Elle était devenue si dépendante à sa présence. Avec le temps, Gamora se rend compte qu’il n’y a personne avec qui elle avait eu ce genre de relation auparavant : la commandante s’était toujours attachée à être la plus professionnelle possible et même dans ses relations plus amicales, jamais elle n’avait appelé quelqu’un au secours de la sorte à la moindre angoisse.

Il faut croire qu’à la chute du Premier Ordre, tout avait changé drastiquement. La vie. Les statuts. Les gens. S’ils s’étaient connus dans le cadre militaire, il y avait désormais un lien profond et intime entre eux. Gamora n’aurait jamais imaginé une chose pareille ; à vrai dire, elle n’avait pas tout à fait envisagé la possibilité de survivre à la guerre. Alors maintenant, elle improvise…

C’est peut être la raison qui l’a poussée à accepter la proposition du Colonel Fel. Incapable de trouver une direction à sa vie, c’était peut être plus simple de revenir dans un groupe où elle était attendue. Gamora se fichait bien de la reconnaissance, elle avait abandonné l’idée depuis longtemps quand elle avait compris que quoi qu’elle fasse, ses parents n’en seraient jamais satisfaits. Elle ne serait jamais le soldat parfait qu’ils rêvaient d’avoir. A leurs yeux et aux yeux de Gamora elle-même, elle était un échec face à la personne qu’ils auraient aimé qu’elle soit. Mais au moins, au sein des Reliquats, elle savait quoi faire et c’était tellement plus simple de suivre les ordres plutôt que d’essayer de trouver un nouvel objectif à sa vie, autre que celui de mettre la main sur son prochain fix de bâton de la mort.

Gamora a les yeux rivés sur son comlink, anxieuse. Elle surveille l’arrivée de nouveaux messages sur le canal de Devon mais il cesse de répondre, sans doute occupé à piloter jusqu’à Borosk. Elle fait des allers-retours dans sa cabine, combattant la nécessité de prendre quelque chose pour se détendre et s’apaiser. Le problème, c’est que lorsqu’il franchira la porte de la cabine, elle n’aurait qu’une envie, celle de se blottir contre lui. Alors s’il est de mauvaise humeur et qu’ils doivent régler leurs comptes directement, ça n’arriverait probablement pas. Gamora était convaincue que sa décision était justifiée, mais la colère de Devon la laissait avec un goût amer. Lui-même était au sein des Reliquats, et est-ce que le fait d'être ensemble sur la même base ne règlerait pas un million de problèmes pour eux ?

Son pad s’active, cette fois pour une toute autre raison l’obligeant à lâcher son comlink définitivement : il s’illumine avec une voix artificielle : “Demande reçue pour accès à votre cabine.” Gamora s’empresse de se saisir du pad et d’appuyer frénétiquement sur l’écran pour valider la demande mais la soldate tremble et le logiciel ne semble pas vouloir se plier à sa volonté. “Aller, fonctionne espèce de… tablette… inutile… J’ai déjà mis les noms des personnes autorisées…” Elle est tellement plongée dans ces problèmes qu’elle ne réalise même pas que l’autorisation a été envoyée et que les portes de sa cabine se sont déjà ouvertes, continuant d’insulter le pad. “Saleté technologique, j’ai toujours dit que c’était de la connerie …. Ugh !”

Gamora n’a pas de temps à perdre avec un stupide datapad, pas quand elle devait régler les choses avec Devon, la dernière chose qu’elle souhaitait, c’est qu’ils se disputent par porte interposée. Elle avait craint qu’il ne désapprouve son choix de revenir chez les Reliquats (et n’importe quel médecin digne de ce nom ayant jeté un oeil à son dossier en aurait dit autant), mais il n’avait pas non plus le droit de le lui reprocher puisqu’il était lui-même sous leurs drapeaux. Borosk était loin d’être aussi accueillante que Anaxes ou le centre de rétablissement sur Naboo, les lieux où ils s’étaient vus auparavant.

Absorbée par ses divagations, elle ne réalise pas que la personne responsable de tout ce flot d’émotions est déjà présente dans la pièce ; elle se fige lorsqu’elle voit la main portée sur son datapad et la chaleur de l’autre dans la sienne. Elle relève les yeux pour voir Devon un sourire amusé aux lèvres qui s’empresse de fermer la porte et de poser le datapad maudit. De précieuses secondes où Gamora rassemble enfin ses pensées et décide de son plan d’action qui est hésitant entre le règlement de compte direct ou abaisser les armes immédiatement. “Il ne voulait pas marcher…” répond-t-elle penaude, agacée d’avoir été mise en échec par une simple commande.

Embarrassée, Gamora se tient à une distance raisonnable, quand bien même elle n’en avait aucune envie. Devon fait le tour de la cabine de fortune qui lui a été attribuée, marmonnant quelque chose concernant la gratitude que lui devait un groupe qu’elle n’avait même pas mené vers la victoire. “Il ne reste pas grand-chose ici, si ce n’est de la poussière et des échecs.” Il avait raison sur un point néanmoins : il était bien plus pratique pour eux de se voir lorsqu’il s’agissait de ses appartements, beaucoup plus spacieux.

Finalement, après ces quelques instants à se tourner autour maladroitement, il finit par faire volte-face pour enfin adresser la raison de sa présence en catastrophe ici et Gamora secoue doucement la tête, figée sur place par la crainte de l’avoir déçu. “Tu aurais fait mieux à ma place ? Je ne pouvais pas rester éternellement sur Anaxes à chercher un sens à ma vie.” La fin de sa phrase est amère, elle sonne comme un reproche, plus qu’elle ne l’aurait voulu. “Ma rédemption ?” s’enflamme-t-elle. “C’est facile pour toi, tu as un sabre laser à leur proposer…!” Elle est si tendue, elle sent la colère et l’indignation monter. Elle avait gagné son surnom d’Hysteria du temps de la guerre, tant elle avait du mal à se contrôler. Les Chevaliers avaient toujours eu un statut particulier. A ses yeux, ils n’avaient pas eu à prouver de quoi ils étaient capables encore et encore.

Ils n’allaient quand même pas gâcher le temps qu’ils avaient pour ça, pas vrai ? Elle serre les poings. Prenant une grande inspiration, Gamora tente de mettre en pratique ce que le thérapeute sur Naboo lui a demandé de faire quand ce genre de sentiment s'accumulent comme un poids dans sa poitrine : “Devon…” Elle combat non seulement l’indignation mais aussi la fierté qui quelques années auparavant l’aurait empêché d’admettre une telle chose. Mais dans cette cabine elle n’est pas Commandante et il n’est pas Chevalier de Ren. Cela faisait des jours qu’elle n’avait pas eu de nouvelles de l’ancien Chevalier et même s’il était parfaitement capable de se protéger, l’angoisse n’avait cessé de la ronger. Elle ne connaissait que trop bien l’horreur de voir ses pires craintes s’exaucer. “...Il n’y a rien que je désire plus que de te serrer dans mes bras là, maintenant. Je suis soulagée de te voir. Si ça ne te dérange pas de mettre le sujet et tes arguments de côté juste une minute, je te promets de tout t’expliquer.” Il serait fier, Docteur Mentzer. Ce n’est pas comme s’il avait eu à attendre cinq ans pour obtenir ce genre de résultat de la part de sa patiente rebelle et réticente.