KAS-03. J’avais pourtant tout fait pour rester le plus loin possible de cette station. Ses lumières et ce bruit constant de la foule, ce n’était pas bon pour les affaires. Ces derniers temps, j’avais préféré rester dans des endroits calmes et sombres car les représailles commençaient à fuser. Il aura fallu quand même de nombreuses années avant que l’on me reproche d’avoir fait capturer ou tuer certains malfrats de la galaxie. A mon tour, j’étais considérée comme l’un des leurs et ce n’est que le revers de la médaille. Cependant, je n’avais pas vraiment le choix en me rendant ici. Les soins d’Allyria ne vont pas se payer seuls et son état ne fait qu’empirer de jour en jour, c’est à peine si aujourd’hui elle était capable de piloter le vaisseau correctement. Elle s’affaiblit, mais la maison Renliss ne veut rien entendre : elle a un contrat à respecter. Cette fois-ci, le contrat était gros et digne d’intérêt. Un des gérants du plus gros casino de la station est une ordure. L’offre semblait alléchante d’un côté lorsque proposée par un Hutt un peu trop mécontent d’avoir perdu plus d’argent que permis lors d’un jeu, mais elle le fut encore plus lorsque ce même homme fut accusé d’attouchement sur une femme et qu’une nouvelle proposition d’argent parvint jusqu’à la maison Renliss. Je n’avais pas hésité à répondre positivement aux deux offres.

Je demandai à Allyria de rester près de moi cette fois-ci. La laisser seule dans le vaisseau n’était pas sage. Il suffisait que n’importe qui monte à bord de la navette, parte avec elle morte ou vive et alors toute la galaxie deviendrait mon ennemi numéro un. Il pourrait également lui arriver n’importe quoi, un malaise ou quelque chose comme cela et je ne serais pas là pour la gérer. Je n’ai même pas les moyens de nous avoir un droïde médical en permanence, alors je préfère la garder avec moi. « Tu auras assez de force pour me suivre, Ally ? Aujourd’hui je vais simplement partir en repérage, donc il n’y aura pas à courir, mais si tu ressens la moindre faiblesse, fais-le moi savoir, d’accord ? » Ma petite sœur acquiesça vivement. Elle ne voulait pas montrer ses faiblesses. C’est bien la fille de Leeto. Pour l’occasion, tenues correctes exigées. Je n’ai pourtant pas l’habitude de porter ces robes hors de prix, ce n’est pas pratique en cas de problème.

La station était exactement comme on me l’avait décrite. Je traversai les nombreuses rues qui séparaient le spatioport au casino dans lequel je devais me rendre. J’observais autour de moi de peur de croiser des visages peu avenants. Tout le monde semblait si préoccupé par ses propres occupations. Certains sortaient des cantinas ivres, d’autres entraient dans des clubs, il y avait également de nombreux casino qui accueillaient de riches personnes prête à se faire déplumer. Nous n’étions plus très loin du casino en question, mais mon regard fut attiré par une chevelure assez atypique. Il y n’y avait que deux humains dans ma vie qui m’avaient marquée par leur chevelure. Il y avait Dahn d’une part, puis Dune. A en juger la masse de boucles que cette humaine transportait, il ne pouvait s’agir que de Dune. J’étais alors partagée entre la laisser aller et aller à sa rencontre. Combien de temps s’était écoulé depuis la dernière et seule fois que nous nous étions vue. Je l’avais recueillie alors qu’elle était dans une mauvaise passe. Ça n’avait duré que quelques jours, mais j’avais appris à l’apprécier et depuis, plus rien. Je ne suis pas du genre à donner ou demander des nouvelles il faut dire. Mais je n’avais aucune idée de si elle avait réussi à s’en sortir après notre séparation.

Je me mis à traverser la foule à contre-courant tout en tenant la main de ma petite sœur. Le casino ne va pas bouger de sitôt, on a toute la nuit devant nous. Je me sentais comme un poisson dans une rivière tentant de traverser un banc si organisé et si passionné par un même et unique but qu’on a l’impression de nager à travers un mur. Mais après maints efforts, nous avions finalement vaincu la foule et par chance, Dune et sa chevelure étaient encore dans mon champ de vision. « Viens. » Je m’approchai d’elle, sans courir pour ne pas attirer l’attention mais d’un pas décidé pour ne pas la laisser filer entre nos doigts. Je mis ma main sur son épaule pour attirer son attention. « Dune ? C’est bien toi ? »

Elle était partie comme un souffle d'air, laissant sur la table tous les crédits qu'il lui restait, c'est à dire fort peu. Remercier Keva de son hospitalité, bien que Dune n'ait pas été chasseuse de primes renommée ou même mandalorienne, et se débarasser aussi des dernirères traces de Julen. Parce que Julen était mort, assassiné, que Dune devrait se démerder seule si elle voulait vivre.
Elle le voulait.
Alors, sans même chercher à voir des regrets, la jeune femme avait abandonné sa maigre fortune. Parce que cet argent, Julen le lui avait donné, parce que Julen ne lui donnerait plus rien à part des pleurs et des cauchemars, alors mieux valait le commencer tout de suite, ce « rien ».
Et depuis, les jours avaient passé, les semaines aussi, quelques mois. Le décompte du temp parfois s'accentuait, parfois faiblissait. Dune avait rencontré un amant à nouveau, avait eu le cœur brisé, échappé à la mort aussi, donné la mort surtout puisque cela était son métier.
Elle avait trouvé d'autres âmes toutes aussi eseulées qu'elle, d'étranges amitiés s'étaient tissées alors, certaines restaient.
Perdue dans la station au milieu de la foule, la jeune femme tentait de se mettre sur la piste d'une potentielle victime : pas un perclu de dettes pour une fois, juste un homme trop volage qui, aux yeux de sa femme, avait eu l'aventure de trop... Sauf que le monde était un obstacle pour la brune, trop de couleurs, trop de mouvements. Elle devait trouver un moyen de s'assourdir et devenir aveugle tout à la fois pour ne plus fonctionner qu'aux instincts, quand son cerveau ne pouvait lire assez d'informations à transmettre à son corps. Comme d'habitude.
Ce fut alors qu'on prononça son nom. Elle tourna la tête, le regard perçant croisa celui de Keva.
Oui c'était bien elle, aurait-elle pu rpépliquer, non je ne suis plus moi, aurait-elle aussi pu hurler. Quel était le cœur qu'elle portait aujourd'hui ?
Le mien, le mien!

 « Keva.... »

Sa voix était plus rauque que celle de l'autre femme, son visage plus dur aussi, elles ne se ressemblaient que parce qu'une bien étrange nuit leur habitait le regard. Finalement, Dune hocha la tête en un léger salut, geste étrange, non dépourvu de grâce, mais qui montrait bien les difficultés qu'avaient la jeune femme à bouger comme les autres.

 « J'espère que nous ne sommes pas sur la même Chasse, j'aimerai gagner de l'argent facilement pour une fois »

Son regard se posa sur la jeune fille accompagnant l'autre chasseuse. En quelques instants, Dune pu lire la faiblesse, celle cachée que l'on ne veut surtout pas montrer, la fatigue aussi, que l'on porte, que l'on portera encore, que l'on portera toujours. L'obligation de faire plus que les autres, plus d'efforts, plus d'actions, et de ne pas réussir pourtant. D'avoir moins, encore moins, toujours moins, mais quel était le choix ?
C'était cela le regard de la jeune fille, un regard pareil à Dune que la chasseue avait appris à cacher par la violence et la sauvagerie.
Elle s'éloigna du tabouret qu'elle occupait, le désigna à la gamine.

 « Assied-toi »

Pas de pitié dans sa voix, pas de compassion, pas de conseil mais un ordre seulement. Le monde était une complète injustice, Dune n'avait aucun pouvoir peut-être, mais pouvait au moins donner aux autres ce que l'on lui refusait à elle...

L’avoir aperçue dans cette foule me donnait presque envie de changer mes plans. Bien entendu, je n’allais pas totalement laisser tomber ce que nous avions prévu avec Allyria mais je ne pouvais pas pour autant prendre le risque de laisser Dune s’en aller sans lui avoir fait savoir que nous étions là. Je ne sais pas où nous en sommes elle et moi car nous avons jamais réellement gardé contact, mais les derniers souvenirs que je garde de la jeune femme sont positifs et je ne voudrais pas que ce soit autrement. Je me souviens encore de l’argent qu’elle m’a laissé. Si j’avais pu la rattraper je lui aurais rendu cet argent car ce service rendu ne valait pas le moindre crédit. Je l’ai fait par plaisir non pas en espérant un quelconque paiement. Malgré tout, je n’avais eu d’autre choix que de garder cette petite fortune car après son départ, je n’avais pas vu la chevelure bouclée pendant des mois et des mois.

J’avais trainé Allyria avec moi de peur qu’elle s’éloigne. Une fois au niveau de la jeune femme j’attirai son attention. Je la reconnaissais bien évidemment, mais c’est une manie dont je n’arrive pas à me débarrasser de vouloir être sûre que je m’adresse bien à la bonne personne. Elle semble être en forme, du moins c’est l’impression qu’elle me donne au premier regard. Je lui souris timidement, j’ai l’impression d’avoir face à moi une deuxième petite sœur. Il n’y avait pas le même enthousiasme dans la voix de Dune, mais je ne peux pas lui en vouloir pour ça. Ça a toujours été spécial entre elle et moi. J’ai tendance à toujours être un peu trop démonstrative, c’est mon défaut. Elle me dit espérer que nous ne sommes pas sur la même chasse et je ne peux m’empêcher de rire.

« Je l’espère également. Cela dit, je crois que ça ne me ferait pas de mal un petit peu de compétition, j’ai l’impression de ramollir en ce moment. »

La jeune femme se leva de son siège pour sommer à Allyria de prendre sa place. Ma sœur me regarda pleine d’interrogations. Je hochai la tête, dans ces situations, refuser n’est pas un luxe qu’elle peut se permettre.

« Ça fait combien de temps que nous ne nous sommes pas vues ? Qu’est-ce qui t’amène par ici ? Une mission qui paye bien je suppose. »

Je scrute les personnes qui nous entourent, celles qui passent, celles qui s’arrêtent. Je ne parle pas trop fort même s’il y a peu de chance que quelqu’un espionne mes conversations. Me griller avant même d’avoir mis les pieds dans le casino serait stupide. Mais tout le monde semble vivre sa propre vie. S’il ne faut pas se fier aux apparences, pour le moment ça me suffit.

« Il paraît que la propriétaire d’un des nombreux casinos ici fait du tort aux Hutt. Je suis bien curieuse de savoir de quel genre d’affaires il s’occupe pour avoir mis en rogne ces saletés de limaces. Enfin… Ils ont toujours été susceptibles ceux-là. »

Soit ils sont susceptibles, soit ils aiment se fourrer dans de sales histoires. Moi qui avais promis à Leeto de ne jamais me mêler aux histoires de ces limaces, il se trouve que ce n’est pas moins de la deuxième fois que je bosse avec eux. Je n’ai toujours pas attrapé Aram Fray pour autant, mais ils semblent ne pas être trop méfiants et accepter de me confier ces contrats. Ils payent bien, alors je ne peux pas dire non. Leeto avait de bons conseils mais c’était sans savoir que sa fille allait tomber aussi gravement malade.

Au rire de Keva, celui de Dune ne vint pas s'accorcher. Elle regarda l'autre femme simplement, calme, songeuse. Tout pouvait être une menace ici, pas forcément Keva, mais les regards qu'elle pouvait attirer. Qu'elles pouvaient attirer. C'était cela vivre dans le danger, chasseur et proie tout à la fois, Dune n'avait pas envie de courir ce soir.
Quant au fait de s'affronter pour une chasse, là encore la brune ne s'en amusait pas. Tuer seule, sans regard autre pour l'étudier dans ses mouvements, dans les gestes qu'elle ne faisait pas comme les autres, la difficulté qu'elle avait à les cacher pour que de cela vienne la peur, la peur d'elle....
Aussi, plutôt qu'une concurrence, Dune préférait les trahisons et coups bas. Tout en elle se devait de marcher par l'inattendu pour qu'elle puisse vivre et survivre, le monde extérieur ne pouvant s'adapter à elle et chacune des difficultés qu'un handicap impliquait. La jeune femme poussait donc ce mécanisme à l'extrême, empêchant de convenablement être lue par les yeux et le coeur d'autrui. Qu'importe?
Néanmoins son contrat n'avait rien à voir avec les hutts, Keva ne deviendrait donc peut-être pas son ennemi ce soir.

”Je ne compte plus le temps, c'est plus simple pour aller sans but...”

Et le temps, quelqu'un, quelque chose l'en avait gommé de la plus horrible des manières après tout, pas vrai? Ian, l'ombre de son sourire, Ian qui ne se souvenait plus d'elle alors même qu'ils auraient du s'aimer de la manière la plus vache possible. A sa manière, sans le vouloir, Dune était un fantôme.

”Pour faire du tort à un Hutt il suffit d'exister tout simplement. Mon contrat n'a rien à voir avec eux, à moins que ma proie n'ait des goûts sexuels forts étranges?”

Cette fois ci il y avait un rire, pas dans sa gorge, juste dans ses mots, il se devinait, ne s'écoutait pas, et les yeux de Dune brillaient d'une lueur bien à eux. Il y avait du danger en elle peut-être aussi finalement, un danger qu'elle ne voyait pas, ne sentait pas, ne comprenait pas.
Prédatrice.

”Alors, tu vas tuer pour leur compte?”

La morale, un mot comme un autre, un concept futile surtout du moins à ses yeux à elle. Enfantillages, rien d'autre, et les enfantillages pouvaient coûter la vie. On tuait, cela était mal de nature, alors peu importe pour qui ou pour quoi, pas vrai? La damnation était déjà là, et l'enfer était dans ses yeux à elle aussi.
Elle ne jugeait pas, Keva obéissait à certaines contraintes pour survivre, évoluer, de la même manière que Dune à sa façon.C ela voulait dire travailler avec des gens que l'on estimait peu, cela voulait dire beaucoup de choses à la fois, tout autant que rien du tout aurait dit Errol.
Un homme essaya de s'approcher des trois femmes, visiblement dans l'idée d'en récupérer au moins deux pour sa soirée. Il préparait déjà ses mains baladeuses, Dune le coupa d'une voix aussi railleuse qu'autoritaire.

”Commande nous à boire avant de tout gâcher en venant nous parler, c'est toi qui régale évidemment...”

Surpris, l'homme sembla perdu et sur le point de fuir pendant une longue seconde, avant d'obéir finalement. La soirée venait de commencer, elles avaient au moins le temps d'un verre si la discussion devait s'éterniser.
Et Dune en oubliait presque une règle par trop essentielle dans ce genre d'endroit: rester discrète.
D'autres chasseurs pouvaient se trouver entre l'ombre et la foule après tout...