L’étalage était une sorte de caverne aux merveilles sans que personne ne comprenne l’étendu des trésors qui s’y trouvait. Le vendeur aux petites lumières semblait quelqu’un de simple et sans histoire, portant un tablier de cuir aux multiples poches ventrales d’où dépassaient des outils. Son étalage n’était fait que de deux bancs positionnés en angle obtus dont le triangle se fermait par l’unique mur à l’arrière. Ce dernier était couvert de toutes sortes de grigris, d’objets indéfinissables, tant dans leur conception que dans leur utilité. Tantôt des quadrupèdes, pas plus gros qu’une main, taillés à même un os trônaient fièrement sur une étagère, tantôt des colliers et amulettes aux propriétés “spéciales” étaient présentés sur des bambous fixés horizontalement. Il y avait de multiples fourrures animales, parfois ce que Kahl présupposait être des vrais poils aliens, ajoutant un côté macabre à toute cette étrangeté. Le pire étant l’étalage en elle-même, ce qui devait attirer l'œil du client qui déambulait hagard dans cette rue marchande. Elle était pourvue de quelques crânes animaliers magnifiquement bien lustrés, rongeurs, canidés et même aviaires. Certains étaient d’os, d’autres forgés dans la pierre volcanique ou du verre de différentes couleurs. Il y avait plusieurs objets que le garçon reconnut comme appartenant aux civilisations pré-rylothiennes d’avant la guerre noire. Ou encore une magnifique arbalète, malheureusement en deux morceaux, du peuple arboricole de Kashyyyk.

Même si tout cela semblait revenir d’un autre monde tant la pluralité de ces découvertes soulignaient de très grands voyages, ou une contrebande très efficace, Kahl était fasciné par la partie runique du magasin. Car dans un coin trônaient quelques rouleaux de parchemin semblable à de la peau humaine, ainsi que leur conteneur de cuir bouilli. Le garçon profitait que le vendeur aux petites lunettes ne regarde pas dans sa direction pour passer ses doigts sur ce tissu. La texture graveleuse faisait effectivement pensé à du cuir, la couleur blanche à celle d’un homme, mais les entremaillements fibreux n’étaient rien d’autre que du chanvre. Dessus étaient finement écrites les runes d’une langue qu’il ne comprenait pas et qui l’intriguait au plus haut point. Les lignes horizontales constituaient la majeure partie des caractères et chacunes débutaient ou se terminaient par des triangles, allant d’un sens à un autre. Jamais de cercle, jamais de retour en arrière, l’écriture se poursuivait sur toute la longueur puis redescendait, pour une lecture à l’égal du basic. Il était certain d’avoir déjà vu ces glyphes mais était totalement incapable de s’en souvenir.





Une somme pour le moins dérisoire pour des informations de cette valeur, mais dont il était totalement dépourvu. Ses fonds ayant été gelés, il était désormais livré à lui-même et sans le sous. Aussi préféra-t-il poursuivre la conversation et tirer le maximum des informations de son interlocuteur.





Le garçon fut insistant.



Kahl déglutit face à cette description de cauchemar. Un endroit impie où la faune et le climat cherchaient à détruire ceux qui y voulaient pénétrer. Une planète bercée dans les ténèbres, abandonnée à telle point que l’on devait taire son nom. Peut-être même protégée par les ombres gargantuesques des vestiges ancestraux, symbole de la puissance de cette race d’antan au passé inconnu. Un passé si noir que toute vie y avait été supprimée sur place, ne laissant que ces ruines, seule preuve de leur existence. Ce frisson d’effroi qui lui parcourut l’échine fut bientôt rejoint par l'excitation de trouver un tel endroit. Qui sait quelle connaissance il pouvait récupérer sur place ? Quelle civilisation occulte et ancienne avait posé sa marque il y a des millénaires ? Quel sombre secret pourrait-il apprendre de ce vestige des ténèbres ? Entre excitation et peur, son esprit était perdu et il se mura dans un silence religieux. Le garçon savait qu’il ne pouvait plus reculer désormais. Au milieu de l’espace, il n’avait plus d’autres choix que de poursuivre sa quête insensée. La peur pouvait être terrassée, l’excitation, l’attente, était quant à elle un dangereux poison qui pouvait rendre fou. Ainsi, c’était décidé. Aussi quand il se prépara à négocier le prix, le destin frappa à sa porte. Le petit vieux s’en alla précipitamment à l’autre étalage, levant les mains et poussant des cris comme un animal en colère.



D’un bref coup d'œil, Kahl constata que les crânes de verre avaient disparu, ainsi qu’un des deux morceaux de l’arbalète Wookie. Un vol pour le moins pitoyable compte tenu de la valeur de ces objets. Peut-être l’éclat de ces premiers avait dû attirer l'œil novice d’un chapardeur de rue. Kahl détourna le regard et revint sur le parchemin. Tout ce brouhaha ne nécessitait pas son attention, bien trop précieuse pour y être divisée. Pourtant, cette même attention fut de nouveau bousculée quand dans les murmures étouffées et implorant du vieillard, il perçut quelques bribes :



Son sang ne fit qu’un tour et il se saisit du premier objet à portée de main, une statuette d’os, qu’il lança de toutes ses forces à travers la foule. L’objet, un petit nexu d’ivoire, fut animé d’une volonté propre et navigua entre le flux des passants, jusqu’à heurter ledit voleur un peu plus loin. Ce dernier tomba à la renverse et le vieux monsieur se précipita, accompagné d’une foule de bienheureux qui s’attribuèrent le mérite de la capture. Kahl roula du regard et récupéra le parchemin ainsi que son contenant de cuir. La logique voulait que chaque travail soit récompensé par un salaire. Sans tressaillir, il s’enfonça en sens inverse du flux avec sa nouvelle trouvaille, qu’il cajolait précieusement contre lui comme une mère avec son enfant.

Kahl s’était petit à petit dissimulé dans la foule, avançant sans se retourner au travers de la foule, s'engouffrant dans le brouhaha constant vers une sortie plus propice à sa lecture. Il poursuivit jusqu’à ce que le flux se tarisse et que l’air y soit plus respirable. Un air certes artificiel mais qui était d’une fraîcheur bienvenue pour ses poumons non habitués. Il s'engouffra enfin dans une allée adjacente où se présentaient les devantures de plusieurs établissements de consommation de boissons. Réparties de part et d’autre de cette rue, elles étaient reconnaissables par leur devanture aux néons multicolores, décrivant bien souvent des femmes de toute race dans des positions suggestives. A leur base, des tables étaient stratégiquement disposées pour accueillir les consommateurs, si bien qu’il fallait se faufiler pour y atteindre l’autre côté. Ce que Kahl ne fit pas, ayant assez joué des épaules pour la journée. Il resta à l’entrée et s’assit sur le perron d’une des bâtisses résidentielles. Mais aussitôt qu’il prit place, sa trouvaille et son contenant s’envolèrent, malgré ses tentatives pour les rattraper. Il eut beau jouer des bras, il ne put rattraper ce parchemin animé d’une nouvelle volonté. Kahl aurait pu croire que le pouvoir dudit objet fut réel s’il ne s’arrêta pas dans les mains d’une immense silhouette.

D’une stature imposante, des épaules larges comme deux fois sa taille, une mâchoire carrée et surtout une aura impie qui le figea sur place. Le géant vert parcourut les runes tandis que Kahl restait tétanisé par la peur qui lui enserrait le cœur. Il ressentait tellement d’énergie négative, tellement d’épouvante autour de ce personnage, qu’il en crut tomber dans les pommes. C’était une sensation innée, projetée par son esprit pour l’avertir d’un danger plus grand que tout ce qu’il eut à connaître jusque-là. Son aura de ténèbre projetait sur lui des tentacules invisibles, insidieuses, prêtes à pénétrer jusqu’à son âme pour la déchirer avant de l’avaler. Il fut sur la défense dès les premiers échanges et s’était relevé, prêt à tenter de fuir ce monstre à la première occasion. Sa vie valant toujours mieux que ce savoir.



Ce personnage était comme lui, un des manipulateurs de l’énergie de l’esprit, la Force. Un de ces êtres dont sa mère lui enseigna la méfiance et la crainte. Kahl comprit à ce moment même la signification et la portée de ces leçons d’enfance. Le manière dont il décrivit le marchand, sa propension à vanter ses connaissances et cet air toisant qu’il affichait dénotant un profond mépris pour lui. Il était le prédateur et s’amusait. Kahl savait que sa vie était peut-être en danger et qu’il devait composer avec cette brute. Il garda le silence quand il mentionna les créatures vivant dans les hautes jungles des planètes tropicales, révoquées à l’état de légende. Il garda le silence quand il décrivit la manière dont elle vivait et tout autant quand il fit des allusions à un potentiel lien entre le parchemin et ce lieu hypothétique qu’il décrivait.

Quand il approcha de nouveau, Kahl recula du même pas, préférant garder une distance convenable. Son regard tomba sur le parchemin qu’il rangea précautionneusement dans son étui.


Kahl réajusta une mèche rebelle, tandis que ses yeux vagabondaient entre le visage du géant vert et de son trésor.