Il était difficile, voire insensé, de tenter de comprendre comment Kahl s’était retrouvé dans pareille situation, enlacé par la mort, si loin de chez lui. Dans un quartier où la lumière du jour ne filtrait jamais, où la misère transpirait à travers les murs métalliques moisis ou rouillés par l’abandon et la solitude. L’espoir en était absent, la colère et la haine omniprésentes, guidant une société presque inconnue dans ses déboires et ses luttes de pouvoir. Car il n’y avait nulle loi du plus fort ici-bas, c’était bien pire. Les personnalités importantes ne dominaient que par la violence et la peur, les petites gens se déchirant entre eux dans des litanies prosaïques pour leur obéir. Parfois, les plus chanceux apercevaient à des kilomètres en hauteur, le point lumineux porteur de tout leur rêve, mais l’atteindre n’était réel que pour certains élus. Pas les plus forts, pas les seigneurs de la peur, mais ceux assez malins pour se faufiler à travers la hiérarchie du métal et éviter les dangers les plus flagrants. Plus rares encore étaient ceux qui y descendaient, tout autant apeurée par les dangers de ces trous béants, véritables trous noirs à l’intérieur de leur planète-ville.

Kahl avait eu vent sur la Station 616, par quelques pèlerins de la capitale, de l’existence d’un artefact qui, à ce que disaient les rumeurs, “rendait fou celui qui y portait le regard”. Le genre d’histoire que l’on se passe autour d’un tonneau embrasé tout en se partageant une soupe populaire bien trop peu énergétique. Celle d’un homme de simple facture, ferrailleur de son état, récupérant ce que la surface ne voulait plus, qui tomba sur un objet atypique. Certains parlaient de tablette, d’autres d’une arme, toujours est-il que cet objet, quel qu’il soit, avait fait sombrer ce pauvre hère dans la folie, le condamnant à errer dans les tunnels obscures des niveaux inférieurs. L’objet fut récupéré par un seigneur de guerre local, après que le cadavre du malheureux fut retrouvé dans les eaux nauséabondes des égouts, l’objet entre ses mains. L’on dit que ce dernier l'entreposa dans son domaine souterrain, sombrant à son tour dans la décadence et les péchés. Son empire s’étiola, sa raison se brisa. Il n’en fallut pas plus pour le garçon pour rassembler ses maigres économies et se diriger vers la capitale, dans un convoi humanitaire, dont il avait eu quelques remords à profiter.

Son périple le conduisit de niveau en niveau, véhiculant à son tour l’histoire tragique de l’artefact qui rend fou. L’histoire se complexifia au fur et à mesure de ses échanges avec les locaux. Il y eut la notion d’esprit malin, de ténèbre insondable et autres obscurités latentes qui n’attendaient qu’à dévorer ceux qui y entraient en contact. Le secteur de recherche se précisa, le nom du royaume d’influence émergea tel que “Apôtres du trépas”, un nom énonciateur d’un manque évident de culture littéraire, voire de culture tout court. De fil en aiguille, il pénétra dans le niveau 426, mais les gens se firent de plus en plus silencieux, hagards, à l’énonciation de ses demandes. Sa témérité n’en tarit pas et il réussit tant bien que mal à obtenir un nom, Mak l’écorché et un lieu, la cantina du Dernier Soleil. Il s’enfonça alors dans l’atmosphère lugubre et irrespirable, jusqu'à la localisation. C’est ainsi qu’il se retrouva au milieu des ivrognes à la mine patibulaire, frappant l’intimité des serveuses quand elles s’approchaient, n’hésitant pas à utiliser leurs blaster pour régler leurs rixes. Cet endroit était sans doute le paroxysme de toute la noirceur qu’il eut à traverser plus tôt. La musique y était entraînante, mais ce n’était que pour cacher et étouffer le son des cris et des pleurs, de l’oppression impies et de l’aura horrible qui s’écoulait de cet endroit. Kahl en fut profondément bouleversé, ressentant jusque dans ses entrailles cette négative. Il en fut révulsé jusque dans son âme.

Cette confusion mentale le poussa à l’erreur et son esprit embrouillé manqua de finesse, car il interpella un gros bonnet, dont la moitié des dents manquait, habillé seulement par un pantalon à demi rapiécé et d’un tablier de boucher. Il portait une chope dans une main, et une serveuse de l’autre, qui cherchait de toutes ses forces à s’extraire de son emprise. Son étonnement d’avoir été dérangé le poussa à relâcher la serveuse qui s’enfuit dans l’arrière boutique. Il n’écouta pas, ni la question de Kahl, ni le semblant de logique qui lui restait et dégaina un blaster dont il pointa le canon sur le visage du garçon.



Ce dont il était sûr, c’était que l’ivrogne allait appuyer et que cela sonnerait la fin de l’explorateur. Kahl écarquilla les yeux, figé. C’était ainsi qu’il s’était retrouvé dans cette situation, qui sonnait comme étant la dernière de sa vie.