué cette salle d’entrainement, parfaitement équipée. Galen avait vu les choses en grand et je ne pouvais être qu’admirative de son travail. Faire partie de son équipe était pour moi un honneur, passé les premiers instants de la surprise, vinrent les moments de doute. Etais-je assez qualifiée, n’allais-je pas le décevoir, étais-je à la hauteur ? Seul le temps finirait par me le dire mais ce n’est pas pour autant que j’allais laisser mes questions donner tort au Jedi.

Alors que je reprenais mon souffle, assise par terre. Le voici qui passait la porte, m’excusant platement d’être potentiellement entrée alors que je n’en avais pas le droit, je me relevais maladroitement tandis qu’il me rassurait. Un sourire se dessina sur mon visage alors qu’il me mettait, en quelque sorte, au défi.

« De si bonne heure ? J’aurai peur de vous brusquer dès le réveil Colonel. »

Je vis la paire de mitaine léviter jusqu’à lui pour qu’il les enfile. Je secouais un peu mes bras avant de me mettre en position.

« Quoi que j’ai bien peur de ne pas faire assez le poids face à un Jedi, je vais donc essayer d’y aller un peu plus fort que je l’aurais fait d’habitude. Ça vous convient ? »

A tâtons je commençais les échanges, d’abord hésitants, quelque peu retenus puis, au fil des minutes les coups se faisaient plus secs, plus précis, plus incisifs. Le jeu venait réellement de débuter lorsque je lui assignais un direct du droit net et plus appuyé que les précédents. Remarquant qu’il semblait bien encaisser les coups je me permis d’y aller avec plus d’assurance et donc plus de force. J’augmentais alors la cadence, la puissance aussi, je ne voulais rien laisser au hasard. Me concentrant sur ses mains qui devenaient de cibles, je ne voyais plus qu’elles, l’objectif à atteindre. Il souhaitait voir de quoi j’étais capable ? Pas de problème, il allait être servi.