Ses pas résonnent dans les coursives de la station fraichement baptisée. Elle vient de quitter son logement, un petit appartement modeste mais à elle. Un endroit qu’elle a payé, qui lui appartiendra jusqu’à ce qu’elle décide de s’en séparer … ou que quelqu’un décide de détruire la station. On dit qu’il y a des connards partout, hein. Enfin bref, aujourd’hui, on lui a dit qu’elle allait pouvoir visiter les cuisines toutes neuves du restaurant que Fauve lui a confié. Elle est tellement excitée par l’idée de gérer un restaurant qu’elle s’est levée aux aurores comme une fleur. Elle sautillerait presque au lieu de marcher calmement. Un peu de tenue, histoire de faire bonne impression. Elle est gérante de restaurant maintenant. Et chef de cuisine aussi. Kyla serre son sac contre elle, qui contient ses nouveaux vêtements de travail, trop beaux pour être salis, selon elle.

Après s’être perdue deux ou trois fois, elle parvient enfin à atteindre sa destination. Difficile de se repérer dans un endroit si grand quand on débarque tout juste. Elle pousse la porte du restaurant et découvre la grande salle où des clients viendront bientôt découvrir la cuisine de la jeune femme. Elle s’arrête un moment pour inspecter les tables, quelques détails … Et se dirige vers les cuisines, où les ouvriers fêtent la fin des travaux.

« J’espère que c’est du jus de pomme que vous buvez messieurs ! » On a vu mieux comme entrée en la matière, mais bon. Elle regarde autour d’elle en essayant de ne pas trop montrer qu’elle est aussi impressionnée que pressée de faire son travail dans ces cuisines … oh, ces cuisines ! Elle n’a jamais rien vu d’aussi professionnel depuis qu’elle a quitté ses fourneaux à la Résistance. « Je vois que vous avez bien travaillé, je pense que ma patronne sera contente de vos efforts. Merci beaucoup ! » Les conversations se meurent doucement, tandis que Kyla inspecte chaque recoin de son nouveau lieu de travail. Elle finit par se retourner pour découvrir qu’elle est complètement seule. Les ouvriers sont passés dans la grande salle.

Elle est obnubilée par tout ce matériel neuf, brillant de propreté, bien agencé … Elle imagine déjà la brigade en plein rush, se mouvant dans les lieux comme un ballet de danse bien organisé, chacun dans son rôle, à son poste … Elle va pouvoir se lancer pour de bon ! Kyla explose enfin de joie. Ça ne lui est pas arrivé depuis des années, mais elle improvise une danse de la victoire au milieu de la cuisine, euphorique. Elle s’interrompt soudain.

« C’est vous ? Vous êtes là … depuis longtemps ? »

Elle sent le regard perçant de Fauve sur sa nuque. Elle a raté une occasion d’avoir l’air sérieuse …

La nouveauté était parfois prompte à quelques envolés lyriques. Une remise en question profonde sur le sens de la vie et le pourquoi les choses étaient ainsi. Fauve restait impassible face aux mouvements de l'univers. Il ne fallait pas chercher d'explications, il ne fallait pas vouloir tout savoir. Malgré les quelques affaires douteuses que cachait son entreprise, la native de Corellia n'était pas bien connue pour son sens de la philosophie planante et contemplative. Ce jour n'échapperait pas à la règlement en vigueur malgré l'ouverture plus que proche d'un nouveau restaurant. Le deuxième. Si jusqu'à ce jour la famille Yhadgar était restée très implanté dans le système corellien, il était temps de passer à un autre niveau et ajouter du challenge en plus de la dimension traiteur que le paternel – paix à son âme – avait apporté au moment de reprendre le business. Était-ce de l'ambition que de vouloir s'étendre toujours un peu plus dans cette galaxie ? Pour la cheffe c'était dans l'ordre des choses, tout naturellement.

Aussi, ce jour là elle s'était rendue à la 119 pour faire le tour de son nouvel établissement, voir s'il serait fin prêt pour le jour de l'ouverture et surtout… Dans quel état était celle qu'elle avait choisi pour le diriger. Fauve savait qu'elle prenait un risque en confiant les rênes du restaurant à ce qui s'approche d'une novice en matière de gestion et direction d'un établissement de restauration gastronomique. Pourtant, elle souhaitait accorder sa chance à celle rencontrée dans une cantina de Taanab. La planète n'étant pas loin, elle pourrait bien y retourner si jamais les choses se passaient mal. Néanmoins, il fallait garder espoir et surtout… faire confiance. Il était rare, dans ce coin-ci de l'espace, que quelqu'un vous tende généreusement la main. Pourtant c'était ce que la cheffe avait accepté de faire.

L'endroit était encore assez calmer, de quoi pouvoir prendre un peu se marque, observer le décor et apprécier la station spatiale. C'était un endroit où il faisait bon vivre, où l'horreur de la guerre semblait loin, presque inexistante. Mais si la rousse avait choisi cette station ce n'était pas pour rien. Cependant pour l'heure il n'était pas temps de rentrer dans les détails de cette nouvelle affaire. Le pas léger, le regard affûté, Fauve déambulait dans la salle de restauration où il y avait encore quelques derniers ajustement à faire avant l'ouverture. Des choses sommes toutes superficielles. Après quoi, elle passa dans les cuisines. Plus petites que celle de son premier restaurant, mais elles restaient parfaitement optimisés et fonctionnelle. Deux ou trois pas et la voilà qui tombait sur Kyla qui semblait être en pleine danse de la victoire. La jeune femme était très expressive à la différence de la cheffe qui se contenta de arquer un sourcil en constatant la bonne humeur de son employée.

- Peut-être, répondit-elle sans esquisser le moindre sourire alors qu'intérieurement elle était réellement amusée.

Suite à quoi elle passa derrière des plaques de cuissons neuves qui ne demandaient qu'à ce mettre en route pour le plu grand plaisir des premiers clients. Fauve avait toutefois envie d'aller inspecter les frigos pour voir si toute la marchandise était là.

- Une idée de la carte pour le premier jour d'ouverture ? Demanda-elle avec cette fois l'esquisse d'un sourire.

La carte … Elle va pouvoir travailler à partir d’une vraie carte de restaurant ! Elle ne s’en était même pas rendu compte jusqu’à ce que Fauve lui pose la question. A vrai dire, elle avait déjà eu le temps de rêver à quelques plats un peu dingues, mais rien de plus. Elle s’appuie contre un plan de travail et ses sourcils se froncent comme à chaque fois qu’elle se plonge dans une intense réflexion.

« Et bien … Si on partait sur des entrées qui rappellent le côté traiteur de la maison ? » Si le restaurant de la station 119 doit être différent de ce que fait déjà Fauve, on ne change pas une chose qui marche, et Kyla n’a pas eu besoin de goûter tous les plats de la cheffe pour comprendre que son succès est plus que justifié. Alors autant tabler sur des choses sûres pour assurer un bon début à ce restaurant.

« Pour ce qui est des plats … Je dirais qu’on peut tenter de travailler avec des produits de Taanab, donc pourquoi pas proposer quelques plats à base de légumes, du genre des lasagnes de légumes … Enfin j’avoue que les lasagnes c’est pas très joli, mais c’est bon … hum. » Ressaisis-toi Kyla, tous tes rêves les plus fous peuvent devenir réalité. « Ou alors des plats traditionnels emblématiques de quelques planètes qu’on pourrait déstructurer ? »

C’est déjà mieux que des lasagnes. Mais pas vraiment une idée aboutie. La jeune femme qui était quelques minutes plus tôt pleine de volonté et d’inspiration se retrouve désemparée. Maintenant qu’elle a tout à disposition, elle n’a plus vraiment de grandes contraintes comme elle a pu en avoir quand elle travaillait pour la Résistance ou dans des cantina au budget limité. Elle est presque sûre que si elle demandait du whisky de Corellia pour flamber des crêpes, elle pourrait en avoir facilement. L’imagination est toujours plus florissante sous la contrainte, quand il y a des limites à ce qu’on peut faire.

« Je crois que ça sera plus clair quand on aura reçu les premières livraisons. Et je ne serais pas contre des conseils pour mettre en place une carte à la fois diversifiée et tenable du côté des cuisines. Quand je bossais dans les cantinas, on proposait deux ou trois plats en fonction des livraisons du matin, et c’est tout. » Elle réfléchit un instant avant d’ajouter : « J’aimerais pouvoir proposer des choses abordables pour tous comme des plats plus onéreux. Ce restaurant devrait être à l’image de la station : accessible à tous. »

Personne ne devrait avoir à hésiter en regardant la carte d’un restaurant, de peur de ne pas pouvoir payer. Chacun devrait avoir l’occasion de venir déguster un bon plat en bonne compagnie, ou bien juste pour le plaisir d’être au restaurant ! Du moins, c’est ce que Kyla pense après avoir vu tant de gens différents, des très riches aux très pauvres.

La liberté était parfois déstabilisante, surtout quand on avait travaillé pendant des années dans la contrainte technique. Fauve avait toujours eu à sa disposition tout ce qu'elle voulait, c'était un fait. Sans compter que Kyla, malgré des années à travailler dans des cantinas, ne devait pas connaître toutes les saveurs de la galaxie. Mais ce qui pouvait être un handicape pouvait se réléver être un avantage non négligeable. Elle avait l'habitude de travailler des produits beaucoup plus simple que ce que le restaurant de Fauve pouvait proposer à sa clientèle aisée. La 119 était une station où se croisaient des gens de tous niveaux sociaux sans discrimination. Il n'était donc pas question de faire de l'élitisme et ça la jeune femme semblait l'avoir compris et même anticipé. La corellienne l'écoutait avec avec attention même si elle sentait bien que pour l'heure les idées avaient encore du mal à se mettre en place.

_ Pourquoi pas proposer un menu de la semaine avec choix entre deux entrées, deux plats et deux desserts pour commencer ? Avec légumes de saisons en provenance direct de Taanab, dit Fauve pour commencer sur quelque chose de simple qui permettrait aux cuisines de partir sur un rythme plus tranquille. On évite trop de perte et ça permet d'avoir quelque chose d'abordable pour tous. A changer chaque semaine pour varier et surprendre à chaque fois. La routine est la pire chose pour un restaurant même si ces plats sont les meilleurs.

La cheffe avait clairement plus l'habitude de travailler dans le milieu de la restauration gastronomique, certes, mais cela ne l'empêchait pas de savoir comment fonctionnait le milieu en dehors des restaurants et des cuisines de luxe. Certainement qu'elles tenaient déjà quelque chose dans toutes les idées qu'elles venaient d'abord à l'instant. Il ne fallait juste pas se laisser aller à la précipitation.

_ Le maître mot doit rester l'équilibre. Le client doit pouvoir associer chaque plat selon son désir et faire en sorte qu'ils se complètent, continua Fauve pour qui l'équilibre des saveurs était sa marque de fabrique, sa signature depuis des années. C'est le défi que je te donne.

Un sourire bienveillant s'étira sur les lèvres de la rousse. C'était un challenge, mais il n'y avait rien de plus beau et de plus stimulant que d'être capable de ce genre de prouesse. Pour la plus part des gens c'étaient soit un évidence, soit une perte de temps. Mais combien savaient qu'il s'agissait d'un art difficile que celui de la cuisine ? Surtout quand on savait l'attachement que portait la corellienne à proposer des plats qui apportaient également tous les apports nutritifs nécessaire au corps ? Parce qu'il n'y avait rien de plus important qu'un corps en bonne santé. Après tout on en avait qu'un et les prothèses – même s'il s'agissait d'une mécanique complexe et magnifique – n'étaient rien en comparaison de la force de la vie. A part peut-être une pâle copie de la nature elle-même.